Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Renards et chiens, des cousins pas si lointains

Le renard est une espèce sauvage classée parmi les nuisibles, et pourtant…
Andamanec et Ksenia Raykova/Shutterstock , CC BY-NC-ND

Colline Brassard, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Alors qu’un projet d’arrêté ministériel pour les années 2019 à 2022 continue de classer le renard comme une espèce « susceptible d’occasionner des dégâts » (anciennement « nuisible ») dans 90 départements français, les réseaux sociaux regorgent de vidéos témoignant de cohabitations réussies avec ceux qui l’ont adopté et intégré à leur foyer.

Pour ces maîtres atypiques, leur précieux goupil est « comme un chien »… Mais comment cette relation surprenante est-elle possible avec un animal que la législation considère comme « sauvage » ?

Apprivoisés ou domestiqués ?

Rappelons-nous les paroles du Petit Prince de Saint-Exupéry : apprivoiser, c’est « créer des liens ». Il y a environ 15 000 ans, des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur se sont rapprochés de loups peu farouches, les apprivoisant sans doute pour en tirer une protection face aux prédateurs, tandis que les loups bénéficiaient, eux, d’un accès facilité à la nourriture.

Opérant progressivement une sélection artificielle sur ces animaux plus dociles que leurs congénères, les humains ont alors initié un processus de domestication, certainement en plusieurs points du globe. Ainsi, à partir du loup sauvage, l’humain a créé son ami le plus fidèle, selon l’image qu’il s’en faisait.

S’il te plaît… apprivoise-moi !
Ivan Protsiuk/Shutterstock, CC BY-NC-ND

Le renard n’a pas eu le même destin. Il est resté sauvage, peut-être parce qu’une cohabitation aurait été moins bénéfique pour nous, étant donné qu’il ne vit pas en meute et a une carrure moins imposante. Pour autant, l’humain ne peut s’empêcher de tenter de « créer un lien » avec le petit rusé, et cela ne date pas d’aujourd’hui. Bien avant que Le Petit Prince n’en fasse l’expérience, il semblerait que les hommes préhistoriques tentaient déjà d’en faire leur compagnon.

En effet, de rares trouvailles archéologiques suggèrent que nos ancêtres ont pu développer une relation privilégiée avec le renard, lui attribuant un statut particulier. Ainsi, si l’on en croit les chercheurs Lisa Maher et Edward Banning des universités de Cambridge et de Toronto, la première association homme-renard en contexte funéraire daterait d’il y a 16 500 ans.

À Uyun al-Hammam, en Jordanie, un renard et un homme ont été retrouvés dans deux tombes adjacentes avec des offrandes. Selon les auteurs de l’étude, il pourrait s’agir d’un renard tué pour être enterré avec son « propriétaire » – les deux corps ayant été par la suite partiellement déplacés ensemble pour maintenir le lien qui les unissait de leur vivant –, et ce, avant même que le chien domestique ne soit présent dans la région.

D’autres cas plus récents sont rapportés, datant notamment de l’âge du Bronze, soit il y a environ 4 000 ans. Ainsi, en Alsace un renard aurait été mis en terre avec des offrandes, tandis que plusieurs renards auraient été enterrés aux côtés d’humains et de chiens dans différents sites ibériques.

Ces cas exceptionnels évoquent selon les spécialistes une tentative de rapprochement, voire de domestication, même si l’hypothèse de pratiques rituelles n’est pas à exclure. En effet, notre conception actuelle de l’animal familier peut fausser le débat. Il est possible qu’elle ne soit pas transposable à l’éventail des relations entretenues par les chasseurs-cueilleurs avec la faune sauvage qui les entourait.

Une expérience de domestication étonnante

Les renards peuvent, en effet, être domestiqués (en théorie).

C’est en tout cas ce qu’ont prouvé des recherches sur la domestication menées en Russie, commencées il y a 60 ans. L’expérimentation a montré qu’en exerçant une pression de sélection drastique sur la base de simples traits comportementaux, les renards pouvaient très rapidement montrer des caractères physiologiques, physiques et comportementaux habituellement imputés aux chiens domestiques.

Dans le froid glacial de Novosibirsk, Dmitri Belyaev – directeur de l’Institut de cytologie et de génétique du département sibérien de l’Académie des sciences de Russie – et son étudiante Lyudmila Trut, entament en 1959 la plus grande expérience jamais menée sur la domestication.

D’après le postulat de Belyaev, les caractéristiques physiologiques, physiques et comportementales observées chez les animaux domestiques seraient dues à une sélection intentionnelle de la capacité d’apprivoisement. En d’autres termes, la reproduction contrôlée des animaux les plus dociles aurait entraîné toutes les modifications observées lors de la transition du loup au chien.

Pour tester son hypothèse, Belyaev décide de tenter l’expérience avec un canidé ressemblant beaucoup au chien, alors élevé pour la production de fourrure : le renard argenté, une forme mélanistique du renard roux. Les recherches en génétiques sont alors extrêmement mal perçues, le pseudo-scientifique et anti-darwiniste Lyssenko étant encore à la tête de l’agronomie et de la biologie soviétiques. Sous couvert d’une tentative d’améliorer la qualité de la fourrure, Belyaev et Trut ne conservent pour la reproduction que les animaux les moins agressifs vis-à-vis de l’humain. La sélection s’opère alors de génération en génération sur des critères strictement comportementaux, sans que les animaux ne soient entraînés pour être dociles.

Les expériences de domestication en Sibérie ont été réalisées avec des renards argentés issus de fermes à fourrures.
Ivan Protsiuk/Shutterstock, CC BY-NC-ND

Des renards qui remuent la queue

Leurs découvertes furent extraordinaires. Ils constatèrent, après seulement quatre générations, que les renardeaux commençaient à ressembler davantage à des chiens, agitant la queue et cherchant le contact humain. Mais la ressemblance ne s’arrêtait pas à des changements dans le comportement. Leur aspect physique aussi avait commencé à se modifier : oreilles tombantes, variations dans la couleur du pelage avec des motifs similaires aux chiens, pattes raccourcies, museau, mâchoire et crâne élargis.

D’autres aspects tendaient également à les rapprocher du chien : une maturité sexuelle avancée, une plus longue période d’accouplement et une portée plus nombreuse. Ces changements s’accompagnaient de modifications dans la production d’hormones et de neurotransmetteurs (cortisol et sérotonine).

Les supports génétiques de ces transformations restent peu connus. Deux études récentes, publiées dans PNAS et dans Nature, rapportent l’existence de plusieurs zones génétiques impliquées dans la plasticité comportementale des renards argentés. Parmi celles-ci, certaines ont aussi été mises en évidence dans le processus de domestication du chien. Plus surprenant, d’autres gènes sont associés chez l’humain à des troubles neurologiques comme l’autisme, le trouble bipolaire ou le syndrome de Williams-Beuren. Les gènes impliqués régulent la fonction des neurones sérotoninergiques et glutaminergiques et sont notamment importants pour l’apprentissage et la mémoire.

Sur Internet, de nombreux sites proposent d’adopter ces canidés à la fourrure flamboyante, moyennant une petite dizaine de milliers d’euros. Ce commerce a débuté dans les années 1990, quand la ferme d’élevage d’animaux à fourrure sibérienne a été confrontée à de graves difficultés financières. Quelques-uns de ses cobayes pouvaient alors être adoptés via la société américaine SibFox. L’entreprise a cessé son activité en 2012, mais l’adoption reste possible directement via le laboratoire de génétique évolutive russe. D’autres sites proposent également d’adopter des renards domestiques sauvés des fermes à fourrure.

Qu’en dit la législation ?

Toutefois, en plus d’être onéreuse, l’adoption reste complexe car les lois locales ne s’y prêtent pas toujours. De nombreux États et pays interdisent la possession d’animaux sauvages comme animaux de compagnie. En France, le renard fait partie de la liste des espèces nuisibles et sa détention par un particulier est illégale. Si un animal blessé est trouvé, les autorités préconisent de contacter l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ou de l’amener dans un centre de sauvegarde de la faune sauvage. La détention par des établissements professionnels nécessite quant à elle la possession d’un certificat de capacité.

La presse a d’ailleurs rapporté le cas de renards sauvages en difficulté apprivoisés et ensuite confisqués par les autorités. On se souvient du soulèvement médiatique lorsque Caline, une renarde de 11 ans, avait été retirée en janvier 2018 du foyer qu’elle partageait depuis sa naissance avec sa maîtresse. Suite à une pétition visant à la restitution de la renarde, Caline avait finalement été placée dans un centre en semi-liberté avec des congénères, en attendant une régularisation de la situation de sa propriétaire.

Pour les passionnés du renard, une manière de s’engager plus durablement dans la protection de cet animal et la réparation des dommages liés à l’activité humaine serait de le faire en milieu associatif plutôt qu’à titre individuel, comme le propose la Wildlife Aid foundation ou encore l’Association pour la protection des animaux sauvages. Cette adoption d’ordre caritatif est, peut-être, une façon de se rappeler que l’on « devient responsable pour toujours de ce que l’on a apprivoisé », comme le disait si justement le renard du Petit Prince.The Conversation

Colline Brassard, Docteur vétérinaire, doctorante en anatomie fonctionnelle et en archéozoologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

Monde