Louise Gentle, Nottingham Trent University et Nicholas Ray, Nottingham Trent University
Le poisson-lion – aussi appelé rascasse volante – est une créature fascinante dotée d’une magnifique parure ; il dérive lentement dans les récifs coralliens. Mais ce poisson dévaste et détruit la biodiversité qui l’entoure.
L’espèce est issue des eaux marines chaudes du Pacifique Sud et de l’océan Indien. Il se nourrit d’une large variété de proies (plus de 100 espèces différentes), notamment les poissons plus petits, les mollusques et les invertébrés, soufflant parfois dans l’eau pour désorienter sa victime avant de la dévorer. 1000 poissons-lions peuvent ainsi dévorer en un an pas moins de 5 millions de proies.
Sa caractéristique la plus remarquable est la ligne d’épines qui parcourt toute la longueur de son corps, armes dont sont également dotées ses nageoires en éventail. Ces 18 épines aux rayures brune et blanche, sont très vénéneuses, y compris pour les humains. Ce qui explique que la créature attire peu de prédateurs naturels, à l’exception des murènes et des requins.
Dans leur habitat naturel, les poissons-lions appartiennent à un écosystème marin qui a évolué pour interagir harmonieusement, chaque espèce y jouant un rôle vital. Mais comment cet animal est-il progressivement devenu responsable de ravages dans les océans ?
Une expansion fulgurante
Malheureusement, des populations de poissons-lions se sont établies au large de la côte sud-est des États-Unis, dans les Caraïbes et plus récemment en mer Méditerranée. Ils ont littéralement envahi cette dernière, attaquant avec voracité les espèces de poissons natives, augmentant leur population à une vitesse fulgurante, et se répandant ainsi sur de vastes zones. Sans compter que leur espérance de vie atteint les trente ans !
Cette arrivée massive, notamment sur les côtes turque, chypriote et grecque, inquiète en Méditerranée, qui abrite plus de 17 000 espèces de poissons, sur lesquelles le nouveau venu pourrait exercer une forte pression. Dans certaines zones de l’Atlantique, l’invasion du poisson-lion a diminué jusqu’à 90 % le nombre de poissons de certaines populations prises pour cible par l’animal.
Les premiers poissons-lions observés près de la Floride ont été remarqués en 1985. En 2001, ils étaient solidement établis sur le littoral est des États-Unis à des densités supérieures à 100 poissons par hectare. Leur nombre dépasse désormais celui des poissons natifs sur de nombreux sites, et dans certaines zones de l’Atlantique ouest est quatre fois supérieur à leur nombre dans leur région native.
On ignore comment les populations de poissons-lions ont colonisé ces régions. Certaines théories suggèrent un lâcher intentionnel orchestré par le commerce aquatique, des déplacements de populations causés par l’ouragan Andrew, ou via des citernes de ballast de bateaux contenant accidentellement des spécimens.
À son arrivée dans une nouvelle zone marine, le poisson-lion se reproduit à un rythme aussi ahurissant qu’alarmant. Dès ses un an, il est capable de pondre tous les deux ou trois jours des milliers d’œufs, et ce tout au long de l’année. Ses œufs sont lâchés en pleine mer où ils éclosent et dérivent aux côtés des planctons, avant d’élire domicile sur un récif.
Cela signifie que potentiellement, des millions d’œufs occupent les courants océaniques, garantissant aux poissons-lions un potentiel considérable pour se répandre rapidement et largement dans un plan d’eau en perpétuel mouvement.
Outre leur appétit vorace – la taille de leur estomac peut être multipliée par 30 – ils profitent de l’ignorance des proies locales, peu familières de ce nouveau prédateur qui jouit alors d’un terrain de chasse idéal. Indirectement, l’arrivée des poissons-lions restreint la quantité de proies pour les prédateurs natifs et provoque un déséquilibre important de l’écosystème.
En dehors de son aire de répartition naturelle, le poisson-lion n’a en outre pas de prédateurs naturels connus qui pourraient maîtriser ses populations. Même les chasseurs d’œufs et de jeunes poissons-lions demeurent inconnus.
Les humains sont donc les seuls à ce jour à pouvoir chasser les poissons-lions – et le besoin de régulation devient une priorité urgente pour la conservation. Que ce soit pour la protection de la nature ou pour défendre des intérêts économiques, nombreux sont ceux qui appellent à l’abattage ciblé de cette espèce envahissante, afin de réduire leur nombre.
Chasser le chasseur
Il existe différentes manières de les chasser. Les plongeurs amateurs ont essayé de limiter leur nombre en en éliminant. Mais le caractère vénéneux des poissons-lions requiert un entraînement spécial des plongeurs. Des initiatives telles que l’Ordre fraternel des tueurs de poissons-lions (FOOLS) accompagnent les plongeurs qui aident à réduire la quantité de poissons-lions.
Certains plongeurs testent des pièges pour faciliter un abattage moins dangereux et plus rapide. Dans les Caraïbes, des chercheurs du Robots in Service of the Environment (RSE) ont développé un système dénommé « Lionfish Terminator ».
Cette télécommande robotique a été développée dans le but d’abattre le poisson-lion à distance. Elle n’agit aujourd’hui que sur des zones restreintes, mais pourrait participer à rétablir l’équilibre naturel de l’écosystème.
C’est aussi dans l’assiette que se joue la régulation des poissons-lions. Ils deviennent rapidement un nouveau mets fin inscrit aux menus des restaurants, et ont même trouvé une place sur les étals des supermarchés.
Comme toutes les espèces invasives, le poisson-lion trouvera tôt ou tard sa niche fonctionnelle et l’équilibre de l’écosystème sera restauré. Mais l’invasion actuelle en Méditerranée a provoqué une onde de choc sur les dynamiques naturelles des prédateurs et des proies, avec des effets sérieux sur la pêche et le tourisme local.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre que l’équilibre soit restauré. Nous devons rétablir la santé des écosystèmes marins régionaux et éradiquer cette menace devant les graves destructions qu’elle engendre.
Louise Gentle, Senior Lecturer in Behavioural Ecology, Nottingham Trent University et Nicholas Ray, Senior Lecturer, Nottingham Trent University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.