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Alstom : un échec de l’État stratège ?

Michel Albouy, Grenoble École de Management (GEM)

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Alstom (Photo credit: Thomas.L via Visual Hunt / CC BY-ND)

Le groupe Alstom a annoncé le 7 septembre 2016 aux représentants des syndicats la fin de la production de locomotives dans son usine de Belfort qui très symboliquement avait fabriqué la première motrice de TGV, un des fleurons de la technologie ferroviaire à la française. Ne resteraient que des activités de maintenance sur le site ce qui entraînerait la suppression de 400 des 480 postes de l’usine de Belfort.

Aussitôt, le PDG du groupe industriel a été convoqué le 8 septembre par le ministre des Finances et de l’Économie Michel Sapin. Le fait que les tous les salariés concernés se verront proposer un transfert vers une autre usine du groupe, notamment celle de Reichshoffen, ne change rien au choc ressenti par les employés d’Alstom qui se sentent trahis une fois de plus. Afin de montrer que l’État suit le dossier et s’active, une réunion interministérielle spécialement dédiée à la situation d’Alstom, présidée par le Président François Hollande, a été organisée dans l’urgence dès le lundi 12 septembre à 8h30 à l’Élysée.

Ce faisant, l’État fait davantage penser à un pompier qu’à un acteur stratège de long terme. Mais comment peut-il faire autrement à quelque mois d’une élection présidentielle et ce d’autant plus qu’il est, avec 20 % du capital, le principal actionnaire de la société ? Une fois de plus l’actualité économique s’invite dans le débat politique. Le cas d’Alstom pose une fois de plus la question de l’utilité de la présence de l’État au capital d’entreprises industrielles et sa capacité à infléchir leurs stratégies. La question n’est malheureusement pas nouvelle.

Alstom : une histoire industrielle riche et mouvementée

L’industrie n’est pas un long fleuve tranquille et seuls ceux qui ne la connaissent pas peuvent croire que les entreprises peuvent rester en l’état et ne pas bouger. Bref, pour faire court, qu’Alstom à Belfort a produit et produira pour toujours des locomotives. Malheureusement il n’en est rien.

Locomotive Alsthom BB 20210 construite en 1969, au musée de Mulhouse.
Hugh Llewelyn/Flickr, CC BY-SA

La société Als-Thom (Als pour « Alsace » et Thom pour « Thomson ») est le résultat d’une fusion réalisée en 1928 d’une partie de la Société alsacienne de construction mécanique (SACM) spécialiste de la construction de locomotives, basée à Belfort, et d’une société franco-américaine (Thomson-Houston) spécialiste des équipements de traction électrique ferroviaire. Depuis sa création, Alsthom a connu de très nombreux changements de statut, avec des allers-retours privé-public, et de périmètres d’activités. L’histoire industrielle de ce groupe est telle qu’il est hors de propos de pouvoir l’exposer ici. Signalons cependant le fait qu’en 1969 la CGE (Compagnie générale d’électricité) prend son contrôle, qu’en 1976 Alsthom acquiert les Chantiers de l’Atlantique et prend le nom d’Alsthom Atlantique, et qu’en 1982 elle est nationalisée comme du reste la CGE dans le cadre de l’application de programme commun de la gauche sous la présidence de François Mitterrand.

En 1998, 52 % du capital de GEC Alsthom est introduit en bourse. La nouvelle société indépendante décide alors de prendre le nom d’Alstom sans « h » laissant de côté ses origines historiques. En 2003, le groupe, pénalisé par les difficultés de ses turbines de grande puissance, connaît une grave crise financière. Cette crise est surmontée grâce à deux augmentations de capital successives et l’intervention de l’État grâce à l’intervention de Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie.

Par la suite de nombreuses cessions auront lieu, notamment la vente à Areva du secteur Transmission et Distribution en 2004 et la vente des chantiers navals en 2006 pour ne citer que les plus emblématiques.
C’est en 2014 que le dossier Alstom revient sur la table de « l’État stratège » avec le rachat par General Electric des activités énergétiques du groupe industriel. Cette vente fera l’objet de vives controverses car elle revient pour certains observateurs, dont Jean-Michel Quatrepoint (Le Figaro, 7 janvier 2015), à placer sous la coupe de la firme américaine les turbines produites par Alstom et la maintenance des centrales nucléaires françaises. Une situation contraire aux promesses du ministre de l’Industrie Arnaud Montebourg mais validée par la suite par Emmanuel Macron, son successeur.

C’est dans ce contexte déjà très chargé politiquement, que l’annonce par les dirigeants d’Alstom de fermer le site de Belfort et la production de locomotives a fait l’objet d’une bombe à retardement. Pour le premier ministre Manuel Valls « la méthode employée par Alstom est inacceptable. Nous l’avons dit cette semaine aux dirigeants d’Alstom », entreprise dont l’État est actionnaire minoritaire (« Grand rendez-vous » Europe 1, iTélé, Les Echos). Pour Nathalie Kosciusko-Morizet (candidate à la primaire de la droite), « L’État se réveille bien tardivement parce qu’en fait, cela fait des années que ça dérive. […] Il y a eu une opération de sauvetage réussie grâce à Nicolas Sarkozy en 2004 sur Alstom. Et depuis, il y a eu un enchaînement de difficultés, des errements de l’État et du management », (Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI). Bref, la machine politico-médiatique est lancée.

Alstom : une entreprise en difficulté ?

Mais quelle est aujourd’hui la situation financière du groupe Alstom ? Recentré sur les transports, le groupe vient d’annoncer un bénéfice net de 3 milliards d’euros pour son exercice annuel clos le 31 mars 2016 alors qu’en 2015 il affichait une perte de 701 millions d’euros. Le groupe qui a finalisé le 2 novembre 2015 la cession de son pôle énergie au groupe américain General Electric (GE) pour un montant de 9,7 milliards d’euros est aujourd’hui totalement recentré sur le ferroviaire.

Train à grande vitesse ED250 en Pologne (fabriqués par Alstom en Italie).
Phil Richards/Flickr, CC BY-SA

Le chiffre d’affaires ressort en hausse de 12 % sur un an, ce qui dans le contexte actuel de faible croissance est très satisfaisant. Le résultat d’exploitation est en progression de 23 % sur un an, faisant ressortir une marge d’exploitation de 5,3 %, ce qui témoigne d’une amélioration sensible de sa rentabilité. Le bilan est désormais solide. Avec des fonds propres qui s’élèvent à 3,3 milliards d’euros au 31 mars 2016 et une dette financière (courante et non-courante) de 2,4 milliards, le groupe affiche un équilibre financier satisfaisant surtout si on remarque que sa trésorerie (et équivalents) se monte à presque 2 milliards d’euros (1 961 millions).

Lors de la prochaine assemblée générale, le conseil d’administration proposera de ne pas distribuer de dividende, après la distribution aux actionnaires de 3,2 milliards d’euros issus de la vente du pôle énergie à travers une offre publique de rachat d’actions. La direction du groupe a confirmé ses objectifs pour 2020 : une croissance organique du chiffre d’affaires de 5 % par an et une marge d’exploitation ajustée d’environ 7 %. Avec des prises de commandes de 10,6 milliards d’euros (+6 %), le carnet de commandes s’établit à 30,4 milliards d’euros (+7 %).

Avec de tels chiffres, on ne peut pas dire qu’Alstom soit une entreprise en difficulté, contrairement à certaines déclarations de personnalités politiques. Mais loin de favoriser un débat serein, cette relative bonne situation financière pose un problème car elle renvoie à la question des licenciements boursiers, c’est-à-dire aux décisions de restructurations prises pour optimiser la rentabilité d’un groupe.

Quelle stratégie pour l’État actionnaire ?

Alors que le groupe Alstom emploie 30 970 salariés sur 105 sites implantés dans 60 pays, la polémique engagée, suite à l’annonce de la direction, fait que dans le débat public l’entreprise semble se résumer au seul le site de Belfort qui ne compte que 480 salariés. Il faut dire qu’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie avait déclaré dans l’usine en question au printemps 2015 :

« Notre objectif c’est zéro licenciement chez Alstom Transport. L’État sera aux côtés d’Alstom. Nous aurons des administrateurs au conseil d’administration et nous saurons peser. Nous aurons même la capacité de monter au capital ».

Avec de telles déclarations, on peut comprendre la déception des ouvriers de Belfort qui ont pris pour argent comptant les paroles du jeune ministre. Pourtant, la direction n’a pas annoncé des licenciements puisqu’il est prévu de transférer sa production de locomotives de Belfort à Reichshoffen (commune française du Bas-Rhin) d’ici 2018 et de reclasser le personnel. Mais rien n’y fait : il faudrait que Belfort continue à produire des locomotives même si les commandes se font plus rares. Et en la matière, l’État, via la SNCF, n’est pas en reste puisqu’une de ses filiales (Akiem) a passé commande récemment de 44 locomotives de manœuvre au constructeur allemand Vosslow plutôt qu’à Alstom. Où est passé le patriotisme économique cher à Arnaud Montebourg et bien d’autres dirigeants politiques français ?

De façon moins anecdotique, le cas de la fermeture du site d’Alstom à Belfort révèle l’insoutenable légèreté de l’État actionnaire et son manque de vision stratégique à long terme alors qu’il est lui-même premier actionnaire de l’entreprise. Pour Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS :

« Plus qu’un signe de l’abandon de la fonction stratégique de l’État, c’est surtout le signe d’une incohérence à la fois politique (que l’on mesure à l’aune des promesses contradictoires et des engagements réels) mais aussi temporelle de l’État. Ce dernier cherche à suivre simultanément une logique de court terme et de long terme. Or, la définition d’un « État stratège » implique en réalité que les fonctions de long terme de l’État soient clairement sécurisées ».

Si nous pouvons souscrire à ce propos, il nous paraît un peu rapide et fort contestable de profiter du cas d’Alstom pour faire le procès de la financiarisation des entreprises

« parce que les rythmes imposés par la financiarisation aux entreprises sont en réalité incompatibles avec les rythmes de la production et du développement des activités, en particulier dans les secteurs où les externalités positives, les effets induits et non directement visibles de ces activités, sont les plus importants ».

Outre que de telles affirmations ne sont pas démontrées et placent le débat à un niveau très éloigné de la fabrication de locomotives, le redressement commercial et financier d’Alstom et l’annonce de la vente de 28 futurs TGV aux États-Unis sont là pour démentir cette analyse.

En fait, l’analyse de la situation d’Alstom doit être replacée dans le cadre de la gouvernance des entreprises dont l’État est actionnaire et valide ce que nous écrivions à propos d’EDF :

« L’État, contrairement à un actionnaire privé, poursuit des objectifs, non seulement économiques, mais également politiques au sens le plus large. Ces derniers sont aussi nombreux et variés qu’est l’action politique qui va des questions économiques et sociales aux relations internationales. De plus, l’horizon de gestion d’un président de la République et de ses ministres est celui de leur mandat ce qui paradoxalement fait que l’actionnaire public a un horizon bien plus court (celui des élections) que celui des actionnaires privés qui doivent se préoccuper de la valorisation à long terme de leur capital, même si le marché leur assure une parfaite liquidité ».

En effet, même si ces derniers veulent revendre leurs actions à plus ou moins court terme il faut qu’ils se posent la question de savoir qui voudra racheter leur position et à quel prix ? Donc, qu’ils se préoccupent in fine de la valorisation à long terme de l’entreprise. Le graphique des cours d’Alstom sur les 5 dernières années comparé au CAC 40 montre que les actionnaires d’Alstom sont loin d’avoir surperformé le marché et sont bien patients : alors que le CAC 40 a progressé de 50 % sur la période (2011-2016), l’action Alstom a fait du surplace (avec une forte volatilité) et la reprise se fait attendre pour les actionnaires malgré les bons résultats 2016. Tyrannie des marchés financiers avez-vous dit ?

Alstom en bourse.

Dans le passé, l’État sous la houlette du Général de Gaulle et de ses successeurs a su jouer son rôle stratégique pour faire de l’industrie française un champion mondial. Citons notamment le nucléaire, le TGV, l’aéronautique et l’espace. C’était un autre monde. Mais aujourd’hui, dans une économie mondialisée dans laquelle ce sont les entreprises qui sont en première ligne, quels sont son bilan et ses marges de manœuvre ? Celles d’un stratège à long terme ou celles d’un pompier ?

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Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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