Leila Kilani raconte la fin d’un monde, lors d’un dernier été au domaine de La Mansouria, pendant lequel « des désaxés et des traîtres » se déchirent autour d’un héritage trop lourd.
« Il y a quelque chose d’archaïque et de primitif dans les contes, tous les récits paraissent en être issus », confiait Leila Kilani, lors des Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où la cinéaste marocaine présentait son film « Indivision » (« Birdland », sortie le 24 avril), Grand Prix du Festival du Film Arabe de Fameck. Cette indivision est celle de La Mansouria, grand et beau domaine dans les collines de Tanger, pour lequel des promoteurs proposent une fortune aux 22 héritiers de la famille Bechtani. « Je veux vendre », assure la grand-mère matriarche, « la maréchale » habituée à tout diligenter. C’est compter sans son fils ornithologue et la fille de celui-ci, qui observent, étudient, soignent les oiseaux dans leur paradis, une forêt superbe et majestueuse qu’ils refusent d’abimer.
« Les histoires d’héritage c’est une des choses qu’on partage le plus (…) Le film se passe à Tanger, mais il n’y a rien d’autobiographique, ce n’est pas une autofiction, mais je me reconnais dans chacun des personnages », assure Leila Kilani, qui met en scène dans ce conte l’antagonisme entre pragmatiques et idéalistes, « les désaxés et les traîtres », avec quelque chose d’irrationnel dans leurs comportements, empêtrés qu’ils sont tous dans un héritage trop lourd : « Les traîtres à leur clan, à leur condition, sont désynchronisés à leur appartenance ».
« Un acte de foi dans le cinéma »
La réalisatrice filme ainsi la fin d’un monde, « Oui, mais pas son apocalypse, c’est la fin d’un monde et la promesse d’une possibilité », précise-t-elle, faisant venir les oiseaux pour annoncer les changements de tableaux. « L’écologie était un point de départ, ce n’est pas du militantisme, c’est notre simple condition, c’est un mot trop petit, trop éculé, le terme écologie a été vidé de ce que ça peut signifier, c’est un catalyseur », assure Leila Kilani. Le feuilleton de La Mansouria est raconté sur les réseaux sociaux par Lina, la fille qui parle aux oiseaux mais pas aux humains. « Il y avait quelque chose à inventer de moins convenu qu’une ado muette », estime la cinéaste, « Les réseaux sociaux m’ont très vite fascinée, j’avais l’impression d’être dans les abysses, une hydre monstrueuse, c’est une formidable arène romanesque, c’est quelque chose qui conduit à un vertige fou ».
Conçu sur huit ans en trois sessions de tournage, « Indivision » est « un acte de foi dans le cinéma » pour Leila Kilani : « Je suis allée au bout de ce que je voulais, je n’ai fait aucune concession, il y a une forme mystique collective ». Ce que confirme son producteur Emmanuel Barrault : « Leila tourne de façon très aventureuse, c’est très joyeux, inventif, créatif ». Commencé dans la mélancolie, son film s’achève dans la folie, la vengeance, la colère et le chaos d’une révolte sociale. « Il y a une question de pouvoir qui m’intéressait, qui a le pouvoir de décision et qui va le perdre, j’adore le personnage de la bonne qui n’est pas à sa place », dit la réalisatrice qui aime « les films dérangeants, qui renversent le regard ».
Patrick TARDIT
« Indivision », un film de Leila Kilani (sortie le 24 avril).