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Bouzonville : Le train du Vendredi-Saint va entrer en gare

Le point sur le projet de relation ferroviaire SAR LOR LUX via Bouzonville et Thionville… lancé il y a plus d’un quart de siècle. Questions à Bernard Aubin.

Bouzonville, desserte ferroviaire du Vendredi Saint (DR)
Bouzonville, desserte ferroviaire du Vendredi Saint (DR)

Ce vendredi Saint, jour férié en Alsace-Moselle, la petite ville de Bouzonville (4000 habitants) recevra la visite de nombreux voisins allemands. La frontière est située à 7 km. Ils sont tous les ans entre 15 000 et 20 000 à sillonner les rues de Bouzonville envahies de nombreux étalages. La « braderie du Vendredi Saint » s’empare depuis le Moyen Âge des rues de la ville.
Mais à cette tradition s’en ajoute une plus récente : la circulation des trains spéciaux entre l’Allemagne et Bouzonville dont la gare, fermée le reste de l’année, est rouverte pour l’occasion. Sept allers-retours couvriront la journée.
La mise sur rail de ces trains, qui circulent tous les ans depuis 98 (sauf années COVID), cachait un autre projet : la création d’une relation ferroviaire internationale directe entre l’Allemagne, la Moselle et le Luxembourg. Projet qui a récolté le soutien d’une centaine de villes, mais qui tarde encore à décoller.

Quels sont les avantages du projet de train international SAR-LOR-LUX via Bouzonville et Thionville que vous avez lancé il y a plus de 25 ans ?

Bernard Aubin,
Bernard Aubin,

Cette relation desservirait deux bassins d’emplois transfrontaliers. D’une part côté Sarre, en Allemagne. 16. 000 travailleurs français s’y rendent chaque jour. De l’autre côté, vers le Luxembourg, ils sont 50 000 dans la périphérie de Thionville à se rendre au Luxembourg. Au centre de l’itinéraire se trouvent des petites villes, desservies par TER jusqu’en 2016, qui pourraient tirer parti de cette desserte ferroviaire en termes de développement urbain. De nouvelles constructions destinées aux travailleurs transfrontaliers se rendant au Luxembourg sont pour l’instant envisagées sur Thionville et sa périphérie. Une desserte performante offrirait l’opportunité de les étaler en dehors de cette zone déjà ultra-saturée. Enfin, les usagers de ce train international pourraient la mettre à profit pour poursuivre leur périple au-delà de la Moselle, grâce aux TGV à Thionville ou aux ICE à Sarrebruck.

Pourquoi vous impliquez-vous dans ce projet ?

Aujourd’hui retraité de la SNCF, j’ai commencé ma carrière à Bouzonville en 1983, ma ville natale. J’ai gardé pour cette gare un profond attachement et me suis acharné à défendre son avenir même lorsque mon déroulement de carrière m’avait invité à la quitter. Aussi, avais-je pris contact avec les élus locaux dès 1992, dès les premières menaces de fermeture. Inquiétudes qui se sont confirmées en 1997. Plutôt que d’agiter des drapeaux ou de manifester devant la gare pour exiger son maintien, je lui ai recherché une nouvelle vocation. Autrefois tournée essentiellement vers le fret, progressivement détourné par la SNCF vers un autre point frontière, je lui ai découvert un nouvel avenir, du fait de sa position centrale au sein de flux démographique déjà importants, ou à développer.

Comment avez-vous opéré pour promouvoir ce projet de train international ?

J’ai souhaité braquer les projecteurs sur l’avenir de la gare. Or, à Bouzonville, les Vendredis Saints qui sont fériés en Moselle rassemblent entre 15 000 et 20 000 voisins Allemands lors du grand marché qui envahi les rues de la ville. Ceci posait d’énormes problèmes de stationnement. J’ai alors proposé il y a plus de 25 ans aux élus la mise sur rail d’un train spécial, en provenance d’Allemagne. Ce train emprunte la voie unique entre Dillingen et Bouzonville. Il nous a fallu trois mois de travail, à l’époque, pour obtenir de la SNCF les autorisations nécessaires. Cette navette est arrivée la première fois à Bouzonville en 1998, totalement bondée, malgré une pluie battante. J’ai pu, à cette occasion, faire la promotion d’un projet plus ambitieux auprès des nombreux médias venus couvrir l’événement : des navettes régulières internationales reliant Sarrebruck, Dillingen, Bouzonville, Yutz, Thionville et Luxembourg.

La braderie du Vendredi Saint connait le succès depuis des siècles (DR)
La braderie du Vendredi Saint connait le succès depuis des siècles (DR

Pourquoi ce projet n’a-t-il toujours pas abouti… depuis plus d’un quart de siècle ?

Je pense que sa pertinence n’est plus à démontrer. Mais il a fait, depuis sa publication, l’objet d’une opposition farouche de la part du Conseil Régional de Lorraine puis de Grand-Est, autorités organisatrices des transports et seules décideuses. « Ce n’est pas un projet prioritaire » écrivait l’ancien président de cette dernière à l’ancien maire de Bouzonville, Denis Paysant. En 2024, la Région a fait voter une étude pour examiner la pertinence d’une relation ferroviaire entre la Sarre et le Luxembourg. Mais celle-ci a été biaisée car elle porte dès le départ sur un itinéraire précis, ou lieu d’examiner de manière globale les opportunités que le rail pourrait offrir à toute une zone. Cerise sur le gâteau, celle-ci écarterait toute perspective pour la ligne Bouzonville-Dillingen défendue dès l’origine par Bouzonville et ses voisins allemands. Par ailleurs, la cacophonie qui règne entre partisans du projet ne joue pas en sa faveur : en fonction des circonstances, ils s’expriment tour à tour pour un itinéraire ou pour un autre. Partisans et détracteurs du train se rejoignent souvent sur un point : ils méconnaissent le projet sur lequel ils adoptent pourtant des positions antagonistes et tranchées.

Un avenir est-il pourtant envisageable ?

En 2019, quatre communautés d’agglomérations, représentant près de 90 communes, ont voté une motion en faveur de la relation ferroviaire SAR LOR LUX via Dillingen et Bouzonville à l’initiative du Maire de Bouzonville de l’époque, Denis Paysant. S’y ajoutent les Villes allemandes de Dillingen et Rehlingen-Sierburg, le Conseil Départemental de Moselle, la faveur du Président du SCoTAT (Schéma de Cohérence Territorial de l’Agglomération Thionvilloise)… Je compte sur le soutien de TEMO (Territoires et Mobilités Moselle Nord, autorité organisatrice des transports urbains couvrant 54 villes) pour lancer une nouvelle dynamique et catalyser les efforts afin de vaincre, ensemble, les réticences de la Région.

Quelle est la position de Grand-Est sur votre projet et ses chances d’aboutir ?

La Région concrétise de nombreux projets ferroviaires dont cette zone de Moselle reste écartée. Elle a lancé en 2024 une étude qui ne coïncide pas avec nos attentes et finance même depuis janvier 2025 des cars sur une partie de l’itinéraire que le train SAR-LOR-LUX pourrait desservir ! Le Luxembourg, autre opposant historique au projet a annoncé le 1er avril lancer à son tour, avec la Sarre, une étude en faveur d’une «d’une liaison ferroviaire directe entre Luxembourg, Sarrebruck et Mannheim ». Cette approche ne jouera pas forcément en faveur d’un itinéraire via Bouzonville. En revanche, j’ai obtenu le soutien du Président de TeMo (Territoires et Mobilités Moselle Nord, autorité organisatrice des transports urbains dans un périmètre du nord mosellan constitué de 54 communes et d’environ 250 000 habitants). J’espère qu’un travail de fond avec Rémy Dick, son Président, permettra à l’ensemble des élus et institutions concernés de réellement appréhender le projet, de le défendre et de le concrétiser. Après 26 années d’interventions durant lesquelles nous avons plus été menés en bateau qu’acheminés en train, je garde espoir et je poursuis cette lutte en faveur des usagers.

L’historique du projet, avec photos, quelques articles de presse et les quatre hypothèses de desserte que je propose depuis 1998 : ICI

Un « vieux » reportage de France 3 qui décrit le projet et illustre l’agacement de Jean-Pierre Masseret suite à mon intervention lors d’un colloque : ICI

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