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Lettre de novembre d’Aurore Kepler à Gaïa (conte poétique d’actualité)

Voici la réponse que notre planète la Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, a reçue d’une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

De Aurore Kepler
452 Constellation du Cygne
Bras d’Orion
Voie Lactée

À Gaïa
3 Ronde du Soleil
Constellation des Jumelles
Bras d’Orion
Voie lactée

Kepler, mois des brumes laiteuses

Ma chère Gaïa

Je viens de te lire.
Tu me rafraichis comme la brise qui souffle à la vesprée sur les rives de mes lacs cernés de terres encore chaudes. Mon étoile le Grand Cygne a encore de beaux restes et il me chauffe parfois de trop d’ardeur qui fait que j’aime les vents tout comme tes fables qui m’apportent la fraicheur de l’esprit. Sans posséder de chevaux, j’imagine ta Licorne comme un fringant cousin de mes pouloïdes, jaillir, la crinière échevelée, d’un boqueteau pour encorner un vilain médorchat qui aurait assailli l’un de mes placides animaux nourriciers. J’aime la comparaison de ton petit Covid avec cet animal fabuleux qui semble hanter les sombres replis des peurs de ton petit humanoïde. Le mâle Charmant craint les Licornes. Sans doute y voit-il une image de son incapacité à neutraliser ce virus, tout comme une forme d’impuissance à n’être pas toujours armé d’un tel rostre.

licorne
Licorne (pixabay)

Les grands malheurs

Quant à ton colibri, il n’existe pas non plus sur mon écorce. Mais cela me ravit d’imaginer le courage de ce délicat volatile. Gracile, paré d’éclatantes plumes, suspendu par un vol bourdonnant de mille vibrations, il vole à la rivière prendre deux gouttes dans son bec. Et au lieu de les avaler pour hydrater son corps échauffé, il revient vers le brasier et les y verse sous les quolibets du faux bien-pensant. Certes en y apportant une microscopique action, mais en y faisant sa part, infime, ridicule pour les uns, inutile pour les autres, plutôt que de trouver son salut dans la fuite.

Ton colibri est sublime et je rêve d’enfanter un tel être.

le colibri
Le colibri (PxHere)

En m’expliquant comment ton philosophe et ton grand écrivain ont tenté d’aider ton Charmant à supporter les grands malheurs, tu me rassures. Et tu m’ouvres des horizons de résilience contre la fatalité, car je comprends qu’il est possible de lutter contre celle-ci en se reconnaissant coupable de tout, envers tous.   Pour survivre en devenant meilleur.   Cette refondation permet à chacun d’apporter sa petite pierre à l’édification du rempart qui protègera du malheur. Mais surtout cet aveu de culpabilité, par son action intime, apporte la joie à celui qui a trouvé la voie du salut. Cette voie le fortifie. Il croit en lui-même et en son pouvoir d’infléchir, certes d’une infime façon, les prochaines épreuves.

Le labyrinthe de la fatalité

D’une part, ton Jean-Jacques Rousseau se soumettant à la croyance de la vengeance divine générée par les péchés de l’humanité, et d’autre part, ton Fiodor Dostoïevski faisant l’hagiographie de la vie d’un ermite s’exprimant après des milliers d’heures de méditation, tous deux nous expliquent que, face aux forces du mal qui voudraient nous submerger, le sentiment de culpabilité est le seul permettant d’éviter la paralysie de l’esprit, la peur, l’insoutenable inquiétude de l’être. Sous la naïve croyance, on ne distingue pas tout de suite le remède. On pourrait trouver Rousseau idéaliste et aveuglé par une foi ordinaire. On pourrait penser Dostoïevski amateur de personnages idiots de village.

Mais l’aveugle et l’idiot, c’est le charmant lecteur qui ne les a pas compris.

labyrinthe (wikimédia Commons)
labyrinthe (wikimédia Commons)

Sous l’aspect anodin de l’idée incongrue de se sentir responsable de tout malheur, devant Dieu ou devant tous les autres Charmants, ces deux grands personnages ouvrent à leurs congénères le chemin d’une vie moins angoissée, animée qu’elle sera de culpabilité positive qui permettra de trouver un minuscule sentier pour sortir du labyrinthe de la fatalité.
Si nous autres planètes, nous nous savons responsables de tout, tel n’est pas le propre de ton petit humanoïde tant qu’il n’a pas écouté ses sages. Toi et moi n’avons eu que des parents distants qui nous ont peu éduquées, si fait que j’aime bien connaître les raisonnements de tes penseurs qui sont des guides ubiquitaires.

La Grippe Noire

Une question, ma chère Gaïa. Tes Charmants s’intéressent-ils à la phylogénie ? Ici, sur Kepler, c’est un centre de recherche sur les maladies animales qui a lancé cette discipline. Au cas où tu ne connaîtrais pas son fonctionnement, je t’en esquisse les contours. En comparant les génomes des virus grâce au séquençage à haut débit, l’étude de leurs liens de parenté est devenue possible.

Cela devient un élément important de la connaissance actuelle des virus à ARN, mais cela permet aussi d’analyser l’ADN des bactéries qui, par le passé, ont entrainé la mort et se trouvent encore sur les restes des victimes.

Comme mes Ovoïdes passent au batteur, il n’est pas facile d’examiner leurs restes qui sont dissipés et répandus sous forme d’engrais sur nos prés. En revanche, les médorchats qui font souvent l’objet d’un culte de leurs maîtres les Ovoïdes, ont leurs cimetières depuis des centaines de cycles, des siècles dirais-tu. Ainsi des chercheurs de l’Institut de la Santé Animale ont-ils fait fouiller les tombes vieilles de plus de huit cents cycles. Ils ont déjà identifié une parenté entre une récente épidémie et la fameuse Grippe Noire qui avait décimé presque tout ces fidèles compagnons de mes Ovoïdes. La Grippe noire avait été si forte que des régions entières avait été privées de ces animaux qui, à cette époque, n’attaquaient pas mes pouloïdes, mais léchaient les pieds de leurs maîtres qui avaient marché dans des marais.
Cette recherche phylogénique permettrait à ton Charmant d’infirmer ou de confirmer l’origine de la propagation de ton merveilleux Couronné. Tu m’as dit que ce dernier vivait en bonne intelligence avec son hôte la pipistrelle et ses cousines, mais si Charmant confirme absolument ce réservoir, il pourrait explorer cette voie pour mieux circonvenir et éradiquer ton petit Couronné.

Il est dommage que nous ne puissions comparer les génomes du tien et du mien car le tien vient peut-être de chez moi.

Et dans ce cas je serais enchantée de t’avoir aidée. Quel voyage ! Des millions d’années dans les espaces intersidéraux de notre Univers à traîner dans une queue de comète, ou à coloniser un bolide interstellaire, puis s’échapper sur une météorite à l’approche de ton atmosphère, résister à la torche de sa traversée, pour enfin s’accrocher sur un pôle ou une haute montagne. Après migrer vers tes vallées douillettes et trouver enfin un hôte accueillant pour commencer des voyages et de charmantes aventures… Ah, mon temps passe plus vite quand tu me fais rêver.

Calme et douceur

le coronavirus au microscope
https://www.pnas.org/content/117/3/1438 and https://phil.cdc.gov/Details.aspx?pid=23312 Edited by Jodaitis Léni
Léni Jodaitis, Université Libre de Bruxelles

Ma chère Gaïa, j’en reviens à ton post-scriptum : sur ton écorce, le confinement est-il vraiment à nouveau à l’ordre du jour ? Tu dois être absolument enchantée d’une telle décision et je m’associe à ta joie. Je ne sais quoi te conseiller pour faire prolonger ce calme et cette douceur de vie dont tu as la nostalgie. Ton petit virus est si malin que je pense qu’il a ses lubies pendant lesquelles il s’éclipse et fait croire à sa disparition. Ceci lui permet de brouiller les pistes et je suis certaine que Charmant ne connaît pas encore, ni le cycle ni le vrai mode de contamination de ton Couronné. Si je me rappelle du modus operandi de mes Covid, ils sont frivoles et je dirais lunatiques comme la plus folle de mes deux petites lunes, la première étant déjà pourtant bien touchée par la grâce de la versatilité. Mes virus s’amusent à se cacher, à pénétrer des organes selon leur humeur, puis ils disparaissent pendant quelques lunes (la plus grande) et l’on ne sait jamais vraiment où ils en sont à moins d’examiner les eaux usées.
C’est l’Institut de la Santé Animale qui a découvert que le niveau de la pandémie était bien corrélé au niveau de la contamination des eaux usées. Je suis surprise que ce ne soit pas le mode de surveillance que ton Charmant adopte. Car c’est fiable et prospectif. Bon, ne lui rappelons pas ce fait qui lui donnerait des armes pour se déconfiner.

L’eau des robinets

Mais d’après tes dires, Charmant n’a pas encore eu l’idée d’analyser l’eau de ses robinets. Il la croit sans doute stérile… mais comment croire que tant de tuyaux, tant de réservoirs, puissent ne pas être contaminés par un rusé virus. Comment croire que malgré toutes machineries stérilisantes, il ne survit pas quelques fins Couronnés. D’ailleurs chez Charmant, la définition de la stérilisation est : diviser le nombre de germes présents par un million. Cela ne veut pas dire éradiquer totalement. Je pense moi que tes virus sont encore présents dans les eaux des robinets, certes en négligeable quantité.

Mais que, si infime que soit cette présence, elle peut dans les camps de concentration dans lesquels il a mis ses vieux, les infecter du fait de leur fragilité.

Voilà ma chère Gaïa le fruit de mes pensées récentes qui ne sont que le reflet des tiennes, provenant il est vrai d’un miroir assez lointain. J’espère que le confinement décrété va se prolonger encore un peu pour que tu puisses te refaire une santé tellurique.
Crois en ma sororité gémellaire, en mon amour éternel, en mon dévouement sidéral et en ta beauté universelles.

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