Richard-Emmanuel Eastes, Université de Genève
Ce vendredi 1er juillet 2016 signe la fin des sacs en plastique à usage unique aux caisses des magasins français. Un progrès à saluer quand on sait que sur plus de 300 millions de tonnes de plastique produites chaque année dans le monde, une partie se déverse dans l’océan, entraînant une pollution gravissime.
Pour parvenir à cette nouvelle réglementation, la route aura été longue. Derrière les questions environnementales ou de santé publique se cachent en effet bien souvent des enjeux économiques majeurs qui, au travers de violentes luttes d’influence, finissent parfois par instrumentaliser la cause initiale ; tel fut le cas des emballages dits « biodégradables », présentés un temps comme la meilleure alternative aux sacs en plastique.
2005, la bataille du biodégradable
Le 11 octobre 2005, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité un amendement interdisant la commercialisation des sacs et emballages plastiques à l’horizon 2010. Seule exception à cette interdiction (mentionnée dans l’article 47) : les sacs « biodégradables ».
Le fait que cet amendement s’appliquât à une loi d’orientation agricole lève tout doute quant à l’objectif réel de cette interdiction… et de l’exception associée : il s’agissait avant tout de dynamiser une agriculture en difficulté en la rendant seule susceptible de répondre à un besoin créé artificiellement par la fermeture d’une filière industrielle.
Émoi compréhensible au sein de la Fédération de la plasturgie, qui agite alors le spectre des suppressions de postes : l’industrie de l’emballage plastique représente alors en France 36 000 emplois et 300 entreprises de plus de 20 salariés. À l’invitation des industriels, des scientifiques de renom acceptent même de s’associer à la dénonciation de cette décision.
Explicitant le comportement des matériaux biodégradables dans la nature, ils montrent notamment que leur composition ne résout en rien les problèmes posés par leurs homologues pétrochimiques : « La biodégradation nécessite des conditions naturelles optimales, rarement rassemblées en milieu urbain », « Ces sacs mettront au mieux plusieurs mois à disparaître, plus encore dans la mer », ou encore « L’amidon végétal est une matière rigide, qui nécessite l’addition de polyesters d’origine pétrolière à hauteur de 50 % pour obtenir la souplesse d’un sac ».
D’autres voix, pourtant habituellement discordantes avec celles des fabricants de plastiques, se joignent à la contestation. L’Ademe et l’association de consommateurs éco-citoyenne CLCV dénoncent ainsi un traitement erroné de la problématique de la prolifération des sacs de caisse : l’urgence ne consiste pas, selon elles, à transformer ces sacs en objets biodégradables, mais bien à changer les comportements pour parvenir à une réduction significative de leur utilisation, quel que soit le matériau qui les constitue.
Finalement, ce ne sont ni les protestations, ni les menaces, ni les considérations scientifiques, ni le bon sens qui auront raison de cet amendement, mais des arguments juridiques : fin 2006, la Commission européenne estimera en effet que « le projet de décret n’est pas conforme à la directive emballages du 20 décembre 1994 ».
2015, la transition énergétique en marche
Dix années plus tard, le 18 août 2015, après 150 heures de débat en séances publiques, plus de 5 000 amendements déposés et 970 adoptés, la loi de « transition énergétique pour la croissance verte » est promulguée et publiée au Journal officiel ; son article 15 traite spécifiquement des sacs plastiques distribués sur les points de vente. Il faudra toutefois attendre le 31 mars 2015 pour voir paraître le décret confirmant l’interdiction des sacs de caisse à compter du 1er juillet 2016.
Cette fois, les professionnels de la plasturgie pétrochimique semblent s’être résignés. Certes 3 000 emplois sont menacés, mais les industriels du bioplastique annoncent la création d’autant de postes de travail grâce au développement d’alternatives au plastique en France. Pour la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal :
« La future interdiction des sacs plastique à usage unique est l’illustration parfaite d’une politique vertueuse, à la fois pour les emplois et pour la préservation des milieux naturels. »
Quel sort la nouvelle loi a-t-elle cette fois-ci réservé au biodégradable ? Ayant pris acte de la complexité de la question et de la difficulté qui consiste à relier le caractère biodégradable d’un matériau à son innocuité dans un environnement donné, le gouvernement et les députés ont diversifié les termes utilisés pour que la loi s’applique opportunément à toutes les situations.
On voit ainsi apparaître les qualificatifs « compostable » et « biosourcé » en complément de la notion de « biodégradabilité ». Et de fait, le « biodégradable » ne bénéficie plus d’aucun traitement de faveur par rapport à ses homologues pétrochimiques. La question ayant été bien posée et bien documentée, la réponse semble cette fois adéquate.
Que dit la loi ?
Pour l’ensemble des commerces, le texte qui entre en vigueur ce 1er juillet stipule que :
- Les sacs de caisse à usage unique en plastique d’une épaisseur inférieure à 50 µm (50 millièmes de millimètre) sont tous interdits à partir de juillet 2016, quelle que soit la matière utilisée, qu’ils soient biodégradables ou non, biosourcés ou non.
- Les sacs de moins de 50 µm d’épaisseur restent autorisés, quelle qu’en soit la matière, au niveau de l’emballage en vrac, en rayons. Ils doivent toutefois mentionner leur teneur en matériau « biosourcés ». Ils seront toutefois également interdits à partir du 1er janvier 2017.
- À l’inverse, tous les sacs de plus de 50 µm d’épaisseur sont autorisés pour emballer les marchandises, quelle qu’en soit la matière constitutive, à condition qu’une mention indique qu’ils peuvent être réutilisés et ne doivent pas être abandonnés dans la nature.
- De même, l’ensemble des sacs composés d’une autre matière que le plastique sont autorisés.
- Les sacs compostables constitués de matières biosourcées sont autorisés.
- Les emballages et sacs constitués de matières oxofragmentables sont définitivement interdits.
Enfin, la teneur en matière biosourcée des sacs plastique compostables autorisés devra augmenter de façon progressive : 30 % en janvier 2017, 40 % en janvier 2018, 50 % en janvier 2020, 60 % en janvier 2025. Au 1er janvier 2017, les emballages plastiques pour l’envoi de la presse et de la publicité devront obligatoirement être compostables. En 2020, ce sera au tour de la vaisselle jetable en plastique (gobelets, verres et assiettes jetables) d’être interdite, sauf si elle peut être compostée à domicile et si elle est constituée de matières biosourcées.
Autant de mesures qui ne doivent cependant pas faire oublier que la meilleure solution réside souvent dans l’emballage ou le cabas « réutilisables », voire dans l’abandon pur et simple de certains conditionnements. L’emballage le moins polluant est celui que l’on ne produit pas…
Richard-Emmanuel Eastes, Chercheur associé au Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel (Suisse) – Chercheur associé au Laboratoire de didactique et d’épistémologie des sciences, Université de Genève
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.