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Comment préserver nos ressources en eau ?

Et pourquoi pas en favorisant la recharge des nappes d’eau souterraine ?
Système de recharge de l’aquifère côtier à Hyères (Var).
Géraldine Picot-Colbeaux/BRGM

Géraldine Picot-Colbeaux, BRGM; Marie Pettenati, BRGM et Wolfram Kloppmann, BRGM

Les eaux souterraines françaises sont de plus en plus sollicitées pour l’eau potable, l’agriculture, l’industrie et les loisirs, au point que la situation devient critique dans certains départements en été et que des préfets recourent à des restrictions d’usage de l’eau (73 départements concernés en août 2020).

Manquerons-nous d’eau demain ?

Des expériences douloureuses dans le monde montrent à quelle vitesse des régions rurales ou de grandes capitales peuvent frôler l’épuisement de leurs ressources en eau : la ville du Cap a frisé la catastrophe en 2018 quand ses réservoirs, après trois ans de sécheresse, étaient tombés à 11 % de leur capacité. Le retour des pluies et une gestion rigoureuse de la consommation ont permis à la capitale sud-africaine de surmonter la crise en 2020.

Comment éviter d’être à la merci de l’apport des pluies ?

Des solutions existent pour maintenir l’équilibre fragile entre nos besoins et l’aléa de l’offre naturelle en contexte de changement climatique. On parle de « gestion intégrée de la ressource en eau », qui vise à préserver le niveau des nappes d’eau souterraine, les débits des cours d’eau et à lutter contre les inondations et la salinisation des eaux en milieu côtier.

Parmi ces solutions, on trouve la recharge maîtrisée des aquifères à laquelle nous allons nous intéresser.

L’eau souterraine, inégalement répartie

Les eaux souterraines constituent une ressource invisible contenue dans les « aquifères », terme désignant les formations rocheuses ou sédiments qui contiennent ces eaux ; elles se renouvellent plus ou moins rapidement.

Certains aquifères profonds contiennent des eaux de pluies tombées quand l’humanité taillait encore des silex ! D’autres, proches de la surface, contiennent de l’eau qui transite en quelques années. Sous nos latitudes, c’est en hiver, lorsque la végétation prélève moins d’eau, que les précipitations rechargent les aquifères. Ces nappes d’eau souterraines sont très vulnérables aux pollutions et aux variations de précipitation, entrainant parfois ainsi un déficit de la recharge.

Le cycle de l’eau et la formation des aquifères (canal9valais/Youtube, 2021).

Près de la moitié de cette eau souterraine est saline, impropre à la consommation et à son usage le plus « gourmand », l’irrigation. L’eau souterraine exploitable est ainsi rare et répartie de façon inégale sur la planète.

Des pressions très variables

Les pressions sur la ressource sont aussi très inégales selon les zones climatiques et le degré de développement. La pression s’exerce surtout sur les ressources dans les métropoles, mégalopoles et leurs zones d’influence en expansion.

Les zones littorales dont la densité de population augmente périodiquement avec le tourisme et qui concentrent les activités industrielles et commerciales sollicitent les ressources en eau souvent au-delà de leurs capacités. S’ajoute à cela la menace permanente d’une intrusion saline dans les nappes côtières, exacerbée par le changement global.

Pourtant, le bilan global semble positif : à l’échelle planétaire, l’exploitation des eaux souterraines ne représenterait que 8 % de la recharge.

C’est donc régionalement et localement que l’équilibre entre la recharge, les prélèvements et les écoulements des eaux souterraines se révèle très fragile.

Des besoins en augmentation

Les objectifs de développement durable de l’Unesco visent, d’ici à 2030, à « augmenter considérablement l’utilisation rationnelle des ressources en eau dans tous les secteurs et garantir la viabilité des retraits et de l’approvisionnement en eau douce ».

Mais les tendances actuelles ne vont pas dans le bon sens. L’action humaine cause des variations de précipitations qui, plus rares ou plus intenses, favorisent le ruissellement par rapport à l’infiltration. Par ailleurs, nos besoins augmentent d’environ 1 % par an à l’échelle mondiale ; et ce mouvement s’accélère.

En France, cela se traduit par une baisse du niveau des nappes de 0,5 à 10 mètres selon les aquifères et les scénarios climatiques considérés.

Sachant qu’avec le niveau marin qui monte sous l’influence du réchauffement climatique, les nappes littorales seront davantage menacées par des intrusions salines.

Des solutions à mettre en œuvre

À la question, « Manquerons-nous d’eau demain ? », la réponse est donc : « Nous en manquons déjà, localement et de plus en plus souvent ».

Les solutions existent déjà, dans le monde et en France, depuis de nombreuses années. Mais il s’agit de les mettre en œuvre et de les intégrer dans des stratégies cohérentes de gestion des nappes :

– caractériser, suivre et prévoir sur la base de modèles fiables l’évolution des ressources et des besoins ;

– pratiquer la sobriété ;

– diminuer la pression sur la qualité de l’eau en diminuant la quantité de produits chimiques persistants et mobiles ;

– améliorer le traitement des eaux usées ;

– utiliser et réutiliser des eaux non conventionnelles après traitement ;

– retenir l’eau sur les territoires en ralentissant les écoulements et en stockant l’eau dans les milieux naturels.

La recharge maîtrisée des aquifères

Le concept de la recharge maîtrisée des aquifères consiste à stocker provisoirement, au sein d’un aquifère, de l’eau en excès de provenances diverses pour une utilisation différée.

L’expression englobe des méthodes visant à maintenir, améliorer et protéger les eaux souterraines sous pression quantitative et qualitative.

En qualité, en freinant ou repoussant une intrusion d’eau salée ou en utilisant la capacité épuratrice du sol, des berges des cours d’eau et de l’aquifère lui-même pour une épuration naturelle de l’eau. En quantité, car ces pratiques participent au rééquilibre des nappes surexploitées et au maintien des zones humides.

Système de recharge traditionnel par puits à Delhi (Inde).
Wolfram Kloppmann/BRGM

Certains de ces systèmes sont utilisés depuis des millénaires, mais la plupart se sont développés au cours des 60 dernières années, avec un succès croissant.

Un inventaire de 2018 a déjà listé 1 200 exemples de systèmes MAR dans 62 pays. Derrière ce sigle se cache une multitude de solutions techniques ainsi qu’un large éventail de ressources en eau pour les mettre en œuvre.

Traitement d’eaux usées, saumâtres et salines

Techniquement, la recharge maîtrisée des aquifères passe par des bassins d’infiltration, des forages d’injection, des chicanes ou bassins de rétention sur des cours d’eau, etc. On peut faire appel à des ressources conventionnelles (eaux superficielles, eaux de crues, eaux pluviales) ou non conventionnelles (eaux usées, saumâtres, salines).

Ces dernières, disponibles toute l’année, peuvent constituer un apport indépendant des variations de précipitation. Les ressources en eau utilisées sont, selon leur qualité, épurées préalablement. Selon l’usage de l’aquifère rechargé, la réglementation et la qualité de l’eau, ce prétraitement peut atteindre une qualité d’eau potable.

Dans le cas des eaux salines, un dessalement préalable s’impose.

Les systèmes de recharge des aquifères peuvent aussi et surtout apporter une amélioration de la qualité des eaux souterraines. Ce « traitement par le sol et l’aquifère » (Soil Aquifer Treatment ou SAT) des eaux de surface contaminées ou des eaux usées constitue une option importante des solutions fondées sur la nature, en complément d’autres traitements.

A gauche, système de recharge de l’aquifère dunaire par des eaux usées traitées à Coxyde (Belgique). À droite, système de recharge de l’aquifère côtier par des eaux usées traitées à Shafdan (Israël).
Géraldine Picot-Colbeaux/BRGM

Un suivi complexe et indispensable

En plus de leur capacité de stockage, les aquifères ont donc souvent un rôle d’épuration naturelle. Les deux aspects impliquent que les eaux passent un temps prolongé dans les réservoirs souterrains. Un suivi rigoureux de la qualité des eaux et une analyse des risques sont donc indispensables afin de préserver voire restaurer la qualité environnementale des milieux.

Les systèmes en question sont complexes : écoulement à travers la zone non saturée de l’aquifère, changements des conditions chimiques dans la nappe, rôle des micro-organismes, comportement d’éventuels polluants… autant de caractéristiques difficiles à comprendre et à anticiper.

En phase d’exploitation des systèmes de recharge maîtrisée, les outils des technologies de l’information et de la communication peuvent contrôler et optimiser les opérations en combinant les données de surveillance (en ligne ou non) et les résultats de modélisation.

Ces pratiques en évolution doivent respecter la réglementation en vigueur et la disparité est grande entre les pays sur ce plan.

En France, le cadre légal est donné par la loi sur l’eau, mais il n’existe pas de guide méthodologique technique national. Les systèmes de recharge maîtrisée des aquifères nécessitent une demande d’autorisation entérinée par arrêté préfectoral.

À l’échelle de notre territoire, les eaux souterraines constituent pour certaines collectivités la ressource principale pour l’alimentation en eau potable. Concilier la préservation de la quantité et de la qualité de cette ressource est pour elles un enjeu majeur. Toutes les ressources en eau et technologies doivent être prises en compte dans la gestion intégrée des ressources en eau. La recharge maîtrisée des aquifères constitue en cela un outil précieux.The Conversation

Géraldine Picot-Colbeaux, Hydrogéologue, BRGM; Marie Pettenati, Hydrogéologue, BRGM et Wolfram Kloppmann, Chercheur en géochimie isotopique, chargé de mission, expert scientifique, BRGM

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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