« Chacun a ses raisons », dans le film du cinéaste iranien Asghar Farhadi, primé à Cannes. Une fable dramatique entre Kafka et Shakespeare.
S’il a tourné quelques films en Europe, « Le passé » en France et « Everybody knows » en Espagne, c’est habituellement son pays, l’Iran, que raconte le cinéaste Asghar Farhadi, avec des films tels que « A propos d’Elly », « Une séparation » », « Le client »… et maintenant « Un héros » (sortie le 15 décembre), Grand Prix au Festival de Cannes et sélectionné ensuite par le Festival de Deauville. Mais aussi iraniens soient-ils, ce sont aussi des récits universels, dans lesquels il explore l’humanité et la complexité des rapports humains.
Ainsi, lorsqu’il sort de prison pour une courte permission, Rahim (incarné par Amir Jadidi) n’est pas encore le « Héros » du titre. Il ne pense alors qu’à retrouver sa bien-aimée, son fils, et surtout convaincre son créancier d’effacer une partie de sa dette et de retirer sa plainte, ce qui lui permettrait de sortir définitivement de prison. Mais le prêteur n’est pas compréhensif. Rahim se croit sauvé grâce à un sac plein de pièces d’or, trouvé dans la rue ; il est tenté de vendre ces pièces pour payer sa dette, mais décide finalement de rendre sac et pièces à sa propriétaire.
Montré en exemple puis montré du doigt
C’est ce geste qui fait de lui un héros, il donne des interviews, passe à la télé, est louangé sur les réseaux sociaux… Avec son sourire béat et son air de chien battu, Rahim est montré en exemple, on lui décerne un diplôme, on se mobilise pour lui… Mais il a été victime d’une arnaque, la femme à qui il a remis le sac, qu’il croyait en être la propriétaire, a disparu. Et un premier mensonge l’entraîne dans une spirale : la sincérité du héros pas assez discret est mise en doute, sa soi-disant bonne action et son sourire deviennent suspects. Il est lâché, rejeté, montré du doigt, manipulé par la police, les médias, la direction de la prison…
« Individu ordinaire », Rahim a été « Un héros » malgré lui puis considéré comme un zéro, tout autant malgré lui. Il n’est ni l’un ni l’autre. C’est l’honneur d’un homme, certes naïf, son désarroi, qu’évoque Asghar Farhadi ; mais aussi la promptitude des foules à lyncher ce qu’elles ont adoré, les réseaux dits sociaux n’étant qu’un amplificateur de la haine, et l’ambiguïté des faits et des gestes. Ce film a ainsi des allures de fable, un drame entre Kafka et Shakespeare, dont la morale serait que « chacun a ses raisons » ; le créancier ayant, lui aussi, les siennes n’est pas le « méchant » qu’on aurait pu croire, et Rahim pas si héroïque que ce qu’aurait voulu l’opinion publique.
Patrick TARDIT
« Un héros », un film de Asghar Farhadi (sortie le 15 décembre).