Clémentine Hugol-Gential, Université de Bourgogne – UBFC
Si, en France, historiquement, le chocolat est d’abord une boisson de luxe, il est aujourd’hui démocratisé et présent sous de multiples formes : tablettes, confiseries, entremets, gâteaux, crèmes, boissons… Un ballet de déclinaisons qui s’enrichit chaque année à l’approche de Noël et de Pâques, où les figurines en chocolat envahissent les rayons des magasins. De quoi souligner le lien à l’enfance de cet aliment ?
Le chocolat s’accompagne de tout un univers lié aux jeunes années de la vie, en témoigne la place de Charlie et la chocolaterie au panthéon des œuvres appréciées des enfants, mais les mythologies, vertus et croyances qui l’entourent vont bien au-delà. Il s’agit d’un objet de communication particulièrement fécond pouvant mobiliser de nombreuses valeurs mais également différents discours entre plaisir, santé, éthique, ou bien encore transmission.
Le goût, une communication complexe
Communiquer le goût revient à communiquer une expérience sensible et par là même labile, fugace et subjective. Dans notre perspective des sciences de l’information et de la communication, il s’agit non seulement de saisir les dimensions sensibles mais aussi de réfléchir à la manière de les transmettre, d’en faire une réalité qui se communique.
Au-delà d’une sémantique sensorielle autour du goût, les industries agroalimentaires ont recours à d’autres dispositifs communicationnels pour nous faire ressentir notre alimentation. Des discours construits autour de valeurs sont alors mobilisés visant à unir des dimensions sensibles mais aussi et surtout symboliques car comme le note avec beaucoup de justesse le sociologue Claude Fischler dans son ouvrage L’homnivore, manger c’est « incorporer non seulement de la substance nutritive mais aussi de la substance imaginaire, un tissu d’évocations, de connotations et donc de significations ».
Le chocolat est apparu dans mes recherches dans le cadre d’un projet autour de l’alimentation-cancer. Si celui-ci est noir et riche en cacao, il est traité par certains consommateurs comme un aliment vertueux pouvant permettre de maintenir une bonne santé et de se prémunir contre les maladies. Le chocolat a d’ailleurs pendant très longtemps été vendu par des apothicaires et en pharmacie.
Pour autant, le chocolat a aussi été cité comme un aliment potentiellement très calorique et devant être consommé avec modération car pourvoyeur de différentes maladies (diabètes, maladies cardio-vasculaires, etc.). Le chocolat est alors au cœur d’une dichotomie aujourd’hui très récurrente dans nos représentations alimentaires opposant sain et malsain, santé et plaisir.
Images, éthique et publicité
Du côté de l’industrie agroalimentaire et des chocolatiers, la santé n’est pas un axe communicationnel privilégié, c’est surtout le plaisir qui est très largement valorisé et communiqué. Se construit alors un imaginaire sensible allant du sensoriel au sensualisme. Car la communication du chocolat a mobilisé et mobilise encore la sensualité pour donner à voir le plaisir exacerbé des cinq sens. Le chocolat est alors chaud, voluptueux, aphrodisiaque. C’est ainsi que la publicité Nestlé Dessert de 1977 nous susurre « Le plaisir, tous les plaisirs », et nous dévoile dans un jeu d’ombres un homme et une femme qui partagent une poire délicatement enrobée de chocolat.
En 1987, la publicité Rocher Suchard joue à plein l’image de la femme tentatrice. Ici c’est bien l’imaginaire de la Genèse qui est convoqué avec le fruit défendu et un homme prétendument vertueux qui cède au plaisir de chère et de chair. Si la dichotomie santé – plaisir est toujours très présente, on observe une nouvelle voie communicationnelle se dessiner autour de l’éthique en écho notamment à un contexte où l’urgence climatique et environnementale est de plus en plus médiatisée.
Dans leur revue de la littérature portant sur les recherches en communication environnementale, Catellani et al. soulignent le succès de l’expression « développement durable ». Les auteurs notent par ailleurs que la thématique de la communication environnementale connaît une forte montée en puissance depuis 2014. Cette expression a également pénétré la communication alimentaire avec une nouvelle valeur qui apparaît : l’éthique. Celle-ci est présente de manière transversale dans la majorité des discours alimentaires valorisant la santé, la gastronomie ou bien le terroir.
Riche de sens, cette valeur permet de réduire la dichotomie entre plaisir et santé. C’est ainsi que plusieurs thématiques reliées entre elles émergent : qualité, souci de l’environnement, prise en considération des conditions de travail dans des logiques de développement de commerces équitables. Le chocolat n’échappe pas à cette modalité communicationnelle à l’image d’Alter Eco et permet dans un souci de transparence de « faire savoir » les conditions de production et d’acheminement mais aussi de valoriser des savoir-faire comme ceux des producteurs et pas seulement des illustres chocolatiers. Une communication qui permet également de valoriser la transmission.
Le chocolat, entre transmission et enfance
La thématique de la transmission amène à décliner différents discours afin de communiquer aussi bien l’histoire familiale que le savoir-faire ou bien encore le goût. En toile de fond de la transmission, il y a l’enfance : la boisson chocolatée du matin, les moustaches de lait, les gâteaux confectionnés dans la cuisine maternelle. Il s’agit alors de montrer la construction des sociabilités et des souvenirs alimentaires.
C’est ainsi que, dès 1892, le chocolat Menier met en scène une petite fille dessinant sur un mur. Cette affiche réalisée par Firmin Bouisset a traversé les époques et sera plusieurs fois revisitée, incarnant l’espièglerie mais envisageant aussi l’enfant comme prescripteur d’achat. Cette espièglerie est largement mobilisée dans les publicités pour les mousses au chocolat de Nestlé en 1999, puis en 2001 avec le fameux « tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice » soulignant la transgression enfantine.
La gourmandise se décline également comme une possibilité offerte à tous, il est aussi vecteur de partage, de convivialité gourmande « les enfants aiment Kinder chocolat et moi aussi ». Parfois l’adulte transgresse et retourne en enfance, Lu en 1997 le met en scène avec ses Petits écoliers. La transmission mais surtout le lien à l’enfance construit une passerelle entre passé et présent permettant de valoriser le goût, la transgression, la transmission et en filigrane, la mémoire individuelle et collective.
En effet, notre alimentation marque durablement notre corps entre traces biologiques, traces corporelles mais aussi et surtout traces mémorielles. Ces dernières couplées avec les symboliques alimentaires sont largement utilisées pour communiquer et donner du goût mais surtout du sens aux discours alimentaires et, par extension, à notre alimentation. Il s’agit alors de saisir et transmettre le sens, la réalité sensible alimentaire en l’incarnant dans du sensualisme, des souvenirs, des expériences antérieures et des enjeux à venir.
Clémentine Hugol-Gential, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.