Le touchant film de Nadine Labaki avait reçu le Prix du Jury au Festival de Cannes.
Après nous avoir enchanté avec « Caramel », conversations de femmes dans un institut de beauté, et bousculé avec « Et maintenant on va où ? », l’union de femmes (encore elles) pour détourner les hommes de la guerre, Nadine Labaki émeut et dérange avec des enfants des rues dans « Capharnaüm » (sortie le 17 octobre), film qui a reçu le Prix du Jury au Festival de Cannes, et était sélectionné au 29ème Festival du Film Arabe de Fameck.
C’est dans le capharnaüm de Beyrouth que la cinéaste libanaise a tourné cette histoire, celle de Zain. Ce gamin d’« environ » 12 ans (il ne connaît pas son âge, n’a pas vraiment d’existence légale) a été condamné à cinq ans de prison, pour avoir poignardé un homme, on comprendra plus tard qu’il l’avait bien mérité. Mais là, c’est lui, Zain, qui fait un procès à son père et sa mère : « Je veux attaquer mes parents en justice pour m’avoir mis au monde ». Il aurait voulu ne jamais naître, ce môme, qui a grandi trop vite et pense que ses irresponsables de parents ne sont pas capables d’élever des enfants, ni de les aimer. Alors que, bien sûr, eux aussi sont des victimes.
C’est dans le capharnaüm d’une vie trop dure qu’a été jeté Zain : trop de misère, trop de douleur, trop d’injustice. Il voudrait aller à l’école, tel l’enfant qu’il est encore, mais travaille pour un commerçant, cet homme à qui ses parents « donnent » leur très jeune fille en mariage, la sœur chérie de Zain. C’est alors qu’il décide de quitter le domicile familial, devient un mini-vagabond dans les tristes lumières de la ville, est recueilli par Rahil, une Ethiopienne, femme de ménage clandestine, qui vit seule avec son bébé dans un taudis et la terreur d’être expulsée. Lorsqu’elle disparaît, Zain s’occupe comme il peut du bébé, le nourrir, le changer, survivre.
L’avocate de l’enfance maltraitée et mal aimée
C’est aussi dans un capharnaüm qu’est plongé le film de Nadine Labaki : « les immigrés clandestins, l’enfance maltraitée, les travailleurs immigrés… », et encore « le racisme, la peur de l’autre », autant de sujets qu’elle voulait évoquer dans « une réalité crue et dérangeante ». Dès le Festival de Cannes, lui furent reprochés une esthétique de la misère (bien sûr Zain a une petite gueule d’ange), d’en faire « trop », trop mélo, sa légitimité à parler au nom des invisibles… Mais au premier degré, on ne peut être qu’ému par ce gosse qui semble n’avoir aucun avenir ; ils ne sont pas si nombreux les films qui racontent le sort des enfants livrés à eux-mêmes dans les rues, de Beyrouth ou d’ailleurs. Et il est vrai que la dernière image, le sourire de Zain en prison, est un soulagement pour le spectateur.
Seule actrice parmi de « vrais gens », Nadine Labaki tient le rôle de l’avocate du très jeune Zain. La réalisatrice se fait effectivement l’avocate de l’enfance maltraitée et mal aimée, de leurs peines et de leurs souffrances. Lors de son discours, le soir du palmarès à Cannes, elle a aussi rappelé que son pays, le Liban, est celui qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés dans le monde.
Patrick TARDIT
« Capharnaüm », un film de Nadine Labaki (sortie le 17 octobre).