Didier Jourdan, Université Clermont Auvergne (UCA)
La rentrée scolaire est là, chacun se prépare, le cadre du retour à l’école a été défini mais les questions restent nombreuses tant la situation est inédite. La propagation des rumeurs, inquiétantes comme rassurantes, se poursuit et il n’est pas toujours facile de faire le tri. Mes enfants seront-ils protégés ? Est-il raisonnable de retourner à l’école alors que le virus est toujours là ? Le protocole sanitaire mis en place en France s’appuie-t-il sur des données solides ?
Il est nécessaire de faire le point des connaissances disponibles en cette veille de rentrée. En effet, la situation est totalement différente de celle que nous connaissions au début de l’épidémie en France, et qui a conduit à la fermeture des écoles. Nous utiliserons pour cela deux sources de données : le patient et minutieux travail épidémiologique de terrain et l’expérience concrète des autres pays.
Cadre scolaire et transmission du virus
Même si elles restent incomplètes, les connaissances relatives au rôle des écoles dans la transmission du virus progressent rapidement. Sans doute pouvons-nous mettre en avant trois informations clés.
La première concerne le très faible nombre de cas de transmission observés en milieu scolaire. Pour mémoire, ce sont 1,57 milliard d’enfants et de jeunes dans 190 pays qui ont été privés d’école pendant la première phase de l’épidémie. A ce stade, très peu de cas concernant des écoles ont observés. Ils ont tous été étudiés en profondeur.
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Le récent rapport du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies fait le point des résultats disponibles. Aucune de ces études n’a de valeur générale, mais ce sont des cas concrets finement étudiés qui permettent de comprendre les mécanismes de transmission.
En France, il a été observé qu’il n’y avait pas de transmission du virus par un enfant infecté bien qu’il ait fréquenté l’école et ait eu des interactions étroites avec les autres élèves et enseignants. Des études similaires en Irlande, Finlande, Australie et Singapour vont dans le même sens puisque seul un cas de transmission d’enfant à enfant a été documenté. La transmission d’enfant à enfant dans les écoles est ainsi très rare.
Par ailleurs, si les données sur l’impact de la réouverture des écoles sont encore limitées, celles qui sont disponibles ne montrent pas d’augmentation de la transmission communautaire.
Deuxième élément clé, la confirmation de la faible proportion (moins de 5 % des cas) de jeunes de moins de 18 ans dans les cas Covid-19 en Europe. Même si, dans certains pays, on observe une baisse de l’âge moyen des personnes contaminées, en cas de diagnostic positif de Covid-19, les enfants sont beaucoup moins susceptibles d’être hospitalisés et les conséquences sont moins graves. Attention, cela ne veut en aucune manière dire que les enfants ne sont pas impliqués dans la transmission, le risque est bien réel et il ne doit pas être sous-estimé.
Cette donnée conduit toutefois à refuser tant une dramatisation des enjeux qu’une banalisation de la situation. Il est question de responsabilité dans la mise en œuvre des mesures de limitation de la propagation de la maladie.
Troisième élément clé, les écoles ne sont pas dissociées du contexte et donc sont exposées au virus si celui-ci circule dans la communauté. Pour autant, si la distanciation physique et les mesures d’hygiène sont appliquées, il est peu probable que les écoles constituent des environnements de propagation du virus plus favorables que les environnements professionnels ou de loisirs avec des densités de population similaires.
Convergence des protocoles au niveau mondial
La progression dans la compréhension des mécanismes qui sous-tendent l’épidémie conduit à une réelle homogénéisation des pratiques d’un pays à l’autre. La double démarche de limitation de la propagation de l’épidémie par des mesures barrières et d’exclusion/fermeture quand nécessaire est aujourd’hui de mise dans de nombreux pays européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas par exemple.
Dans tous les pays, les mesures sont de même nature :
- aération régulière des salles,
- désinfection des locaux,
- lavage régulier des mains,
- organisation qui limite les contacts en classe, à la cantine dans les transports scolaires : entrées et sorties échelonnées, récréations séparées, plans de circulation, regroupements par classe d’âge…
- port du masque quand la distanciation sociale ne peut être appliquée.
- protection des adultes, notamment des enseignants, et des élèves vulnérables
En ce qui concerne les exclusions, tous les pays imposent aux élèves, parents et professionnels présentant des symptômes de ne pas venir à l’école. Les démarches de fermeture sont plus ou moins précisément définies. À Taiwan, si un enseignant ou un élève est atteint, il ne fréquente plus l’école pendant 14 jours ; si deux ou plusieurs enseignants ou élèves sont confirmés comme ayant contracté la maladie, l’école entière est fermée, si un tiers des écoles d’un canton ou d’une ville sont fermées en raison d’infections, toutes les écoles seront fermées.
En Belgique, les écoles sont réparties en deux catégories selon le risque (faible ou fort), dans le second cas, les mesures de distanciation sociale sont renforcées et l’enseignement hybride est privilégié de façon à limiter le nombre de personnes fréquentant les écoles.
À Hongkong, un protocole sanitaire de même nature a été publié mais comme la circulation du virus est très intense en ce moment, l’enseignement se fera à distance jusqu’à ce que la pression épidémique baisse.
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Le protocole français ne fait pas exception à la règle, il intègre les données scientifiques disponibles à ce jour et définit un équilibre entre la protection des personnes et une organisation des établissements compatible avec une éducation de qualité.
Sans doute la focalisation du débat national sur les mesures techniques, comme la question de l’âge minimal pour porter un masque, risque-t-elle de faire passer au second plan les modalités opérationnelles d’organisation, les démarches de test, de traçage et d’isolement, et surtout les enjeux éducatifs, pédagogiques et de formation.
Pour dire les choses clairement, l’enjeu principal ne réside plus dans les consignes nationales mais dans la capacité collective, à l’échelon local, à limiter la transmission d’une part et à savoir mettre en œuvre des réponses adaptées en fonction de l’évolution de l’épidémie. Il s’agit en particulier d’être prêt à mettre en oeuvre un enseignement à distance, en s’assurant que tous les élèves, notamment les plus vulnérables, continuent à apprendre.
Un équilibre à trouver
Dans tous les cas, la connaissance du virus, de ses modes de propagation et de l’efficacité des modes de prévention restant limitée, il faut agir en contexte d’incertitude. Dans un récent article rédigé avec des experts de l’éducation et de la santé des enfants et des adolescents et des cadres de l’OMS, nous avons proposé des éléments clés à prendre en compte dans la recherche de l’équilibre entre les risques sanitaires liés à la réouverture des écoles et les conséquences majeures (qu’elles soient sociales, éducatives ou sanitaires…) d’une fermeture prolongée..
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En tout état de cause, il est nécessaire de distinguer urgence et crise sanitaire. Se préparer à faire face à une crise ne relève pas d’abord de la gestion de l’urgence mais d’une démarche d’anticipation. En vue d’une fermeture locale ou d’une réorganisation en cas de flambée épidémique, il faut non seulement outiller les écoles et les établissements mais aussi développer les compétences nécessaires pour que chacun soit capable d’adapter son comportement.
On ne construit pas un rapport positif à son corps (indispensable pour prendre soin de soi et pratiquer les gestes d’hygiène), on n’apprend pas à trier les sources d’information via des actions de communication mais par une patiente démarche éducative.
Lion d’être passifs, les enfants et adolescents ont une réelle capacité à intégrer les gestes barrières et à se comporter de façon adéquate. Leur participation est une condition du succès, elle appelle un travail de longue haleine. Rappelons qu’une épidémie peut durer des semaines, des mois voire des années, l’impact sur les apprentissages, la socialisation et la santé mentale des élèves doivent être pris en compte.
Le propre du temps éducatif, qui se compte en années et diffère ainsi fortement du temps politique et plus encore du temps médiatique, est d’imposer une vision stratégique. Il est donc impératif d’intégrer la gestion des crises sanitaires dans une démarche d’ensemble, à l’échelle de chaque établissement scolaire.
Enjeux d’une gestion locale
Si la publication des protocoles sanitaires dans les différents pays est une condition nécessaire à la gestion des épidémies dans les écoles, elle n’est pas suffisante. Les éducateurs organisent leurs pratiques en fonction non seulement des prescriptions mais également des besoins des élèves, du contexte social, culturel et éducatif, des attentes familiales et sociales et de leur propre vision des enjeux éducatifs. Que l’on pense simplement aux différences de contexte entre une école rurale de montagne, un collège de banlieue ou un lycée de centre-ville.
Il n’est ainsi pas question d’implantation d’un protocole mais bien de mise en actes, ici et maintenant, des pratiques les plus adaptées à la situation, en fonction d’une large variété de déterminants, l’épidémie étant l’un d’entre eux. Pour cela, il est nécessaire de reconnaître l’expertise des professionnels de l’éducation, leur faire confiance et leur donner les moyens d’agir.
Ainsi, construire des capacités locales d’action afin de permettre à chaque école, collège ou lycée de relever les nombreux défis techniques, pédagogiques et éthiques qu’engendre une épidémie constitue-t-il un enjeu majeur. S’assurer de l’implication de tous, élèves, parents, décideurs locaux, professionnels de l’éducation et de la santé pour faire face à ce défi commun constitue un prérequis à la mise en place des mesures les plus adaptées.
Didier Jourdan, Professor, holder of the UNESCO chair and WHO collaborating center for Global Health & Education, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.