Lionel Cavicchioli, The Conversation
La question de la fermeture des écoles fait l’objet de débats récurrents depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Il est désormais clair que les formes sévères de la maladie ne touchent que très exceptionnellement les enfants.
Mais qu’en est-il de la capacité des plus jeunes à transmettre le virus ? Le fait de maintenir les écoles ouvertes est-il problématique ? Leur fermeture peut-elle être efficace ? Pourquoi est-il si difficile d’obtenir un consensus sur la question du rôle des écoles dans la dynamique de l’épidémie de Covid-19 ?
Pour le comprendre, nous avons interrogé cinq experts.
« Dans nos modèles, nous ne considérons pas que les enfants ont un profil différent des adultes »
• Mircea Sofonea, maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l’Université de Montpellier
Évaluer la contribution des enfants à la dynamique de l’épidémie est depuis le début un enjeu crucial de notre compréhension de l’épidémie, mais elle se heurte à des difficultés méthodologiques fortes et soulève légitimement la question de la balance coût-bénéfice de mesures ciblant le milieu scolaire. Sur ce sujet précisément, toutes les conclusions des études ne sont pas allées dans le même sens. Certaines références françaises ont initialement minimisé cet impact, avant les résultats de l’étude ComCor de l’Institut Pasteur, alors que les références allemandes et britanniques se montraient plus pessimistes. D’après les Allemands, les charges virales sont aussi élevées chez les enfants que dans le reste de la population, ce qui a été confirmé plus récemment par des travaux américains. Un rapport britannique avait estimé que la transmissibilité des jeunes (jusqu’à 16 ans) est plus de deux fois supérieure à celles des adultes. Nos voisins d’outre-Manche sont d’autant plus pessimistes que le variant qui a émergé sur leur territoire se reproduit plus facilement chez les plus jeunes que la souche historique, ce que nous avons constaté en France également.
Une des difficultés est d’avoir des données sur ces classes d’âge et de pouvoir distinguer entre sur-contagiosité (risque de transmettre l’infection) ou de la sur-susceptibilité (risque de développer l’infection à exposition égale). Les plus jeunes étant majoritairement paucisymptomatiques (font peu de symptômes) ou asymptomatiques, ils ne rentrent pas dans les critères de dépistage (la Société française de pédiatrie a d’ailleurs limité les indications de dépistage PCR pour les enfants de moins de six ans), ce qui restreint la possibilité de mettre au jour et d’éteindre des chaînes de transmissions transitant par les écoles.
Autre difficulté : il est compliqué de déterminer le taux de contacts véritable des enfants et adolescents. Mais une chose est sûre, par définition les enfants ont plus de contacts que les autres classes d’âge, car ils sont exposés à leurs camarades. Cette surexposition doit-elle être prise en compte ? Personnellement je suis partisan d’avoir une approche plutôt parcimonieuse et conservative, autrement dit de ne pas considérer que les enfants ont un profil différent des adultes.
Contrairement à d’autres équipes comme celle de Vittoria Colizza, nous n’avons pas travaillé spécifiquement sur les écoles. Cependant, dans nos modèles, nous ne rendons pas les enfants plus ou moins contagieux ou plus ou moins susceptibles que les adultes (en revanche nous ne les intègre pas de la même façon dans les modèles d’hospitalisation, évidemment, puisque les formes sévères ne les concernent que de façon très exceptionnelle).
Concernant la mise en place de restrictions, il est clair que l’école est un lieu de contamination, dont la fermeture représente un levier de freinage épidémique. Mais c’est aussi un lieu trop essentiel pour être considéré comme une cible première de mesures de restriction.
« On a tendance à penser que les enfants vont être moins transmetteurs parce qu’ils font des formes asymptomatiques »
• Pascal Crépey, épidémiologiste et biostatisticien à l’École des Hautes Études en Santé Publique
Ce qui est clair, c’est qu’il est compliqué de suivre la dynamique de l’infection dans les écoles, principalement parce que les enfants ne font pas de forme sévère, et peu de formes symptomatiques. À moins de les tester très régulièrement, qu’ils aient des symptômes ou non, il est difficile d’obtenir une image claire de la dynamique.
La question à laquelle il faut répondre est « Est-ce que les enfants ont une contribution plus importante que les adultes dans la dynamique de l’épidémie ». C’est en effet cela qui justifierait qu’ils soient ciblés en priorité par des mesures de restriction.
Or, la dynamique de la grippe nous enseigne que les personnes sans symptômes, même s’ils ne s’isolent pas, sont moins contaminantes que les personnes malades. En effet, ils ne toussent pas, n’éternuent pas et donc excrètent moins de particules virales. Par ailleurs, même si les études divergent, leur charge virale est aussi moindre, ce qui fait qu’ils ont, a priori, aussi moins de virus à excréter.
Partant de là, on a tendance à penser que les enfants vont être moins transmetteurs parce qu’ils font des formes asymptomatiques. C’est cependant compensé par le fait que les enfants vont avoir beaucoup de contacts les uns avec les autres, et vont sûrement moins respecter la distanciation physique, le port du masque, le lavage des mains… Toutefois depuis la réouverture des écoles, des protocoles sanitaires ont été mis en place. Même si leur respect peut varier d’une école à l’autre, ils limitent encore un peu plus les contaminations à l’école.
Concernant l’installation du variant d’origine britannique étant donné qu’il est plus transmissible que la souche historique à tous les âges, on peut s’attendre à ce qu’il y ait aussi une augmentation des contaminations chez les plus jeunes, mais elle sera du même ordre que dans le reste de la population. La fraction des contaminations attribuable aux enfants ne changera pas.
Ces dernières semaines il y a eu un effort particulièrement important de dépistage dans les écoles. Entre la semaine 10 et la semaine 11, le nombre de tests pratiqués a augmenté de 40 %. Cette augmentation provoque une augmentation de l’incidence puisqu’on trouve plus de tests positifs. Cependant l’incidence chez les 10-14 ans reste inférieure à l’incidence chez les adultes. Il y a donc des infections chez les enfants, mais elles sont en nombre plus limité que dans les populations adultes.
« La question du maintien ouvert des écoles est avant tout une question de balance bénéfice-risque »
• Christèle Gras-Le Guen, professeure de pédiatrie, présidente de la société française de pédiatrie
Un an après, le rôle joué par les écoles dans la dynamique de l’épidémie reste un des points sur lesquels la communication est la plus confuse et la plus difficile.
Personne ne conteste que les écoles sont un lieu de contamination potentielle et pourraient abriter des foyers infectieux : nous avons dit que les enfants étaient très peu contagieux, mais nous n’avons pas dit qu’ils ne l’étaient pas du tout. Cependant, on constate qu’en général, les enfants se font plutôt contaminer par les adultes ; l’inverse est plus rare. Ce n’est pas impossible, mais entre ce qui est possible en théorie et ce que l’on constate en pratique, il y a une différence. On constate que les contaminations surviennent surtout dans le milieu intrafamilial (repas et réunions privées).
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Nous avons publié un article qui fait l’état des lieux en France deux mois après la rentrée scolaire de septembre. On remarque non seulement que la circulation virale chez les enfants et les adolescents est très inférieure à ce qu’on observe chez l’adulte, mais aussi que très peu de classes ont été fermées et que très peu de clusters ont été investigués à l’école. En outre, les chiffres du ministère de l’Enseignement indiquent que très peu d’enseignants ont été contaminés.
Un point sur lequel on manque de données est la question de la contagiosité des enfants asymptomatiques, et leur proportion. En effet, jusqu’ici les enfants qui ont été testés l’ont été soit parce qu’ils avaient été en contact avec un cas positif, soit parce qu’ils étaient symptomatiques, mais aucun test systématique n’a été fait sur des enfants non symptomatiques. L’arrivée des tests salivaires dans les écoles a permis de mieux décrire le portage du virus en l’absence de symptôme chez l’enfant. Ainsi, le bulletin de l’Éducation nationale indique que parmi 200 404 tests réalisés entre le 15 et le 22 mars, seul 0,49 % élèves étaient positifs et donc potentiellement contaminants, ce qui confirme que la contribution des enfants asymptomatiques à la dynamique de l’épidémie est marginale.
Il ne s’agit pas de dire que le risque épidémique à l’école n’existe pas. Cependant, il est mineur par rapport au bénéfice attendu pour la santé des enfants, de laisser les écoles ouvertes, afin qu’ils puissent mener une vie aussi normale que possible. C’est d’autant plus important que l’on constate que la santé mentale des plus jeunes est particulièrement dégradée par la crise sanitaire. La question du maintien ouvert des écoles est avant tout une question de balance bénéfice-risque qui doit être adaptée au niveau de circulation du virus, à l’âge des enfants et constitue la dernière mesure à prendre quand tout le reste a échoué (confinement strict, mesures barrières optimisées, vaccination intensifiée des professionnels de l’enfance).
« Les écoles jouent un rôle dans la dynamique de l’épidémie »
• Dominique Costagliola, épidémiologiste et biostatisticienne, directrice adjointe de l’Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique
Je comprends tout à fait que l’on puisse décider qu’il est important, pour de nombreuses raisons, que les enfants continuent à aller à l’école.
Cependant, une politique qui consiste à déclarer qu’« il faut garder les écoles ouvertes » implique de mettre en place des mesures qui permettent de gérer correctement le risque associé à cette décision (aération, masques, distanciation, dépistage…).
Or, à l’heure actuelle, compte tenu de la très forte circulation du virus, je ne suis pas sûre que ce soit possible. Il est important de souligner que les résultats publiés dans la littérature scientifique sérieuse ont bel et bien mis en évidence que les écoles jouent un rôle dans la dynamique de l’épidémie.
À ce sujet, un point interpelle fortement : comment est-il possible que l’on ait pu tolérer que la définition d’un cas contact à l’école ne soit pas la même que celle utilisée par Santé Publique France et la Caisse nationale d’Assurance Maladie partout ailleurs ?
(ndlr : dans les écoles, si un enseignant est positif, ses élèves ne sont pas considérés comme contacts à risque « car l’enseignant porte un masque » – si un seul enfant est positif dans une classe : les autres enfants ne sont pas contacts à risque « car ils sont peu actifs dans la chaîne de transmission du virus ». Une classe n’était fermée qu’à partir de trois cas avérés. Les choses ont changé récemment dans les départements reconfinés : toute classe y sera fermée « dès qu’un premier cas sera détecté ».)
Cette définition du cas contact a permis de laisser entendre qu’il n’y avait pas de problème dans les écoles. À l’étranger, en Allemagne et en Angleterre, les écoles ont été fermées quand des mesures sévères ont été décidées. Dans une tribune publiée le 24 février dernier dans le journal Le Monde, Mélanie Heard et François Bourdillon soulignaient bien l’importance de reconnaître le rôle de l’école dans la dynamique de l’épidémie.
« Si l’on veut garder les écoles ouvertes tout en maîtrisant davantage l’épidémie, il faut s’assurer de l’efficacité des protocoles »
• Vittoria Colizza, directrice de recherche Inserm au sein de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique
La susceptibilité des enfants et leur rôle dans la dynamique de l’épidémie sont des points qui ont été étudiés très tôt dans la pandémie.
Jusqu’à aujourd’hui, les conclusions de ces travaux n’ont pas changé : avant 20 ans, les individus sont moins susceptibles d’être infectés, et la contagiosité des enfants en bas âge est réduite.
Il y a probablement eu un malentendu initial : certains ont peut-être cru que les enfants à l’école n’attrapaient pas la maladie. Ce n’est pas le cas, comme l’ont confirmé les travaux de l’équipe d’Arnaud Fontanet à l’Institut Pasteur, portant sur le risque d’infection des élèves en fonction de l’âge. Cependant, la plupart de cas passaient davantage inaperçus, car ils étaient asymptomatiques. Les cas n’étaient détectés que lorsqu’un cas symptomatique survenait, ou après une enquête destinée à retracer les cas contacts dans un foyer infecté par exemple.
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La seule nouveauté des derniers mois, c’est que le variant britannique se transmet plus facilement et est à l’origine de davantage de formes plus sévères, ce qui -dans des conditions d’incidence élevée comme aujourd’hui en France- amène a détecter plus de cas dans les écoles désormais. En outre, dans des conditions le virus circule moins ailleurs puisque de nombreux lieux sont fermés, que les gens télétravaillent, forcément, les contaminations dans les écoles prennent plus d’importance.
Une chose est certaine, si l’on veut garder les écoles ouvertes tout en maîtrisant davantage l’épidémie, il faut s’assurer de l’efficacité des protocoles en place.
Nos derniers travaux, menés avec l’équipe d’Alain Barrat (CNRS) avaient justement pour objectif de comprendre si un dépistage régulier dans les écoles permettrait de diminuer le nombre de cas. En nous basant sur des données de contact collectées dans une école de 250 élèves, nous avons construit un modèle de propagation de l’épidémie au sein de cet établissement situé dans un département « reconfiné ». Ce modèle nous a permis de comparer l’efficacité du protocole actuellement en place (fermeture de classe dès qu’un cas de Covid-19 est avéré chez un enfant) à divers scénarios de dépistage (PCR sur prélèvement nasopharyngé, PCR sur prélèvement salivaire, test antigénique sur prélèvement nasopharyngé).
La fermeture de la classe selon le protocole classique permet de diminuer de 10 à 20 % le nombre de cas au sein de l’école sur un trimestre. Nous avons comparé ce protocole avec des protocoles de dépistage régulier : test une fois toutes les 2 semaines, une fois par semaine, deux fois par semaine, et chaque jour d’école. Nous avons découvert que le paramètre clé n’est pas la sensibilité des tests, mais la fréquence de dépistage, et l’adhésion.
Si seul un quart des élèves participe (adhésion faible, dans le cas de tests nasopharyngés, désagréables…), il faudrait faire un dépistage presque tous les jours pour identifier les cas et ainsi réduire davantage la propagation de l’épidémie. Si les trois quarts des élèves participent (cas des tests salivaires, moins désagréables), on est capable d’atteindre les mêmes niveaux de réduction d’impact sur l’épidémie en ne faisant qu’un test par semaine.
Si on veut garder les écoles ouvertes au maximum, il faut donc tendre vers ce genre de protocole, beaucoup plus performant que le protocole actuel. En effet, avec ce dernier, la fermeture de la classe survient généralement trop tard, elle n’empêche pas la propagation du virus aux autres classes. En Suisse, dans certains cantons des tests sont pratiqués toutes les semaines. Au Royaume-Uni, des autotests ont été mis en place, deux fois par semaine.
Lionel Cavicchioli, Chef de rubrique Santé, The Conversation
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.