Lucie MERIJEAU, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC et Sébastien ROFFAT, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC
Aller voir un film d’animation estampillé Disney pour les vacances de Noël, quoi de plus naturel pour les familles françaises ? D’ailleurs l’expression « Disney de Noël » est bien ancrée dans notre vocabulaire. Ce « Disney de Noël » fait plus référence à la période de sortie du film qu’au contenu lui-même : Walt Disney s’est toujours gardé d’évoquer des sujets typiquement américains ou des thèmes chrétiens dans ses dessins animés. Ainsi, aucun court métrage ne met en scène la fête de Thanksgiving ou le 4 juillet, un ou deux seulement parlent de Noël et un seul de Pâques. Et ceux qui évoquent Noël sont plutôt tristes, à l’instar du Noël de Mickey (1983).
Une stratégie marketing à la française
Sortir un « Disney à Noël » est bien une spécificité française, une stratégie marketing élaborée dès les années 1950 pour notre marché intérieur.
Quelques chiffres d’abord. Sur les 56 grands classiques d’animation Disney sortis à ce jour, près de 70 % ont connu leur première française entre octobre et décembre, et ce sans compter les reprises. En effet, tous les films Disney sont sortis plusieurs fois au cinéma à l’instar de Blanche-Neige et les sept nains (sept fois) : mai 1938, décembre 1944, août 1951, décembre 1962, décembre 1973, novembre 1983 et février 1992.
Cette concentration des sorties sur la période automnale (37 films sur 56) est en réalité une spécificité française car le marché américain est plus lissé sur l’année bien que l’on observe deux pics : aux États-Unis, les mois de plus forte sorties de films sont novembre (15 sur 56) puis juin (10 sur 56) alors qu’en France il s’agit de novembre (19 sur 56) puis décembre (14 sur 56).
Des timings différents en France et aux États-Unis
L’idée de sortir les longs métrages d’animation Disney pour Noël ne s’est pas imposée d’emblée comme une évidence. Blanche Neige et Pinocchio sont ainsi sortis au mois de mai lors de leur première exploitation, Dumbo en octobre et Bambi en juillet. Durant la deuxième moitié des années 1940, les films sortent de manière relativement désordonnée au cinéma (rappelons que les Français n’ont vu que Blanche-Neige avant-guerre et que durant l’occupation allemande, la projection de films américains est interdite) : Fantasia en novembre, Saludos Amigos en février, Les Trois Caballeros en avril, La Boîte à musique en septembre, Coquin de printemps en mars, Mélodie Cocktail en février.
Mélodie du Sud est le premier long métrage Disney à sortir de manière concertée en décembre 1949 sur les écrans français. Après cette date et à quelques rares exceptions, tous les Disney sortiront en France pour les vacances de Noël ; une tradition qui perdure aujourd’hui.
Plus surprenant pour nous qui sommes habitués à des sorties mondiales simultanées, si un film Disney sortait en décembre aux États-Unis, la sortie française avait lieu en décembre de l’année suivante (Merlin l’Enchanteur est sorti aux États-Unis en décembre 1963 et en France en décembre 1964). Walt Disney avait fait tout son possible pour que son premier long métrage d’animation soit prêt pour Noël 1937. Malgré tous les efforts du studio, Blanche Neige et les sept nains ne sortira dans les salles américaines qu’en février 1938 (la première mondiale a toutefois bien eu lieu en décembre).
Les Américains concentrent en réalité les sorties sur deux périodes particulières de l’année. D’abord, Thanksgiving, le quatrième jeudi de novembre (férié aux États-Unis depuis 1941) permet de préparer le public à Noël (les produits dérivés du film rapportent plus d’argent que le film lui-même) et de préparer une sortie DVD très rapide pour la fin de l’année : aux États-Unis, il n’y a pas de délai légal entre la sortie du film en salles et sa sortie en vidéo, comme c’est le cas en France.
Ce long week-end de Thanksgiving est donc une période de choix pour sortir un film Disney. L’autre période très prisée est juin (10 sorties sur 56) : les Américains profitent de la climatisation des salles obscures pour échapper à la chaleur de l’été. On remarque également que les films Disney qui se veulent moins « familiaux » et destinés à un public plus adulte sortent également à cette période. À partir de Toy Story (mars 1996 en France), une règle non-écrite veut que l’on sorte les films Pixar loin de la période hivernale et à partir de Cars (en juin 2006, date coïncidant avec le rachat du studio par la firme Disney), les films sortent uniquement l’été. Les longs métrages en images de synthèse du studio ne ciblent pas le même public (familial) que celui des films Disney. Leurs histoires et leur esthétique post-moderne s’adressent tout autant aux enfants qu’aux adultes.
Une tradition bien ancrée
Le Disney de Noël en France est par contre une « tradition » ancrée très profondément. À la Noël 1938, Blanche-Neige et les sept nains est ainsi le premier film étranger à être projeté à l’Élysée devant 300 enfants déshérités. Il a été longtemps inenvisageable de sortir un long métrage d’animation Disney au moment des vacances d’été : les enfants sont en vacances, à la plage ou ailleurs.
La très longue trêve estivale française a empêché pendant de longues années la sortie de films importants à cette période (la tendance s’atténue depuis quelques années mais jamais aucun film Disney n’est sorti en août par exemple).
En France, le choix de sortir un long métrage à Noël s’est imposé comme une évidence à partir de 1949. À cette période, les petits Français ont deux semaines de vacances. Les familles se rassemblent dans l’esprit enchanteur de Noël et la tradition d’aller au spectacle se perpétue à travers le cinéma : aller au cirque ou voir un spectacle de marionnettes participe du même mouvement.
Un agenda commercial
Sortir un film à Noël permet également de lancer les campagnes de promotion dès l’été et de faire monter l’attente auprès du jeune public. Les produits dérivés s’installent dans les rayons avant même la sortie du film en salles.
La sortie d’un film Disney à Noël permet aussi à Disneyland Paris de profiter d’un effet de synergie car la période novembre-février correspond à la basse saison : cependant, une sortie trop tardive dans l’année ne laisse pas assez de temps aux parcs pour s’organiser ni au public de s’imprégner des chansons. Ainsi, l’inusable spectacle autour de La Reine des neiges à Disneyland Paris a commencé bien après la sortie du film en salles.
L’influence des émissions télé
Il ne faut pas négliger l’importance de la télévision dans la construction de cette idée de « Disney de Noël ». Le déploiement de l’univers Disney et l’association entre « films Disney » et « période Noël » trouvent leur origine à la fin de l’année 1961 dans l’émission jeunesse L’Ami public numéro un. Le programme, présenté par Pierre Tchernia, exemplifie la volonté de l’entreprise Disney de collaborer « à l’amélioration des rapports entre les industries du cinéma et la télévision ». Cette émission, diffusée de 1961 à 1978 sur la première chaîne de l’ORTF puis sur TF1, proposait en effet des courts métrages inédits autant que des longs métrages « classiques » du studio américain.
L’émission SVP Disney fut quant à elle diffusée entre 1964 et 1978, le jour de Noël. Une liste de films était proposée en début de programme afin que les téléspectateurs choisissent les extraits qu’ils souhaitaient voir être diffusés, en téléphonant au numéro « SVP ».
Tout au long de ces quatorze années, c’est un véritable horizon d’attente qui s’est créé pour des millions de téléspectateurs, petits et grands, avec la promesse que chaque Noël, ils pourraient interagir avec leurs personnages préférés. Cette pratique de diffusion de Disney à Noël n’a depuis jamais cessé, que l’on pense aux programmes spéciaux présentés par Jean-Pierre Foucault dans les années 1990 ou aux longs métrages diffusés par les chaînes chaque année, comme cela fut encore le cas lundi dernier : M6, en diffusant La Reine des neiges ce lundi 19 décembre, a attiré plus de six millions de téléspectateurs.
Le « Disney de Noël » est devenu un incontournable d’autant plus que durant des décennies il n’y eut aucun concurrent sérieux sur ce profitable créneau. Ajoutons enfin que la Walt Disney Company France pouvait garder un film en réserve des semaines voire des mois avant de décider de le sortir pour Noël : avant l’émergence d’Internet, il n’y avait aucun risque de piratage ni de « spoiler ». Dorénavant, les sorties des grands films sont simultanées sur tous les territoires, ce qui explique qu’à partir des années 2000, certains longs métrages Disney sortent à une autre période qu’à Noël, ce qui n’empêche pas leur succès.
Nos remerciements aux personnes interrogées pour les besoins de cet article : Didier Ghez, Gilles Hermann, Christophe Maridet, Philippe Videcoq.
Lucie MERIJEAU, Docteure en études cinématographiques et audiovisuelles, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC et Sébastien ROFFAT, Docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, Chargé de cours, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.