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La suprématie du nucléaire en France, un enjeu authentiquement européen

Antoine Ullestad, Université de Strasbourg et Frédérique Berrod, Sciences Po Strasbourg

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse, France.
Centrale nucléaire de Cruas-Meysse, France. (From Wikimedia Commons, the free media repository)

La France et le nucléaire, l’Allemagne et le charbon, le Danemark et le vent… Dans l’Union européenne (UE), chacun semble avoir choisi son énergie. À ceci près que le nucléaire n’a jamais fait l’unanimité, même en France où une partie de l’opinion s’est récemment insurgée contre Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, qui a déclaré en 2016 vouloir prolonger de dix ans la durée de vie des centrales nucléaires de l’Hexagone.

Et, début août, Cécile Duflot s’en est pris fermement à Emmanuel Macron pour avoir déclaré que « le nucléaire est une industrie de souveraineté qui a fait ses preuves ». Sur Twitter, elle écrit qu’« avec ce type d’attitude politique, la France risque une impasse énergétique majeure alors qu’il y a la possibilité de faire autrement ».

Face à cette cacophonie franco-française, l’Union européenne peut-elle intervenir et influencer les choix énergétiques du pays ?

 

Incontournable en France

La suprématie nucléaire en France est d’abord une histoire de chiffres. Avec 58 réacteurs, le parc nucléaire hexagonal est le deuxième plus important au monde derrière celui des États-Unis, qui en comptent une centaine.

L’électricité d’origine nucléaire représente 77 % de la consommation électrique française alors que le photovoltaïque, l’hydraulique et l’éolien cumulé ne dépassent pas la barre des 10 %.

Composition de la production électrique mondiale en 2012.
AIEA

Mais le nucléaire est aussi, et surtout, histoire de souveraineté. L’UE ne peut pas, cela est marqué noir sur blanc dans les traités, toucher au bouquet énergétique de ses États membres.

Après tout, l’exploitation et l’utilisation de l’énergie restent des choix politiques clairement nationaux. Les discontinuités juridiques entre les États membres de l’Union handicapent le marché intérieur de l’énergie, mais ne sont que la traduction de choix intrinsèquement étatiques.

L’Union ne peut donc pas légalement contraindre la France à renoncer au nucléaire, voire simplement à en limiter le poids. Mais elle impose des contraintes de sécurité du nucléaire, qui font que si la France continue de miser sur cette énergie, elle doit le faire aux conditions européennes.

Pourquoi miser sur cette énergie ?

L’influence de l’UE sur le nucléaire a longtemps été modeste. Cela tient surtout aux modalités de l’intégration européenne. Alors que le traité Euratom de 1957 envisageait de faire du nucléaire une énergie « européenne », les États ont repris le dossier en main et la Commission a laissé faire. Résultat : seuls 14 États sur 28 ont choisi cette énergie.

L’Union ne semble donc pas avoir encore grand-chose à dire. Elle a pourtant rédigé un nouveau plan indicatif nucléaire en avril 2016, tirant les leçons de l’accident de Fukushima et des tests de résistances menés dans toutes les centrales européennes.

Elle a commencé par imposer des règles de sécurité des centrales et des populations les plus contraignantes au monde, encore renforcées en 2014, pour déterminer ensuite une véritable stratégie nucléaire européenne.

À la question de savoir si les États peuvent passer outre ces règles de sécurité, la réponse est négative : ces normes sont imposées par des textes européens obligatoires.

Déroulé de la catastrophe de Fukushima (2013, AFP).

Le nucléaire joue en effet un rôle certain pour la sécurité énergétique de l’Union et des États. Il est plébiscité par l’Union précisément parce qu’il assure une production indigène et participe à la diversification des sources énergétiques de l’Europe. Mais le nucléaire est aussi considéré comme une énergie verte qui va dans le sens d’une économie décarbonée que l’UE appelle de ses vœux.

Reste qu’il doit exister aux conditions de l’Union, pour être « durable », ce qui commande une politique d’investissements massive des États et surtout des entreprises du secteur afin d’assurer la sûreté du parc de centrales. Le nucléaire ne peut donc plus être un dogme ou un interdit : il doit être l’une des solutions politiques qui s’offrent aux États pour composer leur mix énergétique.

Le nucléaire aux conditions européennes

La mise à niveau des centrales existantes ou la construction de nouvelles unités doivent donc se faire dans le strict respect des normes de sécurité européennes.

C’est à cette condition que le modèle européen est tenable, et les entreprises européennes vont devoir investir pour innover ; elles auront ensuite tout intérêt à exporter ce modèle, sans risquer la concurrence low cost de la Corée du Sud ou de la Chine.

S’imposer sur le marché chinois sera, d’autre part, absolument déterminant pour les années à venir. Dans cette perspective, la valse-hésitation de la première ministre britannique Theresa May sur la possibilité du financement chinois d’une partie des EPR d’Hinckey Point tombe bien mal.

Présentation en vidéo du projet Hinkley Point (France Info, 2016).

Vue de Londres, cette réaction peut paraître justifiée : il ne faudrait pas vendre la sécurité énergétique nationale aux Chinois. Mais si ces derniers sont partie prenante dans le montage financier du projet, la sécurité électrique britannique dépend en réalité d’une seule entreprise étrangère, EDF, qui doit construire deux centrales pour assurer pas moins de 7 % de la production britannique.

La sécurité des approvisionnements en énergie n’est donc plus aujourd’hui une affaire nationale. Elle est devenue un enjeu authentiquement européen. Et la sécurité des Britanniques est donc le fruit d’une coopération européenne bien plus que d’une décision souveraine.

Sur le modèle de la coopération

C’est donc bien par la coopération que la Commission pense l’Europe du nucléaire. Et la France va devoir adapter son modèle de gouvernance, si elle veut sauver son système énergétique et l’industrie directement ou indirectement liée au nucléaire. Rien de plus, mais rien de moins.

L’un des enjeux, comme c’est le cas dans le dossier Hinckley Point, consiste à développer la coopération pour les autorisations de construction des réacteurs, en particulier en matière d’évaluation des risques.

L’absence de coopération dans la décision de rouvrir des centrales nucléaires en Belgique a, par exemple, mené à la saisine des juges belges par les communes limitrophes allemandes. Une autorisation nationale a donc des effets transnationaux qu’il vaut mieux que chaque État anticipe.

La France doit aussi revoir ses propres choix sur deux points majeurs. Les prix ne peuvent plus être administrés (voir à ce propos le principe 8 de l’Union de l’énergie). L’industrie nucléaire doit en effet supporter le coût des investissements pour mettre à niveau et construire des centrales.

Manifestation en 2014 de militants de Greenpeace pour la fermeture de la centrale de Fessenheim.
Sébastien Bozon/AFP

Elle doit aussi trouver les ressources pour financer la gestion des déchets, c’est-à-dire leur retraitement ou leur stockage que l’Union veut définitif. Cette vérité des prix commande celle des coûts du nucléaire, qui doit aussi comprendre celui des démantèlements.

Sortir du nucléaire a donc un coût technologique et économique non encore maîtrisé, mais qui doit être pris en charge par les entreprises. C’est sur cette évaluation qu’EDF et le gouvernement ont trouvé le 23 août dernier un compromis pour la fermeture de Fessenheim.

Pour que les coûts soient rapprochés de la vérité, il faut enfin que la France accepte de rompre le secret qui prévaut sur le nucléaire. Le public doit être dûment informé, éduqué et mis en capacité de choisir ou de refuser cette énergie.

Révolution culturelle au programme, donc, pour un nucléaire durable en France : la route est désormais tracée par l’Europe, mais promet d’être longue.

The Conversation

Antoine Ullestad, Doctorant en droit de l’Union européenne, Université de Strasbourg et Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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