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Le trompe-l’œil de la fin de la redevance…

La suppression de la contribution à l’audiovisuel public (C.A.P.) est bien souvent analysée sommairement explique l’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert. C’est pourtant l’occasion de rappeler quelques principes fondamentaux de nos pratiques budgétaires et de regarder comment ils sont traités par le Gouvernement et la majorité.

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat au Budget (DR)

Par Christian Eckert

La suppression de la contribution à l’audiovisuel public (C.A.P.) est bien souvent analysée sommairement. C’est pourtant l’occasion de rappeler quelques principes fondamentaux de nos pratiques budgétaires et de regarder comment ils sont traités par le Gouvernement et la majorité.

L’universalité budgétaire : Ce principe consiste à ne pas flécher des recettes vers des dépenses. Pour résumer, toutes les recettes de l’État (impôts de toute nature, TVA, taxes, dividendes…) arrivent dans une seule caisse et les dépenses (Crédits des Ministères, subventions, certaines allocations…) sortent de cette caisse sans que l’on relie une recette précise à une dépense précise. Il y a néanmoins quelques exceptions. Citons-en deux :

  • Le produit des amendes des radars (environ 1 Milliard) sont versés sur un compte d’affectation spéciale (C.A.S.). Cette somme sert à l’entretien et au renouvellement des appareils, et finance essentiellement des opérations modernisant les infrastructures de transport.
  • La Contribution à l’Audiovisuel Public (C.A.P.) est aussi mise à part et reversée aux opérateurs publics de radio et télévision. Le principe d’universalité budgétaire permet d’assurer le financement des fonctions régaliennes (armée, police, justice, enseignement…) qu’il est difficile de relier à des recettes propres en lien avec elles.

L’indépendance des médias

L’obligation constitutionnelle d’assurer l’indépendance de l’audiovisuel public : l’indépendance des médias a valeur constitutionnelle, dans la mesure où elle participe de la liberté défendue par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, à laquelle renvoient les premières lignes du préambule de la Constitution. Le fléchage des recettes de la C.A.P. vers les sociétés publiques consolide cette indépendance. Supprimer cela, c’est rendre clairement à la majorité parlementaire la faculté de fixer les moyens de l’audiovisuel public dans une loi de finances, comme toutes les autres dépenses. La tentation serait donc grande de moduler les crédits en fonction du degré d’allégeance au Gouvernement en place…
La possession d’un téléviseur qui conditionne le versement de la C.A.P devient obsolète : depuis quelques années, les nouveaux appareils (smartphones, tablettes…) permettent de visionner les émissions sans avoir de téléviseur et donc sans payer la C.A.P. Les jeunes, notamment, bénéficient donc du service public sans le financer. À terme, on peut penser que l’assiette actuelle de la C.A.P est donc en train de s’éloigner de l’objectif poursuivi, et on peut même craindre que la pérennité de ce financement ne soit pas assurée sans une modification. D’autres dispositifs, proposés par le groupe socialiste par exemple, auraient mérité d’être étudiés.

Le paradoxe de la loi

Le choix de l’Assemblée est socialement contestable : La majorité a décidé d’affecter une fraction des recettes de TVA pour financer l’audiovisuel public. Il se targue d’y voir une garantie de ressources pour le secteur. Mais elle ne dit pas que le niveau de cette fraction pourra être modifié dans une loi ultérieure. Même si la TVA est aujourd’hui une recette qui croît fortement, il n’est pas sûr qu’un bouleversement économique n’inverse son évolution. Et puis surtout, à y regarder de près, un rappel doit être fait : beaucoup de personnes, souvent de conditions modestes, ne payaient pas la C.A.P. (les personnes déclarant ne pas disposer de téléviseur, les personnes dont le revenu fiscal de référence (RFR) est égal à zéro, les personnes âgées de plus de 60 ans, sous condition de ressources …). Le « manque à gagner » était compensé par un versement de l’État. En piochant dans la TVA que tous payent, la majorité fera dorénavant contribuer tout le monde, au travers de l’impôt qui proportionnellement affecte plus les foyers fragiles. Un paradoxe pour une loi censée soutenir le pouvoir d’achat en ciblant ceux qui en ont le plus besoin !

Le choix de la TVA est injuste

La disparition de la C.A.P. est donc un trompe-l’œil que la macronie veut faire passer durant l’été (avec la complicité de la droite, voire de l’extrême droite, comme cela semble devenir fréquent). Si l’universalité budgétaire peut être discutable, la constitutionnalité de ce dispositif sera à vérifier. Le choix de la TVA est injuste et l’assiette de la ressource n’a plus aucun lien avec la nature de la politique publique concernée. Sans parler de la perte de recettes dont on ne voit pas bien comment elle est compensée pour le budget, mais c’est devenu habituel depuis quelques années…

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