Serge Muller, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet été, The Conversation France vous emmène battre le pavé des villes avec Serge Muller, botaniste au Muséum national d’histoire naturelle, à la découverte d’arbres peu connus. Car il n’y a pas que le platane, le tilleul et le marronnier qui égaient et rafraîchissent nos cités ! Aujourd’hui, le sophora du Japon, qui embellit en ce moment nos villes de ses grandes panicules blanches.
Comment le reconnaître ?
Le sophora du Japon (Styphnolobium japonicum (L.) Schott) – également appelé « arbre des pagodes » du fait de sa plantation traditionnelle fréquente en Asie à proximité de ces lieux de culte – est une espèce de la famille des Fabaceae (anciennement nommées légumineuses). Ses feuilles sont composées d’un nombre impair (en général 7 ou 9) de folioles ovales.
C’est un arbre à croissance rapide, pouvant dépasser les 25 mètres de hauteur, mais il a souvent une couronne élargie. Son tronc présente une écorce crevassée caractéristique et son enracinement est assez superficiel.
Sa floraison, qui n’apparaît que vers la trentième année de l’arbre, est constituée de grandes panicules de fleurs papilionacées parfumées, de couleur blanc crème.
Elle a lieu au cours de l’été, habituellement à partir de la mi-juillet, et conduit à de longues gousses moniliformes (en forme de chapelet) contenant les graines, qui sont toxiques.
En France depuis le XVIIIe siècle
Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, le sophora du Japon n’est pas originaire de ce pays.
Il présente une aire de distribution naturelle assez étendue, dans des zones arides de Chine et de Corée, d’où il a été introduit au Japon.
C’est le père P.N. Le Chéron d’Incarville, missionnaire jésuite français en Chine et correspondant du Jardin du roi – ou Jardin royal des plantes médicinales, qui deviendra ensuite le Muséum national d’histoire naturelle – qui fait parvenir en 1747 à Bernard de Jussieu, professeur de botanique au Jardin royal, des « graines d’arbres chinois inconnus ». L’une des espèces importées est celle que Linné nommera, en 1767, Sophora japonica.
Le genre Styphnolobium a été créé en 1830 et séparé du genre Sophora par le botaniste autrichien H.W. Schott, du fait de différences phytochimiques entre les espèces des deux genres et de l’absence chez les espèces exclues des vrais Sophora de symbiose avec des bactéries fixatrices d’azote sur leurs racines.
Quelques arbres remarquables
Un beau sophora du Japon, issu du semis réalisé par B. de Jussieu, est toujours présent à l’entrée du Jardin des plantes, devant la galerie de minéralogie.
Cet arbre, âgé maintenant de plus de 270 ans, est sans doute le plus vieux d’Europe. Haut de 19 mètres, il possède un diamètre de 112 cm. Il est aujourd’hui en phase de sénescence et, afin de le préserver le plus longtemps possible, les jardiniers du Muséum ont procédé à un allègement de son houppier et établi un périmètre de sécurité.
D’autres arbres remarquables (et parfois classés) sont présents dans divers parcs parisiens, comme au pied du Sacré Cœur ou dans les parcs Montsouris et des Buttes-Chaumont.
Mentionnons également le célèbre sophora de Marie-Antoinette, planté en 1774 devant le château du Petit Trianon à Versailles ; celui du parc du château de Montry en Seine-et-Marne et celui de Villers-les-Pots. Sans oublier celui du square Jules Brière à Beauvais…
En Angleterre, le plus vieux sophora se trouve au jardin botanique de Kew Gardens près de Londres où il a été planté en 1760.
En bonne place dans l’herboristerie chinoise
Le sophora du Japon est une espèce héliophile qui supporte bien les sols calcaires, mais demeure sensible à l’humidité du substrat. Il produit un bois dur et flexible pouvant être utilisé comme bois de charpente.
C’est une espèce mellifère d’autant plus intéressante que sa floraison a lieu en été, au moment où d’autres espèces mellifères sont peu nombreuses.
Ce sophora est abondamment utilisé en médecine traditionnelle chinoise et fait partie des 50 herbes fondamentales et d’avenir de l’herboristerie de ce pays.
Il est utilisé en particulier pour les affections du système circulatoire et se trouve également valorisé dans des produits cosmétiques faisant état d’un effet protecteur cutané, antivieillissement et dépigmentant.
Cet arbre supporte bien la pollution urbaine et semble également bien adapté aux canicules. Mais son feuillage assez léger ne procure toutefois qu’un faible ombrage sous sa canopée.
Très présent à Paris
Alors que les premiers sophoras présents en France étaient surtout plantés dans les parcs et jardins, cet arbre est devenu l’une des principales espèces d’ornement et d’alignement, très répandue dans les rues des villes. À Paris, les données ouvertes de la ville mentionnent ainsi plus de 11 000 enregistrements de cet arbre, soit plus de 5 % des arbres plantés à Paris.
Certaines rues ou avenues parisiennes en sont abondamment boisées, comme la rue d’Alésia (XIVe) ou celle de Tolbiac (XIIIe), le Champ-de-Mars, etc. À Bordeaux, en revanche, sur les quelque 35 000 arbres enregistrés dans la base de données de la ville, on ne compte que 128 Sophora, soit une proportion bien plus faible qu’à Paris.
Des espèces voisines très menacées à protéger
Parmi les espèces maintenues dans le genre Sophora, figure le Sophora denudata Bory ou petit tamarin des Hauts ; il s’agit d’un petit arbre endémique des zones d’altitude (au-dessus de 1500 mètres) du Parc national de l’île de La Réunion. Il est aujourd’hui protégé, car classé en danger d’extinction.
C’est aussi à ce genre qu’appartient le fameux Sophora toromiro, espèce endémique de l’île de Pâques dans l’océan Pacifique, dont la végétation naturelle a été très dégradée par les activités humaines et les invasions biologiques. Cette espèce a failli totalement disparaître de cette île au cours du XXe siècle. Elle a pu heureusement être sauvée in extremis grâce à un programme international, regroupant plusieurs jardins et conservatoires botaniques ; elle fait actuellement l’objet d’un programme international de restauration, piloté par le Toromiro Management Group. Une solution extrême à laquelle il est préférable de ne pas avoir besoin de recourir…
Serge Muller, Professeur, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 ISYEB, CNRS, MNHN, SU, EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.