Xavier Hollandts, Kedge Business School et Daniela Borodak, Groupe ESC Clermont
L’un des plus grands évènements de la planète cinéma se déroule cette année à Cannes du 14 mai au 25 mai. Le festival est à la fois un évènement annuel glamour, rassemblant des réalisateurs et acteurs célèbres, mais également un rendez-vous professionnel de grande ampleur. Au-delà de la dimension artistique, l’industrie du cinéma, en progression constante, représente en effet un secteur ayant un poids économique majeur, aussi bien à l’échelle de la planète que de certains pays (États-Unis, France, Inde, Corée).
Le box-office mondial s’établissait l’an dernier à 42 milliards de dollars. En France, on a enregistré, en 2018, 210 millions d’entrées pour 1,4 milliard d’euros de recettes. Une étude des ministères de l’Économie et de la Culture avait d’ailleurs montré que la culture au sens large pesait généralement aux alentours de 3,2 % du PIB national annuel, soit sept fois plus que l’industrie automobile, à titre de comparaison.
Pour les territoires où sont organisés les festivals, l’enjeu est donc d’en faire un élément fort du développement culturel mais aussi économique, comme le souligne le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) dans son dernier rapport.
Une efficacité économique peu mesurée
Le rôle culturel du cinéma est bien identifié, mais on en sait en revanche beaucoup moins sur l’impact économique des festivals de cinéma, même s’il est aisé de connaître les budgets des films, le nombre de copies ou de spectateurs, voire les salaires des acteurs. On se doute pourtant bien que la présence pour plusieurs jours de professionnels, de journalistes, de spectateurs et de toutes les personnes gravitant autour d’un festival de cinéma génère des dépenses pour la ville ou le territoire accueillant le festival. À Cannes, la dernière édition du festival a ainsi généré près de 200 millions d’euros de retombées économiques.
Il paraît donc essentiel de mesurer précisément l’impact économique de ce type de manifestation, d’autant plus que les budgets des festivals reposent partiellement sur des subventions publiques. Le gouvernement français, et notamment le ministère de la Culture, préconisent d’ailleurs, quand cela est possible, de réaliser ce type d’étude.
Ces études d’impact sont généralement bâties sur un principe assez simple. On évalue de façon la plus précise possible les flux économiques entrants et les flux sortants du territoire considéré. Par un jeu d’additions et de soustractions, on calcule ainsi un flux primaire. À cela s’ajoute, un flux secondaire, calculé sur la base d’un multiplicateur, bien connu des économistes keynésiens. Théoriquement, chaque euro dépensé pendant le festival serait susceptible de générer d’autres dépenses dans un second temps, et ce pendant toute la durée du festival.
Clermont-Ferrand, capitale du court-métrage
Le festival de Clermont-Ferrand est le second festival de cinéma en France derrière Cannes, et le plus grand festival au monde en matière de court-métrage. Depuis la création de cet évènement, qui se déroule chaque année en février depuis plus de 41 ans, pas moins de 8 000 films sont reçus chaque année. La sélection nécessite près de 2 300 heures de visionnage. Le festival s’appuie sur une équipe de 17 permanents, renforcée par près d’une centaine de professionnels et de 300 bénévoles pendant la durée du festival.
Ce sont en moyenne chaque année 500 films qui sont diffusés au cours de 500 séances dans une quinzaine de sites de la ville. Le festival totalisait lors de ses dernières éditions près de 165 000 entrées, en plus d’accueillir quelque 3 500 professionnels venus du monde entier. Le festival est également affilié aux plus prestigieuses académies de cinéma, puisque le Grand Prix du festival de Clermont-Ferrand est automatiquement sélectionné pour les Oscars dans la catégorie court-métrage.
En préparant la 40e édition qui a au lieu début 2019, l’équipe du festival a souhaité mesurer précisément l’impact économique de l’évènement. L’étude s’est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, une analyse économique et comptable a consisté à retracer les flux économiques entrants et sortants, comme des subventions, par rapport au territoire retenu (ici, l’agglomération clermontoise). Dans un second temps, l’équipe de chercheurs mobilisés a interrogé individuellement 989 festivaliers, professionnels comme spectateurs, soit un échantillon représentatif de la population des festivaliers. Parmi les questions posées, certaines permettaient d’évaluer précisément les principales dépenses générées pendant le festival (schématiquement : hébergement, restauration et dépenses de loisirs).
Un euro de subvention, 22 euros de retombées
Les résultats révèlent que le festival aura généré en 9 jours un impact économique de 11 millions d’euros, un chiffre qui se décompose en 7,3 millions d’impact primaire et 3,7 millions d’impact secondaire (multiplicateur de 1,5). L’essentiel des flux liés à l’impact primaire provenait de personnes extérieures au territoire qui seraient à l’origine de 75 % de ces flux (6,2 millions d’euros). L’étude souligne aussi que la présence des professionnels du cinéma est vitale économiquement : même s’ils ne représentent que 17 % des participants, ils auront généré pas moins de 56 % des flux de l’impact primaire. Ces professionnels représentent en effet à eux seuls 73 % des dépenses d’hébergement, 53 % des dépenses de loisirs, et 52 % des dépenses de restauration.
Du point de vue de l’efficacité des subventions publiques, l’équipe a calculé qu’un euro de subventions publiques permettait de contribuer à générer 22 euros de retombées économiques. « Nous ne sommes pas qu’un coût, nous produisons de la richesse », affirme dans ce sens Laurent Crouzeix, le délégué général du festival.
À l’heure où la dépense publique est passée au crible et où chaque euro dépensé doit prouver son efficacité, ce type d’étude d’impact économique devrait, à notre sens, être généralisé à tous les festivals culturels. Pourquoi ? D’une part, parce que les budgets alloués au secteur de la culture tendent à baisser dans les collectivités territoriales, certainement car ils ne sont pas assez considérés comme des investissements. Notre étude, en montrant que le festival clermontois a un impact économique important pour le territoire, révèle pourtant bien que les subsides publics qui contribuent au budget du festival génèrent bien des effets économiques largement bénéfiques.
D’autre part, parce que le secteur culturel peut à notre sens également démontrer son apport économique, là où la culture n’est pas forcement « attendue », comme en Auvergne. En cela, l’étude d’impact que nous avons menée, et dont les chiffres ont été largement repris par les acteurs locaux, contribue à renforcer l’intérêt de ce type de manifestation pour un territoire. Par ailleurs, il faut noter que d’autres effets bénéfiques moins tangibles (attractivité territoriale, image, etc.), et donc non pris en compte, peuvent s’ajouter aux retombées effectivement mesurées.
Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business School et Daniela Borodak, Professeur d’économie et stratégie, Groupe ESC Clermont
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.