Céline Couteau, Université de Nantes et Laurence Coiffard, Université de Nantes
Quels que soient les individus, leur peau présente des caractéristiques communes. On y trouve différentes populations cellulaires possédant des rôles bien spécifiques. Au niveau de l’épiderme (la couche cutanée la plus externe), on retrouve quatre grandes catégories de cellules : les kératinocytes (cellules prédominantes) qui synthétisent la kératine, une molécule qui joue un rôle important dans la fonction barrière exercée par l’épiderme, les mélanocytes, quant à eux, synthétisent des pigments clairs (phaeomélanines) ou foncés (eumélanines) responsables de la couleur de la peau et de sa capacité plus ou moins grande à développer un bronzage protecteur. Cellules de Merkel (cellules du sens du toucher) et cellules de Langehrans (cellules du système immunitaire) viennent compléter le tableau.
Sous l’épiderme… le derme, un tissu formé de cellules (les fibroblastes) prisonnières d’une substance gélifiée. Le derme a pour but de soutenir l’épiderme. Est-il amené à s’effondrer (du fait de l’âge et d’un défaut de synthèse du collagène), les rides apparaîtront inéluctablement. Le troisième étage ou hypoderme (tissu graisseux) est composé d’adipocytes. C’est au niveau du derme que l’on trouvera les glandes sébacées (qui sont à l’origine du sébum) et les glandes sudoripares (dont la fonction est de produire la sueur).
Sébum (sécrétion de nature lipidique) et sueur de nature aqueuse forment à la surface de la peau un enduit protecteur. Ce dernier appelé film hydrolipidique (FHL) ou film cutané de surface (FCS) revêt un caractère esthétique important. En effet, en cas d’hyperactivité des glandes sébacées la peau sera grasse ; en cas d’un défaut d’activité de ces mêmes glandes, la peau sera sèche. L’eau contenue dans les couches cutanées superficielles aura tendance à s’évaporer et ce d’autant plus que le film gras présent en surface sera plus mince. La peau dite normale est la peau idéale. Il n’y a ni hyper- ni hypofonctionnement des glandes sébacées. La peau mixte est une peau mi-figue, mi-raisin. Trop grasse au niveau de certaines zones (menton, nez, front), elle est sèche par ailleurs ! Ces quatre types de peau sont bien connus des cosmétologues qui concoctent depuis une centaine d’années des préparations spécifiques.
En 1886, le Dr Monin, médecin spécialiste des « questions relatives à l’hygiène du teint et à la santé de la peau » rédige un vade-mecum cosmétique à l’attention des femmes. Ce recueil, dont il est prudent de ne pas se séparer, s’intitule sobrement « L’hygiène de la beauté ». Des conseils adaptés sont prodigués aux femmes à peau grasse (se laver à l’aide d’une eau alcaline mêlée ou non de quelques gouttes d’alcoolat ou d’un vinaigre alcoolique de « bonne qualité ») et à peau sèche (qui « pourront employer la lanoline pure, ou un peu de la mousse d’un savon bien neutre et incapable d’offenser la fleur si sensible de l’épiderme »).
En 1902, dans sa boutique de Melbourne, Helena Rubinstein prend « l’habitude de séparer les femmes en trois groupes, bien distincts, suivant les caractéristiques […] de la nature de leur peau. » Celle qui retracera les grandes lignes de sa carrière dans un ouvrage intitulé « Je suis esthéticienne » se présente comme une avant-gardiste :
« Déjà, s’était imposée à moi l’évidence de la nécessité de varier les traitements suivant que la peau est sèche, neutre ou grasse, et j’apportai de légères modifications à la fabrication de ma Crème Valaze, en fonction de ces caractéristiques ».
Du vinaigre pour la peau
En 1910, Colette Villiers décrit de manière poétique les deux types de peaux (De la beauté chez la femme – soins – hygiène – recettes pratiques). « Les personnes dont la peau est grasse, onctueuse au toucher, riche en enduits sébacés (propriétés absolument indépendantes de l’état de maigreur ou d’obésité générale) » et « les peaux sèches » […] qui desquament et s’irritent facilement » doivent recevoir des soins spécifiques. Du lever au coucher, les règles appliquées seront différentes. Les femmes à peau grasse pourront réaliser leurs ablutions à l’aide d’eau chaude additionnée de vinaigre. Ce dernier est alors une forme cosmétique à part entière et non un simple ingrédient. Le vinaigre de Bully composé d’eau, d’alcool à 85°, de diverses substances aromatiques (benjoin, tolu…) et de vinaigre (bien entendu) est, sans doute, l’un des exemples le plus célèbre. Les peaux sèches, quant à elles, utiliseront pour leur toilette de la vaseline ou un cold-cream. Dans les deux cas, les produits proposés pour la toilette du matin font sourire et témoignent de l’évolution en matière d’hygiène du visage.
En 1930, le pharmacien René Cerbelaud (Formulaire de Parfumerie – Tome II) préconise un « choix et un emploi judicieux des crèmes ». S’il insiste surtout sur l’exclusion des matières premières toxiques des cosmétiques (céruse, chlorure de mercure…), il n’en reste pas moins conscient qu’il n’est pas tout d’avoir « des crèmes de bonne composition et honnêtement préparées », encore faut-il les appliquer « à bon escient ». Utilisée sans discernement la crème la plus performante pourra s’avérer « nuisible ». Il conviendra donc de définir son type de peau (peau grasse, sèche ou neutre) en premier lieu. Le terme « neutre » est alors largement utilisé pour désigner la peau « normale ».
En 1949, en écho à son illustre prédécesseur, la journaliste Marcelle Auclair, dans un dictionnaire à destination du public féminin (La beauté de A à Z), pose, elle aussi, comme postulat de base, la nécessité de « se connaître ». À la question : « Votre peau est-elle grasse, sèche ou normale ? », la lectrice de l’ouvrage en question doit être en mesure d’apporter une réponse :
« Votre peau est grasse, lorsqu’elle présente un brillant moite, particulièrement aux ailes du nez ; lorsqu’elle laisse des traces luisantes sur le papier absorbant que vous y appliquez. […] Votre peau est sèche, si elle ride facilement, si elle présente un brillant qui rappelle celui du taffetas. […] Vous avez une peau normale, si vous n’éprouvez ni les inconvénients des peaux grasses ni ceux des peaux sèches. La peau normale est la peau parfaite, c’est l’état dans lequel se trouvent, lorsqu’elles sont en excellente santé, les femmes jeunes dont on admire le joli teint ».
C’est à l’aide d’images très parlantes (le dépôt d’un film gras sur un papier absorbant, la comparaison avec le taffetas, un tissu d’aspect sec qui craque au toucher) que la chroniqueuse du journal Elle apporte des solutions aux femmes qui s’interrogent sur leur type de peau.
Apprendre à se connaître, mais aussi garder le cap. Marcelle Auclair prône la fidélité… cosmétique. « Soyez fidèles… Soyez fidèles à votre expérience ; soyez fidèles au spécialiste qui vous a bien conseillée, soyez fidèles aux produits qui vous donnent de bons résultats. » À la manière du pharmacien qui met en garde le patient qui pense se servir pour lui-même de tel ou tel médicament qui « donne de bons résultats » chez un membre de sa famille, Marcelle Auclair met en garde les téméraires qui essayent « les crèmes qui réussissent à leurs amies ». Le cosmétique doit être choisi avec discernement. Peau sèche, peau grasse, il faut choisir !
Céline Couteau, Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes et Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.