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Lettre de mai 2024 : La vie et les amours sur l’exoplanète Kepler

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une exoplanète, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, découvrons la vie et les amours des Ovoïdes sur Képler.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

Lettre de mai 2024

De Aurore Kepler 452b
mois des fleurs odorantes

à Gaïa
mois de mai

Ma chère Gaïa,

Oh, je viens de te lire. Et pour la première fois depuis deux années, tu ne m’as pas parlé de tes guerres. Comme elles n’ont certainement pas cessé d’elles-mêmes, je constate que tu as voulu faire un break pour te consacrer à d’autres choses, en particulier à cette immense révolution qu’est la révolte de tes Charmantes.

Ici mes Ovoïdes n’ont pas le même problème car ils sont moins sexués que tes Charmants. Ni les mâles ni les femelles n’ont de vrais orgasmes. Quand le mâle saute dans la poche de la femelle, il n’éjacule pas. Et même si cela fait mouiller les lèvres de la poche de la femelle, elle ne ressent pas de véritable jouissance. Quoiqu’avec les boules de comptage qu’elles y avaient déposées pour éviter les grossesses, elles commençaient à ressentir des sensations étranges et inconnues – des frémissements d’évasion dans des contrées noires vertigineusement attirantes et des pertes de contrôle qui les faisaient geindre – et je me souviens que tu avais comparé ces boules à celles que tes Geisha s’introduisent dans l’orifice pour jouir plus longtemps qu’avec l’organe mâle qui redevient trop vite flaccide après usage.

L’équilibre entre les espèces

Chez mes Ovoïdes, il n’y a pas de partage de gamètes pour constituer l’embryon mais un phénomène de parthénogenèse. C’est-à-dire que le patrimoine génétique d’une cellule de la femelle se scinde et se divise pour se multiplier et pour produire un nouvel être. Comme chez tes requins ou tes varans, voire tes abeilles et tes fourmis.

Le délicieux plaisir dont tu me parles ne semble pas être ressentis par l’ensemble des parties des habitants de ma planète et l’abominable poussée hormonale qui pousse tes uns au crime n’existe pas. Bref, nous n’avons pas les mêmes rejetons et donc pas les mêmes problèmes.

Ici sur Kepler, le problème vient en général plutôt de mes animaux : la guerre entre les médorchats et les pouloïdes semble plutôt en voie d’amélioration depuis que j’ai sévi. Je le dus car il menaçait l’alimentation de mes Ovoïdes et donc le fragile équilibre que ma nature a généré entre les espèces.

Tu te souviens sans doute également de mes Big-Five qui avaient commencé à tout griller en crachant partout le feu de leur gueule de dragon. Avant que je ne me décide à les éliminer par une belle épidémie de papilloma odorant qui les fit se crasher tous azimut.

Ah ! Le spectacle de ces monstres partant en vrille du firmament pour venir s’éclater sur ma terre m’est resté en mémoire. C’est comme si j’y étais encore. Ça commençait par un rien, un vol moins rectiligne et sans doute manquant pour une fois de cette incroyable majesté qui fait qu’un monstre puisse voler. Puis un petit écart sur la pureté de la trajectoire du volatile. S’ensuivait juste après une perte d’altitude, un frémissement d’aile et une légère cambrure cervicale à contre vent. Et tout d’un coup le Big-five se mettait en torche, tournant sur lui-même de plus en plus vite dans un sifflement météoritique accompagnant cette descente au sol. Avant le bruit sourd et ma foi rassurant de l’écrasement de ces tonnes de chair avariée sur le sol gelé de mes pôles. J’en rêve encore. L’onde de choc de l’impact me faisait vibrer l’écorce et faisait onduler jusqu’à mes champs de luzerne des régions tempérées comme la brise d’un soir d’été sur tes champs de blé.

« Mes Ovoïdes firent le voyage »

Tout cela suivi par l’organisation ce cette Mostra du Septentrion qui exposait les plus belles de leurs carcasses, des transis – un état entre la décomposition et le squelette immortalisé sur ta terre dans les sculptures de ton Ligier Richier – ces restes de chair et d’os pris par le givre des pôles, scintillant comme des diadèmes sur le front de tes princesses. Beaucoup de mes Ovoïdes firent le voyage, ici une banale télétransportation. Mais transport suffisamment rare en vue d’une activité presque artistique, pour être noté dans les annales de la naissance de celle-ci. Je nourris une race d’êtres intelligents mais totalement incultes. Ce fut donc un succès artistique comme ma planète en a peu connu, ce qui augure peut-être d’une évolution des mœurs.

Car chez moi l’Art n’existe pour ainsi dire pas.

Pourquoi ? Je crois qu’ici l’esthétique n’est pas nécessaire à la reproduction.

Chez toi ma chère Gaïa, la beauté du corps féminin est faite pour exciter le désir du mâle qui veut se l’accaparer et peut-être le souiller. Quoi de plus jouissif que de détruire un château de sable à la fois si beau et si fragile ? Tes Charmantes veulent être belles. Elles font des régimes, de la culture physique, de la chirurgie pour obtenir les rondeurs désirables aux endroits désirés, maquillent leurs défauts, enivrent les nasaux voire l’organe de Jacobsen des mâles de myrrhe et d’encens. Ainsi elles séduisent ceux qu’elles désirent et malheureusement ceux qu’elles ne désirent pas.
Tes mâles eux veulent posséder cet objet d’art qu’est devenu le corps de Charmante. Baiser ses lèvres d’une haleine fétide. Caresser sa peau veloutée de mains rugueuses. Pénétrer l’intimité de son entrejambe ou de son cul de coups violents et répétés. Avilir l’harmonie de sa bouche par la succion déformante de son membre. Maculer ses yeux d’éjaculations faciales. Et bien sûr accabler ses oreilles de qualificatifs honteux qui la rabaissent et la flétrissent.

Tes Charmants romantiques vont me vomir. Mais s’ils réfléchissent un peu, quel intérêt portent-ils aux corps déjà flétris ?

Ici comme toutes mes Ovoïdes sont moches, l’accouplement n’est pas basé sur la plastique de la femelle dont les formes, la taille, la chevelure et la pilosité sont celles d’un œuf… Comme je te l’écrivais, le mâle doit donc sautiller dans la poche dorsale de sa voisine pour procréer. Pas de cuisses à écarter, pas de poitrine à pétrir, pas de membre à se faire saisir… Ce sont presque des gestes sans désir si bien que les mâles n’en font pas fait une obsession taraudante.

Chez moi les rares expositions artistiques n’exposent jamais le visage ni le corps féminin, ni leurs nippes, ni leurs bijoux et ne mettent en scène ni les objets couteux qu’utilisent les mâles pour les attirer, ni les objets liturgiques de tes vénérations célestes. L’amour qui sous-tend tes œuvres, tes sculptures, tes peintures, ne fait pas partie du registre de leurs sentiments. Je me demande d’ailleurs quels sont-ils ? Mes expositions illustrent seulement la résolution d’un problème de société. Comme celui du résultat de mon combat contre les Big Five.

Un monde sans passion serait pénible à supporter

Un autre exemple fut celui de la collection des plus belles canines de médorchats. Celles qui avaient plus de cent pouloïdes à leur compteur. L’exposition temporaire les concernant avait duré deux cycles autour de mon astre, entrainant de monstrueuses files d’attente d’Ovoïdes devant la verrière majestueuse du Grand Palais des Mystères de Moony, la capitale du pays des Deux Lunes. Pour voir très peu de choses, si ce n’était constater l’équipement variable des meilleures bêtes tueuses et peut-être une différence dans la qualité de l’ivoire de leur dentition. Ici l’Art se niche dans des considérations ésotériques que le commun ignore et qui, je l’avoue, m’échappe aussi quand chacun doit s’émerveiller devant tant de banalité sous peine d’être qualifié de rustre ou d’attardé…

Bref rien de très distrayant…

Sache que si la révolution menace ta terre qu’au moins elle t’occupe. Car un monde sans passion et donc sans conflit est bizarrement un peu pénible à supporter. La routine sans aucune surprise, ça me fait tourner en rond et j’allais dire broyer du noir. Toi, tu sais que de chaque instant va surgir une polémique, une lutte, un combat, une guerre et que son spectacle va t’occuper. Et si tu le désires, tu pourras agir au début et stopper son développement. Malgré l’énervement que tu ressens à l’égard de tes Charmants, je constate que tu les aimes et les chéris trop pour vouloir longtemps leur malheur. D’autant que chaque drame qui se déclare menace ta terre, ton air et tes eaux avant que ne vienne le temps de sa résolution. Celle-ci certes ne manquera pas d’accaparer ton esprit qui en oubliera l’ennui. En conclusion, vive les problèmes, mais ça c’est l’avis d’une planète qui n’en a pas assez pour vivre ce temps infini qui passe beaucoup trop lentement ; et dont je ne vois pas le terme, une fin qui somme toute m’effrayerait mais me consolerait de pouvoir un jour ne plus m’ennuyer de ne rien attendre en attendant quand même… Encore quelques milliards de cycle autour de mon astre me permettront d’y voir plus clair avec ma fin. Mais bon sang que c’est long !

Quand je pense que tes Charmants rêvent d’éternité… Quelle horreur !

Il y a du nouveau du côté de mon règne animal, en particulier du côté de celui des petits chevroïdes : ils ont inventé un nouveau jeu qui s’avère être une suite de défis bizarres. Au milieu de mes campagnes, par monts et par vaux, franchissant les rivières d’eau violine et les chemins de traverse, soulevant des nuages de terre d’ocre par temps sec ou bravant les ornières de boue à cause d’intempéries qui vont ici s’aggravant, traversant des fourrés épineux, foulant des parterres de ronces, escaladant les roches pourprées des moraines, remontant les flot impétueux des torrents, ils font des courses et se relaient par équipe durant le temps de toute une rotation sur moi-même. Et ils le font parfois sur le territoire de mes ursidés qui s’en réjouissent car ces derniers n’ont plus besoin de s’aventurer pour chercher bonne pitance : elle se rend chez eux, sautillante et guillerette, à quatre jolies pattes charnues, et n’en repart que sur trois, voire un peu moins mais sans doute heureuse d’avoir relevé un défi et d’avoir participé au grand cycle de ma vie.
Que ne feraient pas ces bêtes pour se distraire ? Elles sont un peu comme moi, menacées par l’ennui et prêtes à des folies qui exposent leurs vies pour accélérer le temps qui passe et oublier leur lassitude ou leur absence de projet. Et comme en pratiquant ces traversées, elles se divertissent d’une part et d’une autre se rendent utiles – même si elles ne nourrissent que très partiellement une infime partie de ma diversité – elles pratiquent presque toutes cette traversée échevelée de mes territoires sans se trop se soucier des risques qu’elles encourent car ceux-ci sont compensés par le sentiment du service rendu à ma planète. Tout comme ce colibri qui apporte dans son bec trois gouttes d’eau pour éteindre le brasier de la forêt, elles font leur part sans illusion sur leur efficience. Mais si infime et inutile soit elle, cette participation leur confère le sentiment de servir cette grande communauté qui est la mienne.
Au début quand j’ai vu leur manège, j’ai cru qu’un nouveau virus avait frappé ces bêtes délicates. Mais je vois bien qu’elles ne sont point malades. Elles ont simplement trouvé un exutoire à leur léthargie, un but à leur vie, un divertissement éloignant l’apathie qui gagnait leur race.
Je possède donc maintenant une espèce giboyeuse heureuse de se comparer en des courses effrénées, de s’étourdir en des défis insensés, de s’oublier dans la douleur de l’effort et dans la communion avec ma nature abondante. Et surtout de participer à cette grande loterie de la survie qui les excite pour en tirer la fierté, pour les survivantes, de s’en être bien sorties. Elle leur fait reprendre goût à cette vie qu’elles avaient tendance à dénigrer parce qu’elle manquait d’imprévu et de sens. Il vaut mieux risquer la mort en défiant des fauves que de se jeter du haut d’un rocher. L’issue est moins certaine et l’estime de soi en sort grandie, ce qui écarte ces bêtes accomplies des chemins trop bordés de précipices…

La folie des planètes n’est pas aub programme

Ah ma chère Gaïa, je ferais bien des courses effrénées avec toi dans cet immense Univers pour aller y défier quelques trous noirs ou quelques explosions de super nova. Mais la gravité nous empêche de rêver à de telles escapades. La gravité est si triste à tourner encore et encore autour d’une étoile certes brillante mais ne permettant aucune fantaisie dans nos ellipses et nos projets d’évasion. La folie des planètes n’y est pas au programme.

Je t’enlace tendrement de mille rubans multicolores de mes sœurs boréales qui, en spirale, vacillent sur mes pôles et s’échappent de mon firmament pour se dissoudre dans l’infini et te porter ces messages, fruits de ma tendresse et de mon attachement.

Ton Aurore

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