Michael Langlois, Université de Strasbourg
Le 26 octobre 2016, l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI) présentait un papyrus vieux de 2 700 ans mentionnant la ville de Jérusalem. Quels sont les enjeux d’une telle découverte ? Décryptage.
D’où vient ce papyrus ?
Ce papyrus n’a pas été découvert lors de fouilles archéologiques officielles ; son origine est donc incertaine. Il proviendrait de l’une ou l’autre des nombreuses grottes qui jalonnent le désert de Judée sur les rives occidentales de la mer Morte. La région offre un environnement propice à la conservation de ces documents fragiles et a déjà livré près d’un millier de manuscrits antiques copiés sur parchemin ou papyrus. La plupart d’entre eux ont été découverts par des Bédouins locaux qui connaissent ces grottes mieux que quiconque et savent la valeur d’une telle trouvaille sur le marché des antiquités.
Sauf que, cette fois-ci, les autorités israéliennes, ayant appris la mise en vente d’un nouveau papyrus, ont lancé une opération que l’on imagine digne d’Hollywood et sont parvenues à confisquer le précieux document. Il faut dire que ce n’est pas une première pour l’AAI, qui lutte avec acharnement contre un tel commerce au point d’avoir par le passé accusé à tort tel ou tel scientifique en une véritable chasse aux sorcières.
Que contient ce papyrus ?
Seules trois lignes d’écriture hébraïque ont été conservées sur une bande de papyrus qui, en l’état actuel, mesure 10,9 × 3,2 cm. La déchirure au sommet et la marge inférieure montrent que l’on a affaire à la toute fin de ce document dont je propose la lecture provisoire suivante :
2′ נת.המלך ממערתה.נבלים.יי
3′ ן.ירשלמה.
2′… le roi, ‹en provenance› de sa caverne, deux jarres ‹contenant› du vi-
3′ n, à ‹destination de› Jérusalem.
Les quelques traces de lettres au sommet ne permettent pas de reconstituer la première ligne et encore moins celles qui précédaient. Les deux premières lettres de la deuxième ligne préservent la fin d’un mot dont la restitution est, elle aussi, incertaine. Viennent ensuite la mention du roi puis celle d’un terme que mes collègues israéliens lisent « de Naarata ».
Je traduirais plutôt « de Vers-Naarat » mais, sur la photographie que j’ai pu consulter, la première lettre pourrait être un M, si bien que je propose provisoirement de lire « de sa caverne » ou « de Vers-Maarat », en attendant de pouvoir examiner le fragment lui-même. Maarat est une ville judéenne mentionnée dans la Bible (Josué 15,59), mais le même terme signifie « caverne », si bien que les deux traductions sont possibles, la caverne faisant alors office de cave à vin. Le nombre de jarres est incertain : je propose de lire « deux » mais on peut tout aussi bien lire « des ».
Last but not least, le document s’achève en précisant la destination de ces jarres : Jérusalem. C’est ce dernier mot qui suscite l’attention des médias puisque, nous dit-on, c’est la première fois que la ville sainte apparaît sur un tel papyrus.
La mention de Jérusalem
Selon l’AAI, une datation au carbone 14 situerait le papyrus au VIIe siècle avant J.-C. Les datations basées sur le carbone 14 ou sur la forme des lettres donnent en réalité des résultats peu précis à cette période, si bien que le papyrus pourrait dater du siècle précédent ou des siècles suivants.
S’il est rare qu’un document aussi fragile traverse les âges, l’usage du papyrus est confirmé par les centaines de bulles d’argile semblables à celle présentée l’an dernier et qui préservent souvent au revers les traces du papyrus jadis scellé. Un autre papyrus, qui pourrait dater de la même époque, avait ainsi été découvert en 1952 dans une grotte du désert de Judée, à Mourabbaat. De telles découvertes restent exceptionnelles.
On comprend dès lors l’intérêt suscité par la mention de Jérusalem sur ce papyrus. Ce n’est pourtant pas la première fois que cette ville apparaît dans l’histoire : on la trouve par exemple sur une inscription hébraïque gravée sur la paroi d’une grotte judéenne à Khirbet Beit Lei, à l’ouest de Hébron. Surtout, elle apparaît dès le XIVe siècle avant J.-C. dans la correspondance entre le pharaon Akhénaton et son vassal à Jérusalem. Elle pourrait même être attestée plusieurs siècles auparavant dans d’autres textes égyptiens.
L’existence d’un royaume de Juda est quant à elle bien documentée dès le IXe siècle et ce jusqu’à la prise de sa capitale, Jérusalem, par les Babyloniens vers 587 avant J.-C. D’un point de vue historique et archéologique, il ne fait aucun doute qu’au VIIe siècle Jérusalem était la capitale du royaume de Juda et portait déjà ce nom.
Entre politique et hypercritique
Comment expliquer, alors, que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou brandisse le jour même une pancarte avec une photographie géante de ce papyrus ? C’est que, ce même jour encore, l’Unesco se prononçait sur un projet de résolution (200 EX/PX/DR.25.2 Rev.) concernant la « Palestine occupée » dans lequel l’État d’Israël est qualifié de « puissance occupante », y compris à Jérusalem.
Ce n’est pas la première mouture de ce projet, qui avait déjà fait scandale au printemps. La version révisée se veut plus modérée et rappelle notamment l’importance de Jérusalem « pour les trois religions monothéistes ». Dans les faits, elle s’intéresse néanmoins au patrimoine arabo-musulman au détriment de celui du judaïsme ou du christianisme. Or, dans un contexte tendu où l’État islamique n’hésite pas à détruire de nombreux sites archéologiques, l’Unesco doit s’élever au-dessus des conflits politiques et religieux pour préserver le patrimoine culturel de l’humanité.
À Jérusalem, ce patrimoine englobe aussi bien des fortifications cananéennes du IIe millénaire avant J.-C. que des murailles érigées au XVIe siècle par le sultan ottoman Soliman le Magnifique, en passant par le temple du roi Hérode le Grand ou l’église du Saint-Sépulcre. C’est l’ensemble de ce patrimoine plurimillénaire que l’Unesco doit protéger, y compris contre les récupérations politiques de tout bord.
D’ailleurs, une telle instrumentalisation pourrait s’avérer fatale à ce papyrus, très vite accusé de contrefaçon : Jérusalem mentionnée dans un texte hébreu vieux de 2 700 ans alors même que l’Unesco est appelée à voter une résolution pro-palestinienne, voilà qui tombe à pic ! De fait, l’authenticité de ce fragment ne peut être prouvée, et il convient d’être prudent à ce sujet, indépendamment des questions politiques d’ailleurs. Il y a quelques mois de cela, j’attirai l’attention sur la circulation possible de manuscrits de la mer Morte contrefaits.
Ce problème n’est pas nouveau ; Ernest Renan disait déjà en 1876 :
« Les faussaires menacent de causer bientôt tant d’embarras aux études d’épigraphie et d’archéologie orientales qu’il faut placer au nombre des plus signalés services celui de démasquer ces sortes de fabrications ».
Si la prudence s’impose, certains se font une spécialité de remettre systématiquement en question l’authenticité de chaque découverte. C’est une posture facile : si l’objet s’avère contrefait, on se targue d’avoir été le premier à le signaler. Si l’objet s’avère authentique (mais le saura-t-on jamais ?), on dira sobrement avoir été prudent. Il est en réalité bien plus difficile de se risquer à évaluer l’authenticité d’un objet et à émettre un avis aussi informé que possible.
Un papyrus mystérieux
Le sensationnel assorti à la présentation de ce papyrus en finirait presque par éclipser les questions que soulève sa lecture. Est-ce le roi de Juda qui fait venir à Jérusalem du vin pris sur ses réserves personnelles ? Est-ce l’un de ses sujets qui lui envoie ce vin, comme cadeau ou comme impôt ? Est-ce un roi voisin qui offre à son homologue judaïte quelques-unes de ses meilleures bouteilles ? Que contenaient les lignes précédentes ? S’il est authentique, ce papyrus n’a pas fini de nous livrer ses secrets !
Michael Langlois, Docteur ès sciences historiques et philologiques, membre de l’IUF, maître de conférences HDR, Université de Strasbourg
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.