« Je me dois d’avoir de l’espoir, mais concrètement rien ne va mieux », constate Annemarie Jacir, la réalisatrice palestinienne de « Wajib ».
Faire du porte à porte, aller remettre en mains propres une invitation pour un heureux évènement. C’est le « Wajib. L’invitation au mariage », titre du film de Annemarie Jacir (sortie le 14 février). « C’est une tradition très ancienne, très pratiquée par les Palestiniens en Israël, comme une façon d’affirmer leur identité », précise la cinéaste palestinienne, originaire de Bethléem.
C’est à Nazareth qu’elle a tourné ce « Wajib », cette coutume à laquelle se plie de bonne grâce Abu, un prof de 65 ans, pour convier parents, amis, collègues, voisins… au futur mariage de sa fille. Il est accompagné de son fils Shadi, trentenaire, architecte en Italie, revenu pour l’occasion, et nettement moins emballé par cette corvée, ces visites de politesse, ce « devoir social » dont il se passerait bien.
Père et fils sont interprétés par les acteurs Mohammad et Saleh Bakri, qui sont réellement père et fils. « Le père est un acteur très célèbre en Palestine, son fils est en train de le devenir, c’est la première fois qu’ils jouent ensemble dans un film, c’était un vrai défi pour eux, mais c’était aussi un film très important pour eux », assure Annemarie Jacir, dont le premier film, « Le sel de la mer », avait été sélectionné à Cannes en 2008.
« Les enfants s’inquiètent pour les parents, le fils s’inquiète pour son père. C’est la dernière chance pour eux de reconstruire la cellule familiale », ajoute la réalisatrice, qui a beaucoup filmé les deux hommes dans la vieille voiture avec laquelle ils effectuent leur tournée, et dont l’autoradio diffuse les infos inquiétantes. « Nazareth est un personnage du film, mais je voulais vraiment être au plus près d’eux », dit-elle.
« Les Palestiniens sont des citoyens de seconde zone »
Leurs déplacements dans « la ville du Christ » permettent de constater l’état de cette « ville de survivants », ce « ghetto », où cohabitent chrétiens, musulmans, et une colonie juive sur la colline. « Nazareth est une grande ville palestinienne en Israël aujourd’hui, c’est une ville très tendue, avec beaucoup de contradictions, sociales et politiques, c’est aussi une ville où les habitants utilisent l’humour comme mode de survie », raconte Annemarie Jacir.
Agacé par l’hypocrisie des bonnes manières, exaspéré par le contrôle israélien, le fils contient mal sa colère. « Shadi critique tout, se plaint tout le temps, il se bat contre Nazareth, mais c’est là d’où il vient, c’est la ville où il a grandi, et finalement il se réconcilie avec la ville et avec son père », confie la réalisatrice.
« Il n’a jamais voulu partir, mais maintenant qu’il est parti et qu’il revient de l’étranger, il voit tout ce qui est négatif à Nazareth, et voit la liberté qu’il a gagné à l’étranger. Sur le papier, tous les citoyens sont égaux, mais en réalité les Palestiniens sont des citoyens de seconde zone, les Palestiniens qui vivent en Israël ne font pas de service militaire, ce qui limite l’accès aux emplois, les possibilités sont très limitées, on ne peut rien faire », raconte Annemarie Jacir, qui ne voulait surtout pas demander de fonds israéliens pour faire son film. « Je me dois d’avoir de l’espoir, mais concrètement rien ne va vraiment mieux, les choses sont toujours pires », estime-t-elle.
Patrick TARDIT
« Wajib. L’invitation au mariage », un film de Annemarie Jacir (sortie le 14 février).