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Le cycle de la culture, ou la culture en train de s’écrire

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Opération Ordival à Villeneuve-Saint-George, Val de Marne, décembre 2014.
Département Val de Marne/Flickr, CC BY-NC-ND

Claude Poissenot, Université de Lorraine

Cet article est publié dans le cadre du colloque « Transmission » organisé par l’Université de Strasbourg et l’IUF, qui se tiendra les 28, 29 et 30 mai prochains, et dont nous sommes partenaires.


Notre société se plaît à penser la culture à travers le prisme de la transmission. La notion de patrimoine, ou de « classiques », justifie les budgets de nombre d’institutions culturelles ou d’enseignement et les efforts des collaborateurs qui en dépendent. Pourtant le renouvellement est sans doute une des caractéristiques fortes de notre époque. La culture relève-t-elle d’une transmission de patrimoine ou d’un partage à double sens ? L’anthropologie nous fournit des outils pour penser cette dynamique de la culture.

Ralph Linton (dans « Le fondement culturel de la personnalité » ) définit la culture par le fait que les éléments qui la composent « sont partagés et transmis par les membres d’une société donnée ». Sur cette base, on peut réfléchir à la culture non plus comme une totalité figée, mais comme un processus permanent de reformulation.

En effet, l’adhésion apparaît comme la condition de la transmission de la culture. Sans elle, la culture manque d’oxygène et dépérit. La transmission implique à la fois ceux qui sont en position de transmettre et ceux qui sont en position de recevoir. Dès lors l’adhésion nécessaire concerne les deux générations. La plus ancienne d’abord, car elle ne peut pas transmettre ce qui lui apparaît à elle-même comme obsolète. Mais bien sûr la plus jeune est aussi un filtre en ce qu’elle ne fera pas sienne ce qui lui semble désuet.

Dès lors, nous pouvons schématiser la dynamique de la culture dans un tableau à double entrées :

Tableau 1.
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Ainsi, les parents (mais aussi les professeurs et tous ceux qui ont grandi à l’heure de l’imprimé) sont attachés à la lecture. Celle-ci forme une compétence de base qu’ils entendent transmettre. Les enfants, s’ils traînent parfois des pieds, ne refusent pas cet apprentissage. Ils seraient les premiers désolés s’ils ne pouvaient lire tout ce que les écrans leur offrent. Savoir lire est bien en train de se transmettre.

Trouver un équilibre entre générations

À l’inverse, la génération des parents (et peut-être y compris celle des grands parents), a renoncé à des « vieilleries » qu’elle avait (ou non) reçues. Ne croyant plus à la nécessité ou l’évidence des locutions latines ou de l’écriture en pleins et déliés, elle (et les enseignants inclus) ne s’engage pas dans cette transmission. De leur côté, les enfants s’accommodent très bien de voir ce pan de la culture disparaître.
Mais les parents qui sont attachés à la lecture le sont aussi à l’imprimé et souvent à l’orthographe. Sur ces points, ils rencontrent un doute, une mauvaise volonté voire une hostilité. Les enfants (certains plus que d’autres) ne se retrouvent plus dans la lecture de la presse papier ou de romans posés sur la table de chevet.

Cette situation est source de tensions notamment, car la génération des parents dispose des moyens d’imposer sa version de la culture aux enfants. Les professeurs sanctionnent positivement les lecteurs de livres et négativement les élèves à la liberté orthographique trop grande. Les parents (grands-parents, tantes, parrains, etc.) continuent d’offrir des livres aux enfants avec les encouragements des libraires sans que ce soit souvent couronné de succès. À la déception et la réprimande, des parents répondent l’indifférence ou l’hostilité des jeunes.

Les deux générations doivent trouver un équilibre. Par exemple, les enseignants continuent de transmettre l’orthographe, mais les dictées sont notées moins sévèrement qu’elles ne l’ont été afin d’éviter émeutes et découragement.

Pour une régénération de la culture

Le dernier cas est inversé. Les enfants investissent de nouvelles formes de culture ou de nouvelles pratiques qui suscitent l’interrogation voire l’hostilité de la génération des parents. Bien sûr, le numérique occupe une place de choix dans ces nouvelles références. Internet, le web 2.0 sont arrivés par les jeunes sous le regard circonspect des parents.

Mais la nouveauté peut aussi concerner un domaine relevant de l’ancienne technologie comme les mangas. Notre société se signale particulièrement par le fait que se met en place une transmission qui remonte les générations. Les enfants, avec fierté et amusement, voient leurs parents se tourner vers eux pour réussir à s’approprier les nouveaux outils et leurs fonctionnalités. Les conditions d’une régénération de la culture sont réunies.

La culture n’est donc pas figée, mais au contraire inscrite dans un processus incessant de reformulation. Le cycle de la culture part ainsi de la culture vivante vers son questionnement par la culture en travail puis son abandon (culture morte) et sa régénérescence à travers la culture émergente.

Tableau 2.
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The ConversationChaque génération est porteuse d’une culture dont elle est à la fois héritière et auteure. Elle négocie avec celles qui l’ont précédée comme avec celle qui lui succédera le contenu des références, goûts, pratiques et habitudes. Cette approche dynamique offre l’avantage de mettre l’accent sur la dimension relationnelle et dynamique de la culture. Elle ne se réduit pas à sa seule transmission par les « anciens ». Sa vitalité dépend du souci du partage, de l’écoute mutuelle, du respect de l’altérité. Plus généralement, c’est le changement social dans son ensemble qui peut être pensé par l’intermédiaire de cette grille d’analyse.

Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l’IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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