Bernard Marty, Université de Lorraine et Shogo Tachibana, University of Tokyo
Nous vivons une période extraordinaire pour l’exploration du système solaire. Dans les deux prochaines décennies, des échantillons d’astéroïdes, de la Lune, de Mars, et peut-être de comètes vont être ramenés par des missions spatiales dédiées.
Des échantillons prélevés sur d’autres corps planétaires, comme Mars par exemple, nous diront si la vie y a existé. L’analyse de roches et poussière échantillonnées sur des astéroïdes qui n’ont pas évolué depuis 4,567 milliards d’années permettra de mieux comprendre d’où vient la matière qui a formé le système solaire et comment elle a évolué dans les premiers millions d’années.
L’origine des éléments volatils formant les océans terrestres et les atmosphères planétaires sera investiguée.
L’âge d’or de l’exploration lunaire
Dans les années 70, environ 380 kg de roches et sols lunaires ont été ramenés sur Terre grâce aux missions Apollo de la NASA et dans une moindre mesure aux missions soviétiques Luna. Des centaines de laboratoires ont analysé la composition des premiers échantillons ramenés d’une autre planète. Ces recherches ont permis de comprendre comment non seulement la Lune, mais également les autres planètes se sont formées et ont évolué.
La composition du Soleil a été précisée par l’analyse des ions solaires implantés dans les sols lunaires, et la nature et le flux de matière externe sur les surfaces planétaires a été quantifié. Ces investigations ont nécessité le développement de nouvelles méthodes analytiques, qui se sont améliorées au fil du temps, et dont la limite est maintenant l’échelle atomique.
Ces missions étaient avant tout dictées par des enjeux stratégiques et cette période miraculeuse pour la cosmochimie fut malheureusement suivie par un désintérêt pour ce type de mission pendant les trois décennies suivantes, la lune n’ayant plus d’intérêt géostratégique.
Les météorites comme seuls espions
Les seuls échantillons extraterrestres disponibles étaient les météorites provenant de petits corps, les astéroïdes et, comment on devait l’apprendre plus tard, la surface de la Lune et de Mars. Ces échantillons de grand intérêt étaient cependant souvent dégradés par des chocs ayant provoqué leur éjection de leurs corps parents et par leur interaction avec l’environnement terrestre.
Dans les années 2000, les missions de retour d’échantillon ont refait surface sous l’impulsion de géochimistes américains. La mission NASA Genesis a échantillonné la matière solaire éjectée par notre étoile, dont l’analyse a permis de résoudre deux grands problèmes de cosmochimie: les compositions isotopiques de l’oxygène et de l’azote dont les variations importantes et non comprises étaient utilisées comme indicateurs de filiation entre différents corps planétaires.
La mission NASA Stardust a permis d’échantillonner quelques grains cométaires lors du passage du vaisseau spatial dans la queue de la comète Wild2. Ces grains, fortement dégradés lors du prélèvement à haute vitesse, ont cependant permis de montrer le brassage de la matière dans le disque entourant notre étoile, depuis ses régions les plus centrales jusqu’au système solaire externe réservoir des comètes. Ces résultats ont permis de mieux comprendre comment des systèmes stellaires – étoile centrale et disque planétaire – se forment et évoluent durant les premiers millions d’années.
L’agence spatiale japonaise JAXA a ouvert la voie aux missions actuelles et futures de retour de matière extraterrestre. La mission Hayabusa («faucon» en japonais) a ramené en 2010 quelques milligrammes de grains échantillonnés sur l’astéroïde Itokawa. Plusieurs problèmes techniques qui ont failli faire échouer ce retour ont pu être surmontés grâce à l’ingéniosité des ingénieurs japonais et à des miracles technologiques. Cette mission a établi un lien de parenté entre cet astéroïde et une classe bien définie de météorites.
Elle a aussi permis à la JAXA de préparer des missions du même type grâce au savoir-faire acquis. Hayabusa2 avait pour but d’échantillonner un astéroïde d’un autre type, appelé Ryugu, qui est supposé riche en matière organique et en minéraux ayant interagi avec de l’eau liquide.
La lumière réfléchie par cet astéroïde a, en effet, des caractéristiques similaires à celles obtenues en laboratoire pour une classe de météorites, les chondrites carbonées. Ces météorites sont riches en minéraux hydratés, en carbone, en azote, éléments formateurs de l’atmosphère terrestre et des océans, et an acides aminés, briques potentielles d’une activité biologique sur Terre.
La mission a décollé en 2014 et atteint sa cible en 2018. Le robot a échantillonné des grains et de la poussière à deux endroits. Le second échantillonnage fut particulièrement acrobatique puisqu’il consista à envoyer d’abord une charge explosive, le vaisseau spatial l’ayant largué s’étant réfugié derrière l’astéroïde, puis à prélever du matériel frais au centre du cratère formé.
Le vaisseau spatial a quitté l’astéroïde en novembre 2019 et a ramené sa précieuse cargaison en larguant la capsule contenant les échantillons qui atterrit le 5 décembre 2020 à Woomera en Australie. La capsule étant étanche, le gaz ambiant à l’intérieur a été récupéré et sera analysé dans plusieurs laboratoires. L’échantillonnage a été envoyé au centre de la JAXA à Tokyo, où les scientifiques ont eu l’excellente surprise de découvrir 5,4 grammes de grains et de poussière noire, 50 fois plus que la quantité nominale attendue.
Les techniques analytiques modernes vont permettre à des dizaines de laboratoires d’analyser pratiquement au niveau atomique ces grains, tout en conservant la moitié pour les générations futures. Dans le cas des échantillons lunaires dont une partie a également été réservée pour des recherches postérieures au retour, les progrès des techniques analytiques ont permis d’accroître de plusieurs ordres de grandeur la qualité des analyses faites dans les années 70.
La NASA a également développé une mission d’échantillonnage d’un astéroïde du même type appelé Bennu, avec des objectifs scientifiques similaires. D’ailleurs les deux équipes, japonaise et américaine, collaborent activement dans ces deux missions. La mission Osiris Rex d’un coût de 650 Millions d’Euros a été lancée en 2016 et a atteint son but deux ans plus tard. Le vaisseau spatial a patiemment cartographié l’astéroïde pendant deux ans et l’échantillonnage a eu lieu le 20 octobre 2020. La masse recueillie n’est pas encore connue, mais semble être de l’ordre du kilogramme. Le processus a été tellement efficace que le couvercle de l’échantillonneur ne pouvait pas se refermer, ce qui a contraint l’équipe à stocker les échantillons rapidement dans la capsule de retour. Le retour sur terre prévu le 24 septembre 2023 permettra à de nombreuses équipes internationales, dont la nôtre, d’explorer en détail l’origine de la matière primitive dans le système solaire et celle de l’atmosphère et des océans.
Contrairement aux autres agences spatiales internationales, l’agence Spatiale Européenne (ESA) n’a pas développé de mission spécifique de retour d’échantillon, malgré le dynamisme de la communauté cosmochimique européenne, préférant se concentrer sur l’envoi de télescopes spatiaux pour observer des exoplanètes, et privilégiant des missions d’observation in situ, comme la mission Rosetta qui a analysé avec succès la composition de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko.
Cependant, l’ESA s’est associée avec la NASA pour ramener des échantillons de Mars en 2031, pour un coût total qui dépassera les 7 milliards d’Euros. Il s’agit d’un ensemble complexe de missions successives, dont l’échec de l’une d’entre elles compromettra le retour de matière martienne. Ce projet s’inscrit bien sûr dans la perspective de l’envoi sur Mars d’humains: avant de ramener des personnes, il faut d’abord caractériser au mieux l’environnement martien, et, prosaïquement, être capable de ramener quelque chose de la planète rouge ! Un rover est en route pour échantillonner des dépôts lacustres fossiles, avec entre autres l’espoir de trouver des traces de vie passée, voire actuelle. Cette recherche d’activité biologique a d’ailleurs un revers pour les géochimistes: les échantillons devront être traités dans une facilité biologique de type P4, jusqu’à ce qu’ils soient déclarés biologiquement inertes par stérilisation. En effet, ces contraintes de confinement ne permettront pas la finesse analytique prévue étant donné la complexité et la taille des équipements nécessaires.
La fête ne s’arrêtera pas là: la mission MMX de la JAXA qui décollera en 2024 va échantillonner une des deux lunes de Mars avec un retour dans les laboratoires terrestres en 2029.
L’agence spatiale chinoise CNSA a aussi de grandes ambitions dans ce domaine, projetant d’échantillonner la Lune – ce qu’elle a déjà commencé à faire avec la mission Chang’e 5 qui a ramené des basaltes les plus jeunes de notre satellite le 16 décembre 2020. Mais la Chine souhaite aussi ramener sur Terre des échantillons de l’astéroïde Kamo’oalewa vers 2032 (mission Zheng He) et de Mars à l’horizon 2040 ou avant.
Plusieurs projets américains visent à analyser de la matière cométaire ramenée sur Terre, bien qu’aucune mission ne soit sélectionnée pour l’instant. Outre leur intérêt scientifique, ce type de missions a également comme conséquence d’accroître la connaissance technologique du domaine spatial, et de dynamiser la technologie analytique, dont l’Europe est un des leaders.
Bernard Marty, professeur de géochimie, Université de Lorraine et Shogo Tachibana, Professor of Cosmochemistry, University of Tokyo
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.