La nouvelle saison du plus grand concours musical au monde vient de démarrer dans une Afrique francophone qui réaffirme son dynamisme. Mais en France, l’ignorance totale de cet événement majeur montre une fois de plus un Hexagone coupé du monde francophone et se détachant de sa langue.
Par Ilyes Zouari
Le 14 octobre dernier a été lancée la saison 2 de la compétition musicale The Voice Afrique francophone. Rassemblant plusieurs dizaines de candidats, provenant de 16 pays différents, ce concours doit s’étaler sur non moins de 16 semaines consécutives, jusqu’à la grande finale du 27 janvier 2018.
Le plus grand concours musical au monde
Diffusé par la chaîne panafricaine VoxAfrica, également accessible en Europe et en Amérique du Nord, The Voice Afrique francophone réunit des candidats venant de 16 pays différents et totalisant 270 millions d’habitants, sur les près de 300 millions que comptent les 22 pays francophones subsahariens. A travers cette chaîne, ou grâce aux chaînes nationales partenaires, ce sont donc plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs qui regardent chaque semaine ce même programme. Rien qu’en Côte d’Ivoire et au Cameroun, celui-ci avait réalisé une audience moyenne de 9 millions et de 10 millions de téléspectateurs, respectivement, lors de la précédente édition.
Cette version francophone est donc bien la franchise rassemblant le plus grand nombre de pays, dépassant assez largement la version arabe qui réunit une dizaine de nationalités et qui est diffusée par la chaîne panarabe MBC.
Viennent ensuite d’autres concours regroupant tout au plus deux ou trois pays voisins comme, par exemple, la République tchèque et la Slovaquie. Enfin, si l’Eurovision rassemble un plus grand nombre de pays participants, cette compétition ne dure toutefois que le temps de trois soirées, très loin des 16 semaines consécutives de The Voice Afrique francophone dont l’audience cumulée est donc bien supérieure.
Une audience qui pourrait d’ailleurs être encore bien plus importante si cet événement francophone majeur était localement relayé par une des chaînes nationales de chacun des 16 pays représentés.
Or, l’étroitesse du marché publicitaire, parfois embryonnaire dans certains pays dont la classe moyenne commence tout juste à émerger, continue à être un frein au développement de ce genre de programme télévisé panafricain. Chose qui avait d’ailleurs contribué à la non reconduction des précédentes tentatives du même genre (les concours musicaux Africa Star, en 2008 et 2010, et Castel Live Opéra, en 2012).
Cette situation devrait toutefois évoluer assez rapidement compte tenu de la forte croissance économique qui connaît l’Afrique subsaharienne francophone, globalement partie la plus dynamique du continent.
Cet ensemble de 22 pays a ainsi réalisé une croissance annuelle globale de 5,1% sur la période 2012-2015 et de 2,6% en 2016 (ou 3,5% hors cas très particulier de la Guinée équatoriale), tandis que le reste de l’Afrique subsaharienne affichait, respectivement, des taux de 3,8% et de 0,8%. Un dynamisme particulièrement remarquable en Afrique de l’Ouest francophone avec une hausse du PIB de 6,3% en moyenne sur les cinq dernières années pour l’espace UEMOA, qui constitue ainsi la plus vaste zone de forte croissance du continent. Grâce à cette évolution, parallèle à celle de la démographie, ce genre de programme panfrancophone pourrait rassembler près de 200 millions de téléspectateurs hebdomadaires d’ici une dizaine d’années.
Une France coupée du monde francophone…
Face à un tel engouement, force est de constater que la population française demeure largement à l’écart de cet événement culturel majeur, dont elle ignore tout simplement l’existence. Si les membres de la diaspora africaine de France le suivent largement, leurs voisins de palier ou collègues de travail français ne savent rien de cet événement francophone international.
Cette coupure avec le monde francophone peut être illustrée à travers bien d’autres exemples, comme l’ignorance quasi totale chez les Français de mois de 35 ans de l’existence de la Basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, alors que ce n’est autre que le plus grand édifice chrétien au monde, quasi-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome. Autre exemple, la population française n’a quasiment pas été informée de la tenue des Jeux de la Francophone en Juillet dernier, à Abidjan. Contraste saisissant avec la couverture médiatique dont jouissent les Jeux du Commonwealth au Royaume-Uni, dont la population à la chance d’être correctement informée de ce qui se passe dans le monde. Enfin, et concernant le Canada qui vient de fêter ses 150 années d’existence, l’on pourrait citer la grande ignorance qui entoure le peuple acadien (habitant la Louisiane pour la majorité des Français) ainsi que leur drapeau, qui n’est autre que le drapeau tricolore orné d’une étoile aux couleurs papales et symbole de la Vierge Marie. Un attachement historique à la France, en dépit des malheurs et des crimes commis par les Britanniques, et que nous remercions aujourd’hui par notre indifférence collective.
Ces quelques exemples, parmi tant d’autres, montrent ce fossé existant entre la France et son espace géolinguistique, ainsi que les graves lacunes d’une Éducation nationale censée transmettre le savoir à ses jeunes élèves « francophones ». Cet espace géolinguistique qui, dans sa définition la plus stricte (différente de celle, bien plus large, de l’Organisation internationale de la Francophonie – OIF), est près de quatre fois plus vaste que l’Union européenne (UE), et dont la partie européenne ne représente que 3,6% de la superficie totale. Chose que ne laissent guère entrevoir la majorité des cartes géographiques en circulation, qui présentent une vision terriblement déformée du monde en divisant au moins par deux la superficie réelle de l’espace francophone.
…et qui se détache de sa propre langue
Cette large méconnaissance du monde francophone, aggravée par l’omniprésence de ces cartes « déformatrices des esprits », pousse la France à se désintéresser progressivement de sa langue et de sa culture. Et à basculer dans une anglicisation sans équivalent dans aucune des autres grandes puissances non anglophones, et aux conséquences directes sur le reste de l’espace francophone. Si le concours « The Voice » porte ce nom anglais en Afrique francophone, c’est bien parce qu’il en est ainsi en France, principale référence culturelle de cet ensemble. Pourtant, force est de constater que la version québécoise s’appelle bien « la Voix », et qu’on y parle, par exemple, de « duels » et non de « battles ». De même, ce concours porte un nom espagnol en Espagne et dans sept des huit pays hispanophones ayant repris ce concept. Même chose pour la Russie et pour les trois autres pays à alphabet cyrillique concernés par ce concours, auquel ils ont tous donné une dénomination dans leur propre langue.
Mais ce désintérêt de la France à l’égard de sa langue se manifeste également à travers sa relation vis-à-vis de l’UE, zone la plus anglicisée au monde et qui respecte de moins en moins la langue et la culture françaises. Dernier exemple en date, la nouvelle réglementation européenne SERA – Partie C qui vise à imposer l’anglais comme unique langue de communication entre les pilotes privés français et les six principaux aéroports de France métropolitaine. Si elle souhaite s’en extraire, la France doit alors financer une vaste étude à remettre avant le 31 décembre 2017, et démontrant que l’utilisation du français n’est aucunement « accidentogène ».
Etrange règlementation
Or, une telle réglementation n’existe nullement au Québec ni en Afrique francophone, où l’on peut paisiblement « vivre en français ». Pourtant, les autorités françaises ne semblent guère pressées de réagir, et de considérer comme caduque cette étrange réglementation. Ni de mettre un terme à ce processus d’anglicisation à outrance que connaît actuellement la France, au mépris de son influence culturelle, et donc de ses intérêts économiques et géopolitiques. À tel point que l’Hexagone, selon la plus récente édition du classement international EF EPI (Education First, English proficiency index), publiée le 8 novembre dernier, est désormais largement meilleur en anglais que dix ex-colonies britanniques ayant cet idiome pour langue officielle ou co-officielle, de jure ou de facto, comme les Émirats arabes unis, le Qatar, le Sri Lanka ou le Pakistan. De même, il dépasse la Russie, la Chine, le Brésil, ou en encore le Japon dont la société est technologiquement la plus avancée au monde. Chose dont il n’y a aucune fierté ni gloire à retirer.
Pour un concours panfrancophone mondial
Au nom de ses propres intérêts, et des responsabilités que lui confèrent son statut quasi unique de puissance mondiale, présente sur tous les continents et sur tous les océans, la France se doit donc de renouer pleinement avec sa langue et sa culture. Dans ce cadre, elle pourrait œuvrer à la création d’un concours panfrancophone mondial réunissant l’ensemble des pays et territoires ayant le français en partage, du Québec au Vanuatu (partiellement francophone). Un concours où la langue française serait à l’honneur… contrairement à l’Eurovision.
À cet événement, participeraient donc, notamment, les pays du Maghreb ainsi que l’Afrique de l’Est francophone, dont cinq des six pays sont hélas de nouveau absents de The Voice. Occasion de rappeler, au passage, que Maurice et les Seychelles sont bien des pays francophones, malgré une colonisation britannique qui dura environ 160 années. En effet, plus de 90% de leur population a pour langue maternelle un parler français, ou plus exactement un créole à base lexicale française (ou encore un « créole français », traduction littérale de l’anglais french creole). Idiome qui n’est autre que du français standard légèrement déformé et grammaticalement simplifié, exactement comme l’arabe parlé au quotidien dans les pays du Maghreb par rapport à l’arabe standard. Et qui n’empêche nullement leurs populations d’être généralement présentées comme ayant l’arabe pour langue maternelle (en dehors des berbérophones).
Ce concours mondial pourrait également s’ouvrir à des pays et territoires non francophones mais assez francophiles, comme le Liban, la Roumanie ou encore l’État brésilien de l’Amapa. Voire aussi à quelques participants venant d’autres pays à la francophilie naissante, tant est spectaculaire la hausse du nombre d’apprenants du français à travers le monde (estimée par l’OIF à 43% pour la région Asie-Pacifique entre 2009 et 2013, et à 44% pour l’Afrique subsaharienne non francophone). Un tel événement planétaire pourrait alors se tenir à Kinshasa, capitale démographique du monde francophone avec ses 12 millions d’habitants, ou à Paris, capitale économique de cet espace. Et que le plus motivé l’emporte !
Ilyes Zouari
est spécialiste du Monde francophone, Conférencier,
Secrétaire général adjoint de la revue “Population & Avenir” (démographie et géographie humaine)
Ex-Administrateur de l’association Paris-Québec.
Auteur du “Petit dictionnaire du Monde francophone” (L’Harmattan, Avril 2015)