Gender Inequality Index 2014.
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Avner Bar-Hen, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
Comment savoir si les hommes et les femmes sont égaux en France ou dans un autre pays ? Est-il suffisant de mesurer le niveau des salaires, le temps consacré aux travaux ménagers ou aux soins aux enfants ? Doit-on quantifier la violence en fonction du sexe ? Est-il important de savoir le nombre de femmes au Parlement, de professeures dans les universités ou parmi les infirmières ? Autant de questions qui relèvent du choix d’indices, avec pour chacun d’entre eux, des méthodologies sous-jacentes.
Classiquement il existe deux grandes approches pour mesurer le degré d’égalité des sexes dans une région ou un pays :
- La première méthode pour mesurer l’égalité des sexes est basée sur les enquêtes. Dans ce cas, la question est généralement formulée en complément à d’autres questions. On peut citer le Gender and Generation, qui étudie de façon assez fine le lien entre le genre et les générations. Le genre est inclus dans l’enquête, mais la connaissance de l’égalité entre les sexes n’est pas l’objectif principal.
- La deuxième approche est basée sur des objectifs et des
statistiques pour les quantifier. De très nombreuses mesures sont possibles : on peut par exemple comparer le pourcentage de travailleuses dans plusieurs pays. Mais comme il n’est pas raisonnable de travailler les trois cents indicateurs sur le genre classiquement répertoriés, il est nécessaire de produire des indices synthétiques.
Indices synthétiques
Les indicateurs les plus anciens de l’(in)égalité entre les sexes sont l’indice de développement sexospécifique (Gender-related Development Index, GDI) du PNUD et la mesure d’autonomisation des sexes (Gender Empowerment Measure, GEM), introduite en 1995. Le premier est basé sur l’indice de développement humain du PNUD et inclut les disparités entre sexes pour l’espérance de vie, l’alphabétisation des adultes, le niveau scolaire et le revenu par habitant. Le second inclut en plus d’autres variables comme la proportion de femmes dans les parlements ou dans les conseils d’administration des grandes entreprises. Le GEM mesure la capacité des hommes et des femmes à participer activement à la vie politique et économique du pays. Il est donc considéré comme plus spécialisé.
Le débat sur l’intérêt de ces deux indices est souvent passionnel, mais on peut noter que ces deux indices ne peuvent être utilisés indépendamment du score de l’indice de développement humain. Ceci est donc une limitation forte pour les comparaisons internationales.
Parmi les mesures plus récentes figurent l’indice de parité
hommes-femmes (Gender Equity Index, GEI) introduit par Social Watch en 2004, l’idée est de mesurer les situations défavorables aux femmes. Il est conçu pour faciliter les comparaisons internationales en classant les pays selon trois dimensions des indicateurs d’inégalité entre les sexes : l’éducation, la participation économique et le degré d’autonomie des femmes. En raison de son accent sur les facteurs socio-économiques, il a été critiqué pour ignorer les causes sous-jacentes de l’inégalité entre les sexes, comme la santé.
Parmi les indices mondiaux populaires, il faut aussi citer l’Indice mondial de l’écart entre les sexes (Global Gender Gap Index, GGPI), publié dans le Rapport mondial sur l’écart entre les sexes. Il a été proposé par le Forum économique mondial en 2006 et est publiée chaque année. Cet outil est lui aussi destiné à permettre une comparaison comparative des écarts entre les sexes selon les pays et les années, et le score de chaque pays peut être interprété comme le pourcentage de l’inégalité entre les femmes et les hommes (du pays considéré). Cet indice est calculé pour 130 pays et prend en compte quatre domaines principaux : la santé, l’éducation, l’économie et la participation politique.
On peut aussi citer l’indice des institutions sociales et des sexes (Social Institutions and Gender Index, SIGI) du Centre de développement de l’OCDE à partir de 2007. Cet indicateur se concentre sur les institutions sociales qui affectent l’égalité entre hommes et femmes, mais aussi le code de la famille ou les droits de propriété.
Le but de ces différents indices est d’évaluer les multiples aspects des disparités entre les sexes, non seulement dans les recherches universitaires sur les causes et les conséquences de l’inégalité entre les sexes, mais aussi pour éclairer les débats de politiques publiques.
Qualité des données
Point important, l’utilisation des données sur le genre attire l’attention sur la question de la qualité des données. Si elles sont de qualité douteuse, la légitimité de leur utilisation pour des objectifs collectifs est questionnable. Les mesure relèvent de questions méthodologiques complexes et ne se limitent pas seulement à des curiosités académiques.
Un indice unique n’est jamais la solution au problème provoqué par le nombre important d’indicateurs : il est donc nécessaire de comparer les différents indices de genre. Or, la description des méthodologies sous-jacentes utilise des terminologies différentes, ne décrit pas correctement les choix méthodologiques et reste souvent muette sur les sources potentielles d’erreur de mesure. Enfin, les développeurs d’indice ne sont que rarement explicites sur le concept global qu’ils cherchent à mesurer.
Il en résulte que les choix méthodologiques qui sous-tendent la construction des indices montrent souvent que ce que l’indice mesure est différent de ce qu’il prétend déterminer ! Il est donc primordial de se demander ce qui est réellement mesuré.
Cinq indices, mais un défaut d’explications
Les cinq principaux indices de genre diffèrent dans leurs significations, ce qui n’est toujours évident à comprendre à partir du nom ou même de la description proposée par les développeurs d’index. L’indice de développement sexospécifique (GDI) du PNUD est l’indice le mieux expliqué et le plus facilement compréhensible en raison de sa
focalisation sur un concept bien théorisé et largement diffusé : l’indice de développement humain (IDH). Comme l’indique le PNUD, le GDI, mesure les mêmes capacités de base que l’IDH, mais prend note des inégalités de réussite entre les femmes et les hommes.
L’explication selon laquelle le GEM (mesure d’autonomisation des sexes) se concentre sur les opportunités des femmes plutôt que sur leurs capacités est utilisée comme justification pour que cet indice soit complémentaire au GDI. Ceci est un peu léger pour comprendre la différence entre les possibilités et les capacités surtout que ces deux indices ont beaucoup de variables en commun.
Les développeurs de l’indice de parité hommes-femmes (GEI) et de l’Indice mondial de l’écart entre les sexes (GGGI) n’indiquent pas explicitement quels concepts ils ont l’intention de mesurer. Autrement dit, ces indices se contentent de se revendiquer comme des mesures de l’égalité des sexes et leurs concepts généraux ne sont pas clairement formulés.
L’interprétation de l’indice des institutions sociales et des sexes (SIGI) de l’OCDE présente aussi des lacunes. Le SIGI veut fournir une mesure qui va au-delà des autres indices. Le SIGI inclut des données de comparaison implicite des droits des femmes par rapport aux hommes, et des mesures de droits des femmes qui n’ont pas d’équivalent masculin évident. Ainsi, le SIGI peut être vu, de façon assez vague, comme une mesure combinée des désavantages féminins par rapport aux hommes concernant certains droits fondamentaux et l’accomplissement de droits distinctifs pour les femmes. Ce manque de symétrie dans les indicateurs du SIGI et les échelles des indicateurs ne permet pas de savoir ce qui est mesuré.
Les contributions précieuses apportées par les promoteurs des
indices de genre doivent être reconnues. Ils constituent une ressource qui a permis de décrire les disparités entre les sexes et de promouvoir les droits des femmes d’une manière plus efficace que ce qui était possible avant 1995. Avoir un indice empirique global est préférable à ne pas en avoir, même si les mesures actuelles souffrent de faiblesses méthodologiques. Cependant, la production d’indices multiples crée également un problème pour les utilisateurs : ils n’ont pas les moyens de les comparer entre eux.
Avner Bar-Hen, Professeur du Cnam, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.