NASA/ESA/S.Beckwith (STScI)/HUDF Team
Thierry Contini, Université de Toulouse 3 Paul Sabatier
Cet article est publié à l’occasion de la manifestation sur les « Imaginaires stellaires », qui se tient jusqu’au 13 mai 2017 au Pavillon Blanc Henri Molina à Colomiers. Conçue autour des représentations cosmiques, cette initiative convoque une série d’événements à la croisée de l’art et de l’astronomie avec des conférences, des ateliers, des lectures, une exposition et un planétarium. Un événement dont The Conversation France et le Quai des Savoirs, Toulouse Métropole sont partenaires. Le samedi 11 mars à 16 heures, Thierry Contini animera la conférence « Explorer l’univers en 3D » au Pavillon Blanc.
Un miroir tacheté sur un support métallique. L’énigmatique simplicité de Blank II de Caroline Corbasson, une des œuvres exposées jusqu’en mai prochain au Pavillon Blanc de Colomiers, interpelle et incite le visiteur à s’approcher. Et en y regardant de plus près, l’ensemble nous offre une fenêtre sur nos origines, rien de moins ! Car l’image sérigraphiée par l’artiste sur le miroir fascine les astrophysiciens depuis plus de dix ans…
Cette image constitue un fragment du champ ultra-profond de Hubble, la photographie la plus profonde du ciel jamais obtenue. Prise avec le télescope spatial Hubble en 2003, elle nous montre une toute petite portion du ciel de l’hémisphère austral, située dans la constellation du Fourneau. Sa taille apparente sur le ciel est inférieure à un dixième de la pleine Lune.
Cette photographie est le résultat d’une accumulation d’images totalisant près de 1 million de secondes de temps d’exposition, comme si l’obturateur du télescope Hubble était resté ouvert sur cette même zone du ciel pendant près de 12 jours ! Lorsque cette photo fut dévoilée en 2004, Steven Beckwith, directeur du Space Telescope Science Institute, déclara :
« Nous ressentons un besoin profond de comprendre notre passé, d’où nous arrivons et vers quoi nous nous dirigeons. […] Une fois que cette photo aura été entièrement étudiée par la communauté astronomique, nous nous attendons à ce qu’elle révèle les secrets de l’origine des étoiles et des galaxies, et en fin de compte de l’homme. »
Dix ans plus tard, notre compréhension de l’origine des astres dans l’univers a fait un bond considérable, grâce à cette image notamment. De nombreuses questions restent cependant à élucider.
Des myriades de galaxies
À une étoile près, tout ce que l’on voit dans la portion d’image représentée par Caroline Corbasson dans son œuvre Blank II, ce sont des galaxies. Il y en a plusieurs milliers dans cette photo.
Les galaxies, immenses systèmes composés d’étoiles de gaz et de poussières, sont comme des univers-îles disséminés dans l’océan cosmique. Notre étoile, le Soleil, fait elle-même partie d’une galaxie : la Voie lactée.
Comme on peut le voir sur cette photo, les galaxies ont des tailles et des formes très différentes. Les plus grosses ressemblent à des ballons de rugby et contiennent quelque mille milliards d’étoiles. Mais elles sont assez rares, on en voit quelques-unes seulement dans cette image. Ce sont des galaxies assez vieilles qui ne fabriquent plus beaucoup d’étoiles.
On aperçoit aussi des galaxies spirales plus structurées. Notre Voie lactée fait partie de cette famille. Ces grands disques en rotation constituent la majorité des galaxies à l’heure actuelle. Mais on distingue surtout des galaxies beaucoup plus petites qui ont des formes très irrégulières, ou alors sont tellement compactes qu’elles ressemblent à des étoiles.
Sur cette photo, les galaxies ne sont pas isolées ou distribuées uniformément. Elles sont en général regroupées, voire en couple très serré. En effet, les galaxies interagissent entre elles et quand elles s’approchent trop près les unes des autres, elles finissent par fusionner.
Toutes ces galaxies ne sont pas situées à la même distance de nous. Les plus grandes sont assez proches, mais la plupart, souvent les plus petites, sont très éloignées, à plusieurs milliards d’années-lumière.
Remonter le temps cosmique
Depuis sa création lors du Big-Bang, il y a 13,8 milliards d’années, notre univers est en expansion. Il grandit continuellement et les galaxies s’éloignent les unes des autres, à une vitesse d’autant plus grande qu’elles sont distantes les unes des autres. Ainsi, leur lumière a mis un certain temps pour voyager jusqu’à nous et imprimer cette image.
Même si la lumière se propage très vite, environ 300 000 km en une seconde, il lui faut beaucoup de temps pour parcourir tout l’espace. Ceci a un gros avantage : quand on photographie une galaxie située, par exemple, à 7 milliards d’années-lumière, on la voit telle qu’elle était il y a 7 milliards d’années. Nous pouvons donc remonter le temps cosmique, et dans ce cas précis à une époque où l’univers n’avait que la moitié de son âge actuel. Mais il est difficile de connaître la distance exacte des galaxies, et donc leur âge, à partir de cette image uniquement.
Dans les années 1990, avec l’essor de l’imagerie grand champ et des relevés profonds du ciel, la technique des distances photométriques a permis d’avoir une estimation grossière de la distance de plusieurs centaines de milliers de galaxies. Mais cette technique est très imprécise et nécessite de photographier les mêmes portions du ciel avec une dizaine de filtres différents. Elle est donc très coûteuse en temps de télescopes.
Obtenir un spectre d’une galaxie est le meilleur moyen de mesurer précisément sa distance. En effet, la lumière des astres contient des signatures facilement identifiables, comme des codes barre, qui se révèlent à travers un spectrographe. De véritables machines à remonter le temps cosmique ont donc été inventées et installées sur les plus grands télescopes, comme le spectrographe multi-objets VIMOS, afin de mesurer précisément la distance des galaxies. Mais cette technique a ses propres limites car elle nécessite de présélectionner les galaxies dans les images et donc de faire un choix, souvent les plus brillantes, parmi les milliards de galaxies qui peuplent l’univers.
Dans cette quête des origines, les chiffres parlent d’eux-mêmes : douze ans après l’acquisition du champ ultra-profond de Hubble, nous ne connaissons la distance précise que pour 178 galaxies, soit moins de 2 % des 10 000 galaxies identifiées dans cette photographie !
Une muse pour explorer l’univers
Roland Bacon, chercheur-inventeur des temps modernes au Centre de recherche astronomique de Lyon (CRAL), a eu alors cette idée de génie au début des années 2000 : construire un nouvel instrument qui permettrait de photographier le ciel aussi profondément qu’Hubble, mais en obtenant près de 2000 images d’un coup, plutôt qu’une seule !
Ainsi est né le projet MUSE qui, après dix ans de développement au sein de sept laboratoires européens, dont l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP) de Toulouse, a ouvert la première fois ses yeux sur le ciel nocturne le 31 janvier 2014.
Depuis trois ans, MUSE est devenue la nouvelle Rolls-Royce de l’astronomie européenne, un instrument révolutionnaire si puissant et unique que nos collègues américains nous l’envient. Installé sur un des quatre grands télescopes VLT à 2500 mètres d’altitude dans le désert d’Atacama au Chili, un des endroits les plus arides de la planète et donc particulièrement propice à l’exploration du ciel nocturne, MUSE ne cesse d’apporter de nouvelles découvertes.
Grâce à cette incroyable machine, nous scrutons à nouveau le champ ultra-profond de Hubble, afin de mesurer précisément la distance de toutes les galaxies dans cette minuscule région du ciel. Nous pourrons ainsi remonter le temps cosmique et voir les galaxies telles qu’elles étaient il y a très longtemps, à la manière des carottages dans les glaces de l’Antarctique qui permettent de reconstituer les climats passés de la Terre. La puissance de MUSE dans l’exploration de l’univers lointain a déjà été démontrée par son premier carottage. Celui-ci a permis, entre autres, de découvrir de nouvelles galaxies très lointaines et de détecter d’énormes quantités de gaz autour de ces bébés galactiques, carburant nécessaire à leur développement mais dont la détection était restée jusqu’alors très élusive.
Nul doute que cette toute nouvelle archéologie de l’espace permettra de percer les mystères de la naissance des premières galaxies aux confins de l’Univers.
Thierry Contini, Directeur de recherche CNRS, Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Toulouse), Université de Toulouse 3 Paul Sabatier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.