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Manchester : une opération sophistiquée qui met sous pression le gouvernement

Manchester, au moins 22 morts -Euronews-
Manchester, au moins 22 morts (Euronews)

Dan Lomas, University of Salford

La police du Grand Manchester a confirmé que l’explosion qui a eu lieu dans l’enceinte de la Manchester Arena ce lundi 22 mai était traitée comme un « acte terroriste ». The Conversation

Si le chef de la police de Manchester, Ian Hopkins, a précisé que cette attaque avait été perpétrée par un seul individu, il a ajouté que l’enquête chercherait tout particulièrement à établir s’il s’agissait d’un « loup solitaire » ou bien s’il appartenait à un réseau.

« Je confirme que l’assaillant est mort sur le lieu de l’attentat. Nous pensons qu’il portait un dispositif explosif artisanal qu’il a activé, provoquant la tragédie. »

Un jeune homme de 23 ans a depuis été arrêté dans le cadre de l’enquête.

Menace sous surveillance

Alors que les informations continuent d’arriver, la nature de cette attaque s’avère d’ores et déjà préoccupante pour les services de sécurité.

Sur les réseaux sociaux, les partisans de Daech se sont félicités, évoquant de nouvelles actions à venir en Europe ; l’organisation terroriste a un peu plus tard revendiqué le tragique événement via des médias djihadistes, même s’il n’existe pour l’heure pas de preuve d’une opération orchestrée.

Le Royaume-Uni a été le théâtre, ces derniers mois, d’un nombre croissant d’arrestations en lien avec le terrorisme ; et les services de sécurité ont mis en garde contre une menace grandissante de la part de groupes djihadistes. En 2015, le MI5 (le service de sécurité intérieure du Royaume-Uni) et la police antiterroriste ont surveillé environ 3 000 extrémistes locaux. Cette surveillance s’est exercée pour moitié à Londres et pour l’autre moitié dans le sud-est de l’Angleterre, les Midlands de l’Ouest et Manchester.

Les services de sécurité s’inquiètent également de la perspective du retour de djihadistes en provenance d’Irak et de Syrie, à mesure que l’État islamique perd le contrôle de ces régions. On estime qu’au Royaume-Uni près de 350 combattants seraient ainsi revenus de ces zones de guerre.

En 2015, un étudiant pakistanais, Abid Naseer, avait été emprisonné pour avoir voulu reproduire un attentat perpétré par l’IRA en 1996 à Manchester. Les services de sécurité ont ainsi estimé que des certaines de personnes auraient pu trouver la mort dans cette attaque qui visait, à l’aide d’une voiture piégée et de gilets remplis d’explosifs, le centre commercial d’Arndale.

L’attentat de Manchester, qui est manifestement un attentat-suicide à la bombe, présente un certain degré de complexité. Or les récentes attaques commises au Royaume-Uni ont été assez rudimentaires, menées à l’aide d’armes blanches et de véhicules. En 2010, le député travailliste Stephen Timms fut ainsi attaqué au couteau par une femme radicalisée et le soldat Lee Rigby périt à Londres en 2013 sous les coups de machette de Michael Adebolajo et Michael Adebowale, deux Britanniques d’origine nigériane. Cette dernière attaque s’est produite 4 ans jour pour pour jour avant la tragédie de Manchester.

L’utilisation d’explosifs dans l’Arena a de quoi susciter l’inquiétude. Car même un dispositif simple réclame un certain degré d’organisation. Chris Philips, l’ancien patron de l’antiterrorisme britannique, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que l’attentat de Manchester constituait une considérable avancée par rapport aux précédents épisodes terroristes.

Dans les semaines qui viennent les enquêteurs vont tâcher de comprendre comment l’auteur de cette tragédie a pu mettre au point son dispositif explosif. Les commanditaires l’ont-ils fabriqué eux-mêmes – comme les premiers éléments semblent le suggérer – ou leur a-t-on fourni ?

Le défi des « terroristes Nike »

L’auteur de l’attaque était-il seul ou membre d’un réseau plus large ? Cette question est également vitale. Les individus radicalisés qui agissent sans soutien extérieur – les « loups solitaires » – sont très durs à détecter. Sur le Net, la propagande djihadiste leur enjoint de perpétrer des attaques là où ils sont en mesure de le faire – chez eux ou à l’étranger –, peu importe les moyens dont ils disposent.

En 2013, le directeur général du MI5, Andrew Parker, déclarait que sa plus grande préoccupation portait sur des terroristes autoradicalisés qui déclencheraient « une attaque soudaine, rudimentaire » au Royaume uni. Les services de renseignement les ont surnommés les « terroristes Nike », allusion au slogan publicitaire « Just do it ».

La surveillance des individus radicalisés est un véritable casse-tête pour les services de renseignement et de sécurité au Royaume-Uni. Malgré un budget en constante augmentation, il leur faut déterminer qui doit être surveillé en priorité. Car les ressources du MI5, comme celles du contre-terrorisme, ne sont pas illimitées. Deux des auteurs des attaques du 7 juillet 2005 à Londres, Mohammad Sidique Khan et Shehzad Tanweer, étaient certes sur les écrans radars du MI5, mais considérés comme « périphériques » en raison de l’existence d’autres menaces imminentes.

Selon les données rendues publiques par le Parlement britannique en 2015, le MI5 dispose d’un peu plus de 4000 personnels, dont 64 % est consacré au contre-terrorisme en relation avec l’étranger. Et même en additionnant les unités de la police antiterroriste, les effectifs demeurent limités.

Or une fois identifiés, les suspects doivent faire l’objet d’une surveillance 24 heures sur 24. Selon un ancien responsable français du contre-terrorisme, Louis Caprioli, 18 à 20 officiers de police sont requis rien que pour la surveillance d’un seul suspect.

L’attentat de la Manchester Arena inquiète tout particulièrement par son caractère meurtrier. L’usage d’explosifs et non pas d’armes blanches ou de voitures piégées accroît en effet la menace qui pèse sur le Royaume uni. Comprendre comment l’auteur de cette attaque sanglante est parvenu à fabriquer son arme, identifier ses contacts et cerner ses motivations : autant de points que les services de sécurité et de police devront éclaircir très vite.

Dan Lomas, Programme Leader, MA Intelligence and Security Studies, University of Salford

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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