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Le temps (judiciaire) dure longtemps…

Point-de-vue– Réflexion sur le temps de réaction de notre justice selon qu’il s’agit du gifleur du Président de la République ou des élus qui s’étripent ou tapent dans la caisse. Christian Eckert, ancien secrétaire d’Etat au Budget, donne quelques exemples.

Palais de Justice de Paris (wikimedia Commons)
Palais de Justice de Paris (wikimedia Commons)

Par Christian Eckert

La complexité des sujets politiques et sociétaux n’est guère compatible avec les modes de communications actuels : le format court, qu’il soit écrit, audio ou vidéo, en est devenu le standard. Sauf à utiliser la langue de bois (qui n’a de langue que le nom), une expression brève devient vite réductrice, provocante et caricaturale. Il me revient qu’un de mes échanges, enregistré avec Elise Lucet pendant plus de deux heures, a donné lieu à la seule diffusion d’une dizaine de secondes dont la forme et le fond étaient à l’opposé de mes positions… Tout ça pour dire que mon propos du jour ne doit évidemment pas être lu comme achevé et soldant le sujet abordé, celui de la justice. D’autant plus que je n’y revendique aucune compétence ou expérience fortes.

Un temps record…

L’envie de m’exprimer est sans doute liée aux actualités, que ce soient la fameuse manifestation où la police a instruit le procès de la justice, ou plus récemment la gifle au Président dont l’auteur a été condamné en un temps record.

La question des effectifs, des locaux et des crédits est évidemment centrale. L’ancien Secrétaire d’État au Budget pourrait la développer et aurait peine à se justifier, même si l’École, l’Armée, la Culture, la Police, l’Écologie, le Logement, la Recherche, l’Hôpital, les Transports, les Douanes… pourraient aussi donner lieu aux mêmes controverses sur les moyens.

Mais au-delà, la gestion du temps judiciaire est pour moi un sujet en soi : comment expliquer les délais stratosphériques pour traiter des affaires dont l’issue subordonne à la fois l’avenir des personnes mises en causes et le regard du peuple sur les pratiques incriminées.

Le double du plafond légal

Une altercation datant de décembre 2017 entre Boris Faure et un député ayant donné lieu à des graves blessures n’a toujours pas été jugée. La gifle au Président, qu’il a lui-même relativisée, aura mis 3 000 fois moins de temps à être sanctionnée. Dois-je raconter les affaires Tapie ou Balkany ? Comment comprendre que les affaires d’emplois détournés du MODEM ou du FN restent « la patte en l’air » pendant que nombre des personnes en cause plastronnent, qui Haut-Commissaire, qui Sous-Gouverneur à la Banque de France, qui en belle position sur les listes aux Régionales. Comment parler sereinement à nos concitoyens de vie politique assainie lorsqu’un candidat, son parti et une kyrielle de leurs amis dépensent à l’insu de leur plein gré le double du plafond légal d’une campagne électorale (de 2012) dont le (probable premier) procès se déroule 9 ans plus tard…

Entre deux risques

Je n’ignore pas la nécessité impérieuse d’instructions soignées. Je connais et approuve le droit à l’appel. Je sais qu’une justice expéditive est extrêmement dangereuse. Mais reconnaissons que les moyens de retarder sans causes réelles l’avancée des procédures sont utilisés exagérément. Les protections indispensables à tout justiciable pour des questions de liberté individuelle sont trop souvent devenues des motifs pour fragiliser l’intérêt public.

Je sais qu’on est là sur une ligne de crête, entre deux risques graves qui peuvent entrer en conflit. Mais si le Garde des Sceaux et le Parlement pouvaient améliorer, fluidifier et raccourcir les procédures pour éviter ces pratiques choquantes, ce serait déjà un pas vers la réconciliation du pays avec l’institution judiciaire aujourd’hui en difficulté.

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