Julien Gossa, Université de Strasbourg
Le 21 juillet 2017, alors que leurs résultats de bac faisaient déjà partie du passé, plus de 65 000 jeunes bacheliers étaient encore en attente d’une place dans l’enseignement supérieur. C’est en grande partie pour éviter que ce genre de situation ne se reproduise que le ministère de l’Enseignement supérieur a décidé d’enterrer le système Admission Post-Bac (APB) et de lui substituer une nouvelle plate-forme d’affectation dans le supérieur, Parcoursup. Avec une autre promesse en filigrane, celle d’une meilleure orientation, grâce à
« une procédure d’entrée qui redonne, à toutes les étapes, du pouvoir de décision à chacun des futurs étudiants et qui fait de la personnalisation le principe »
comme le déclarait la ministre Frédérique Vidal lors de la présentation de loi sur la réussite étudiante, en décembre 2017.
Il s’agissait de faire mieux sur tous les tableaux, en somme. Qu’en est-il et qu’en sera-t-il ?
Une lenteur prévisible
Au vu des indicateurs en fin de procédure, publiés le 5 septembre 2018, l’amélioration ne saute pas aux yeux. Sur les 810 000 candidats inscrits à Parcoursup, environ 70 000 n’ont pas eu le bac, 583 032 ont accepté l’une des affectations qui leur a été proposée, dont 511 228 définitivement et 71 804 encore en attente d’un meilleur choix ; 47 258 n’ont reçu aucune proposition ; et 181 757 ont quitté la procédure.
En novembre 2017, le député Cédric Villani et le sénateur Gérard Longuet conduisaient une audition publique intitulée « Les algorithmes au service de l’action publique : le cas du portail admission post-bac », à laquelle participaient notamment des représentants de la Conférence des présidents d’université (CPU) et du ministère (DGSIP). Avec la fin de la hiérarchisation des vœux, les différents experts sollicités pointaient un certain nombre de risques : lenteur de l’affectation, stress dû aux réponses au fil de l’eau, explications insuffisantes pour que le système soit accepté, prise en compte du handicap, difficulté de logement pour les réponses tardives…
En cause : la fin de la hiérarchisation des vœux, qualifiée de « retour en arrière de 10 ans ». Sur APB, en effet, les lycéens classaient leurs demandes par ordre de préférence, l’algorithme s’occupait de simuler leurs désistements, et ils ne recevaient qu’une seule réponse en fin d’étape de la procédure. Au contraire, dans Parcoursup, sont les lycéens eux-mêmes qui doivent se désister, ce qui laissait craindre un engorgement du système qui s’est bel et bien produit.
Les limites des « attendus »
Pour expliquer les dysfonctionnements et la longueur du processus, le ministère de l’Enseignement supérieur déploie l’argument d’un meilleur soutien à l’orientation : « Si Parcoursup va plus lentement, c’est parce qu’on accompagne les jeunes sans affectation », a déclaré la ministre sur France Inter le 22 août dernier. De fait, la plate-forme se veut à la fois un outil de prédiction des chances de succès des candidats, doublé d’un système de remédiation a priori. Cette facette pédagogique répond-elle à ses promesses ?
Une des étapes de Parcoursup est l’étude des dossiers des lycéens par les commissions d’examen des vœux. Plus que simplement classer ces candidatures pour décider des admis et des refusés, l’objectif affiché est de mieux orienter les étudiants en se prononçant sur l’adéquation de leur profil avec les différentes formations demandées. En clair, il s’agit d’augmenter le taux de réussite en recrutant des étudiants correspondant plus aux attendus de la formation… Ou plus clairement encore, de prédire leur réussite sur la base de leurs résultats passés.
Il s’agit là d’un objectif très ambitieux. Il est plutôt reconnu jusqu’ici que la réussite des étudiants reste quelque chose de très difficile à présager. Certes, il existe des statistiques fiables de réussite selon les filières d’origine, mais qui ne peuvent tenir compte des trajectoires individuelles. En réalité, on peut très bien réussir en provenant d’une filière affichant de très bas taux, comme échouer en provenant d’une filière renommée.
Un outil de remédiation a priori
Une autre disposition de Parcoursup est de pouvoir imposer des mesures d’accompagnement personnalisées (ou « oui si ») aux candidats. Ces mesures existaient, mais n’étaient suivies jusqu’ici que par les étudiants qui le souhaitaient. L’objectif affiché désormais consiste à combler les lacunes détectées lors de l’examen des dossiers. En clair, d’imposer des mesures de remédiation a priori.
Sur ce point aussi, l’on peut émettre quelques réserves. Il est généralement reconnu que les mesures de remédiation ne fonctionnent de façon optimale que sur la base du volontariat, pour éviter un sentiment de stigmatisation démotivante. D’autre part, il est préférable d’observer la pratique de l’étudiant et d’établir un dialogue avant de lui prescrire un accompagnement, si l’on veut que les mesures soient réellement personnalisées.
Un terrain d’étude pédagogique
En bouleversant ces idées reconnues depuis longtemps en matière de réussite (M. Romainville, « Peut-on prédire la réussite d’une première année universitaire ? », 1997), Parcoursup crée un formidable terrain d’étude pédagogique. Avec des cohortes de plusieurs centaines de milliers de bacheliers, que nous pourrons suivre pendant de nombreuses années, jamais nous n’aurons monté une expérimentation d’aussi grande envergure.
Il serait donc urgent de concevoir les indicateurs permettant de mesurer l’efficacité de ce volet pédagogique.
Certes, le ministère a fait des efforts sans précédent en terme de mise à disposition des indicateurs. #DataESR produit déjà tous les taux de passages par série du bac et du supérieur (version graphique). Il sera donc possible de comparer ces taux dès l’an prochain.
Cependant, deux informations manquent encore. D’abord, pour mesurer plus précisément l’efficacité de la politique d’orientation, il faudrait disposer du taux d’abandon prématuré. C’est possible en calculant la différence entre le nombre d’inscrits et le nombre d’étudiants ayant passé leurs examens, informations dont disposent les universités.
Ensuite, il serait judicieux de décliner les taux de réussite et d’abandon en fonction des mesures d’accompagnement. Ces mesures n’ayant aucun cadrage national, chaque filière est libre de les déterminer. Des statistiques nationales sont donc indispensables pour identifier les mesures les plus efficaces, et transformer les expérimentations en bonnes pratiques.
Pour conclure, si Parcoursup n’est pas un outil d’affectation performant, notamment du fait de sa lenteur structurelle, il s’avérera peut-être un outil d’orientation plus efficace qu’APB. C’est sur le long terme que l’on pourra vraiment apprécier la réforme, mais dès la fin de cette année, les taux d’échecs et d’abandon en première année permettront de vérifier si Parcoursup a réussi à être un outil de prédiction de la réussite des étudiants et de remédiation a priori.
Sur le terrain, on pourra rapidement apprécier l’efficacité du volet orientation de Parcoursup, en observant la traditionnelle disparition des étudiants de nos amphis dès les premières semaines. Si elle perdure, il nous faudra en douter. Mais si elle est significativement réduite, alors nous aurons un indicateur fort de réussite sur ce plan. Il faudra alors se demander comment enseigner toute l’année dans des groupes surchargés, plutôt que sur les seules premières semaines… C’est toute l’organisation universitaire qui peut s’en trouver bouleverser.
Julien Gossa, Professeur associé en informatique, Université de Strasbourg
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.