Dans un contexte de tensions commerciales exacerbées par les nouvelles mesures protectionnistes américaines, la Chine déploie une stratégie de contre-attaque aussi discrète qu’efficace. Alors que les tarifs douaniers imposés par Washington atteignent jusqu’à 145% sur certains produits chinois, Pékin reste étonnamment serein face à cette offensive.

Une riposte en quatre axes
Le gouvernement chinois a patiemment développé un plan articulé autour de quatre principes fondamentaux pour contourner les barrières érigées par son rival américain.
1- Éliminer les intermédiaires
Longtemps cantonnée au rôle « d’usine du monde », la Chine transforme aujourd’hui sa position dans la chaîne de valeur mondiale. Les fabricants chinois, qui produisaient pour des marques occidentales, s’adressent désormais directement aux consommateurs via des plateformes comme TikTok Shop, Temu, Shein ou AliExpress.
Ce phénomène s’est amplifié depuis l’introduction des nouveaux tarifs douaniers. Des vidéos virales montrent des usines chinoises révélant qu’elles fabriquent pour quelques dollars des produits revendus à prix d’or par des marques occidentales prestigieuses. Un fabricant du Guangdong a notamment exposé produire pour Lululemon des vêtements à 8 dollars, revendus ensuite plus de 100 dollars aux consommateurs.
Cette désintermédiation s’accompagne d’innovations comme le « live stream shopping », un téléachat numérique permettant aux vendeurs chinois d’interagir directement avec les acheteurs du monde entier et de conclure des ventes instantanées.
2-Contourner les barrières douanières
Pour échapper aux taxes américaines, la Chine a perfectionné l’art de jouer avec les règles d’origine des produits en créant des triangles économiques. L’exemple du Vietnam est particulièrement éloquent : depuis les premiers tarifs imposés en 2018, les exportations vietnamiennes vers les États-Unis ont bondi de plus de 40%.
La technique est simple : les composants sont fabriqués en Chine puis envoyés dans un pays tiers comme le Vietnam ou le Mexique pour un assemblage final qui modifie techniquement l’origine du produit. Ce « dépéçage industriel » s’observe particulièrement dans les secteurs automobile et électronique.
Face à ces pratiques, les États-Unis ont récemment imposé 46% de droits de douane au Vietnam, accusé d’être devenu une plaque tournante pour produits chinois interdits.
3- Utiliser l’arme financière
Dans cette guerre économique, la monnaie constitue un levier stratégique majeur. En 2018, face aux premiers tarifs de Trump, Pékin avait laissé le yuan se déprécier de plus de 10%, compensant largement l’impact des droits de douane américains.
Par ailleurs, la Chine demeure un important créancier des États-Unis, détenant encore pour plus de 760 milliards de dollars d’obligations fédérales américaines. Bien qu’une vente massive de ces titres reste improbable, car préjudiciable aux deux parties, ce levier financier constitue une menace implicite.
L’État chinois préfère subventionner massivement ses entreprises pour absorber l’impact des tarifs : réductions d’impôts, prêts à taux préférentiels, aides à l’exportation… L’arsenal est vaste pour maintenir la compétitivité des produits chinois.
4-Pratiquer le dumping stratégique
Face au blocage partiel du marché américain, la Chine a réorienté ses exportations vers d’autres marchés, notamment ses voisins asiatiques. Ses exportations vers l’ASEAN ont augmenté de près de 30% depuis le début de la guerre commerciale, souvent à des prix défiant toute concurrence.
Dans des secteurs comme les panneaux solaires, où la Chine détient plus de 80% de la capacité mondiale de production, ou les véhicules électriques, proposés jusqu’à 30% moins chers que ceux des concurrents locaux, cette stratégie permet non seulement d’écouler les stocks, mais aussi de renforcer l’influence économique chinoise sur ses voisins.
Une vision de long terme : l’autonomie technologique
Au-delà de ces tactiques de court terme, la Chine poursuit sa stratégie à long terme de montée en gamme technologique. Le plan « Made in China 2025 » continue de guider la politique industrielle avec l’objectif de dominer les industries d’avenir : intelligence artificielle, véhicules électriques, énergies renouvelables, semi-conducteurs et biotechnologies.
Face aux restrictions américaines, Pékin investit massivement dans sa propre industrie de semi-conducteurs. SMIC, le principal fabricant chinois, produit désormais des puces de sept nanomètres, encore loin des trois nanomètres de TSMC ou Samsung, mais suffisant pour de nombreuses applications.
Des conséquences mondiales
Cette guerre commerciale accélère la régionalisation de l’économie mondiale : la Chine renforce son emprise sur l’Asie tandis que l’Amérique se replie derrière ses barrières douanières. Pendant ce temps, l’Europe, prise entre deux feux, tente de préserver son modèle ouvert tout en protégeant ses industries stratégiques.
Pour les consommateurs et investisseurs, plusieurs conséquences sont à anticiper : les marques occidentales reposant sur une forte valeur immatérielle sont particulièrement exposées, tandis que les entreprises ayant diversifié leurs chaînes d’approvisionnement hors de Chine disposent d’un avantage concurrentiel. Par ailleurs, l’inflation risque de persister aux États-Unis et en Europe, les augmentations de taxes étant généralement répercutées sur les prix finaux.
Face à la détermination chinoise et à l’efficacité de sa stratégie, la question se pose : les tarifs douaniers constituent-ils vraiment une solution efficace dans cette bataille économique mondiale ?