Vincent Touzé, Sciences Po – USPC
En 2019, le Parlement sera sans doute amené à voter une loi visant à réformer profondément notre système de retraite. La réforme devrait poursuivre deux objectifs principaux : garantir une égalité des droits à la retraite et simplifier le système.
Le principe d’égalité entre les cotisants repose sur un énoncé simple : « un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Quant à la simplification, elle devrait conduire à la création d’un régime unique qui aura pour mission de percevoir les cotisations, d’enregistrer les droits à la retraite et de verser les pensions. Cette ambition de réforme fait face à un défi majeur, celui de la multiplicité des régimes.
Une multitude de régimes…
Notre système de retraite actuel est caractérisé par de nombreux régimes dont les populations couvertes, les modes de financement et les règles de calcul des pensions diffèrent.
Les régimes couvrent trois grandes catégories de travailleurs :
- Les salariés du secteur privé : la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) verse une pension de base financée sur la part de salaire sous le plafond de la sécurité sociale et l’Agirc-Arrco verse une pension complémentaire financée sur la partie au-dessus du plafond.
- Les fonctionnaires et assimilés : les régimes de la fonction publique d’État (FPE), des militaires, des administrations locales, de la fonction publique hospitalière et des entreprises publiques (SNCF, EDF, etc.).
- Les non-salariés : les régimes des professions libérales, des artisans, des commerçants, ou encore des exploitants agricoles.
Les régimes se distinguent par leur mode de financement :
- Des régimes paritaires : des cotisations salariales et patronales sont prélevées sur un salaire brut (CNAV et Agirc-Arrco).
- Des régimes d’employeur : ils sont principalement financés par une contribution de l’employeur ; c’est le cas des régimes spéciaux et des régimes des fonctionnaires.
- Des régimes par capitalisation : les cotisations versées sont investies dans des actifs financiers et non financiers ; les revenus du capital et la vente d’actifs permettent de financer les pensions versées. On y trouve certains régimes de non-salariés ainsi que, pour les fonctionnaires, le Régime additionnel de la fonction publique (RAFP) qui prélève des cotisations sur la prime, c’est-à-dire la part de la rémunération hors traitement indiciaire qui n’ouvre pas de droits à la retraite.
- Un régime de solidarité financé à l’aide d’impôts et taxes : le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) finance principalement l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) et les périodes non travaillées assimilées à des périodes cotisées (chômage, arrêts de travail, service civique, apprentissage, stage au titre de la formation professionnelle des demandeurs d’emploi).
À la liquidation, le calcul des pensions repose sur deux mécanismes :
- Les prestations définies : la pension versée est établie à partir d’une formule qui applique un taux de remplacement sur un salaire de référence (CNAV : 50 % d’un salaire moyen calculé sur 25 meilleures années d’activité, FPE : 75 % du traitement indiciaire des 6 derniers mois d’activité) ;
- Les cotisations définies (Agirc-Arrco, certains régimes de non-salariés, RAFP) : les cotisations versées s’accumulent pour former un stock de points (ou un capital en euros pour un régime en capitalisation) ; à la liquidation de la retraite, le stock de points ou le capital est converti en rente.
… qui pose un véritable défi au législateur
Face à une telle complexité, comment organiser la transition vers un régime unique ?
La première question à laquelle le législateur devra répondre est celle des droits déjà acquis dans l’ancien système. Pour le régime complémentaire Agirc-Arrco, comme il s’agit d’un régime en points, la transposition est a priori plutôt facile car le nouveau système sera aussi un régime en points. Pour les régimes à prestations définies, la transposition sera, en revanche, plus difficile car il n’existe pas d’évaluation simple des droits accumulés.
Le législateur fait face à deux options : proposer une règle ad hoc de conversion des droits acquis en points, ou faire cohabiter l’ancienne formule avec la nouvelle. Dans le second cas, la pension finale pourra alors être obtenue en additionnant la pension « ancien régime » proratisée à la pension « nouveau régime ».
La seconde difficulté est celle du financement des pensions : à quel taux les travailleurs vont-ils cotiser ? Les salaires nets de certaines catégories de travailleurs pourraient-ils être diminués ? Comment les droits acquis dans les anciens régimes seront-ils financés ? Les employeurs des régimes les plus généreux devront-ils apporter un financement complémentaire à celui de la cotisation sociale ? Si oui, quel en sera ce montant ?
L’âge de la retraite en question
Un autre sujet majeur est celui de l’âge de la retraite. Actuellement, les régimes spéciaux permettent une liquidation de la retraite bien avant 62 ans. Qu’en sera-t-il du régime unique ? Une égalité d’âge de la retraite sera-t-elle la norme ? Les régimes d’employeurs devront-ils mettre en place un mécanisme parallèle de financement de cette retraite anticipée ?
Une autre interrogation concerne les fonds de réserve (RAFP, Agirc-Arrco, certains régimes de non salariés). Ces derniers ont accumulé des capitaux pour lisser l’impact financier du vieillissement démographique, ou pour constituer un vrai régime en capitalisation (RAFP, certains régimes de non-salariés). Si un régime unique est créé, que faire de ces fonds ? Leur mutualisation avec les autres régimes pose un problème d’équité dans la mesure où ces réserves ont été réalisées grâce aux efforts de salariés (plus de cotisations ont été versées que nécessaires) et de retraités (modération des pensions reçues) provenant de caisses différentes.
Aujourd’hui, la gestion des régimes de retraite revêt divers degrés d’implication de l’État et des partenaires sociaux. Par exemple, pour les salariés du privé, la gestion de la CNAV est tripartite (État, représentants de salariés et du patronat) tandis que la gestion de l’Agirc-Arrco est bipartite (représentants de salariés et du patronat). Qu’en sera-t-il du nouveau système ? Aura-t-il la même autonomie que l’Agirc-Arrco ou, au contraire, le rôle de l’État sera-t-il prédominant ?
Enfin, la dernière interrogation est politique : la réforme sera-t-elle acceptée ? Certes, le gouvernement pourra s’appuyer sur une solide majorité au Parlement pour faire voter la loi. Toutefois, face à l’enjeu sociétal d’une telle réforme, la consultation citoyenne lancée sur le web le 31 mai 2018 est susceptible d’apporter d’utiles orientations pour parfaire l’écriture de la loi.
Vincent Touzé, Economiste, Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.