Guillaume Labrude, Université de Lorraine
La sortie de la huitième saison d’American Horror Story, sobrement intitulée Apocalypse, ne va pas sans son lot de surprises : des personnages supposément morts sont revenus à la vie, notamment Madison Montgomery, sorcière prétentieuse, alcoolique et narcissique de la troisième saison, Coven, qui finissait, en 2014, étranglée par le principal protagoniste masculin. Emma Roberts, son interprète, a été l’une des pierres angulaires de la promotion de la série sur les réseaux sociaux en publiant sur Instagram une capture d’écran de son personnage, que le public croyait disparu à jamais, dans le décor de cette huitième saison. Depuis ses débuts, la série anthologique de Ryan Murphy et Brad Falchuk s’est fait pour spécialité de ramener à l’écran, sinon à la vie, des personnages passés de vie à trépas, posant ainsi une véritable interrogation : la mort d’un personnage demeure-t-elle aussi impactante pour le public lorsqu’il revient sous forme de flashback, de fantôme ou tout simplement par résurrection ?
Vivre et laisser mourir : sérialité et exécutions
« Toutes les enquêtes sur les séries s’accordent à dire que l’attachement des téléspectateurs aux séries tient beaucoup à leur attachement au héros. » écrit François Jost dans son ouvrage De Quoi Les Séries Américaines Sont-Elles Le Symptôme ?, soulignant de fait le rôle actuel des personnages de séries télévisées pour le public : contrairement au cinéma qui lui demande de se déplacer dans une salle obscure, la télévision fait partie du quotidien, de l’intimité de son audience, et ses personnages se développent sur des dizaines d’heures, faisant peu à peu partie du décor de la vie du téléspectateur. Depuis quelques années, des séries comme The Walking Dead ou Game of Thrones se sont justement démarquées des autres productions en malmenant leurs publics à grand renfort d’exécutions choquantes de leurs personnages favoris ou tout du moins qu’ils suivaient depuis un certain temps. Lorsqu’un personnage de série meurt, le téléspectateur peut éprouver de la peine pour lui ou pour ses proches ; mais il déplore aussi son absence à l’écran.
Dans une structure scénaristique, pour que la disparition d’un personnage constitue véritablement un nœud dramatique, il faut que ledit personnage soit connu du public et ne le laisse pas indifférent, que ce soit en suscitant chez lui des sentiments d’empathie, de sympathie ou, à l’inverse, des émotions négatives : on peut pleurer la mort du bon Ned Stark au terme de la première saison de Game of Thrones et exulter de joie devant celle du vil Joffrey Baratheon au terme de la quatrième. Avengers : Infinity War est en ce sens un exemple probant : en faisant disparaître la moitié de ses héros, Marvel joue sur l’affect du spectateur qui les suivait depuis une décennie au sein du Marvel Cinematic Universe, qui constitue ni plus ni moins qu’une série composée non pas de téléfilms mais de longs métrages sortis en salle. Ainsi, le nœud dramatique du personnage qui disparaît est-il une marque de sérialité. Mais lorsqu’il revient, de quelque manière que ce soit, sa disparition passée demeure-t-elle aussi importante voire impactante émotionnellement ?
Tuer n’est pas jouer : l’impact scénaristique des revenants
Si tuer un personnage constitue un événement scénaristique de taille pour l’intrigue, la diégèse et le public, le faire renaître de ses cendres l’est tout autant. Tout dépend véritablement de la nature même de ce personnage : un individu fondamentalement voué à améliorer les choses peut ainsi constituer un nouvel espoir, un personnage comique ou attachant fera le bonheur de celles et ceux à qui l’humour ou la bonhomie manquait et un personnage essentiellement chaotique, comme c’est le cas de Madison Montgomery, rendra les enjeux de l’intrigue bien plus complexes. La résurrection diminue la disparition lors du second visionnage d’une œuvre sérielle mais représente un nœud dramatique de taille, d’autant plus lorsqu’elle implique de mettre en face à face le personnage précédemment disparu avec celui qui en fut responsable. Dans American Horror Story Coven, Madison était égorgée de façon plus ou moins accidentelle par sa supérieure jalouse, Fiona Goode, et son premier retour dans le monde des vivants une poignée d’épisodes plus tard impliquait une confrontation entre les deux sorcières mais également une dénonciation des agissements de Fiona. En règle générale, les morts apprennent beaucoup de leur passage dans l’au-delà, ce que souligne Mircea Eliade dans La Nostalgie des origines :
« La mort et la résurrection initiatiques font donc partie intégrante du processus mystique par lequel on devient un autre, façonné d’après le modèle révélé par les dieux ou les ancêtres mythiques. »
Dans le cas de Madison Montgomery, son passage dans les limbes a fait d’elle un être insensible désormais en quête d’émotions fortes, impliquant un désir profond de provoquer le chaos au sein d’une assemblée de sorcière déjà en difficulté : le scénario de la troisième saison en est alors complexifié. Son second retour, encore inexpliqué à quelques jours de la diffusion du premier épisode d’Apocalypse, se présente comme la résurgence d’un motif classique de la série anthologique de Murphy et Falchuk : à l’exception de la septième saison, les personnages d’American Horror Story ont généralement la fâcheuse tendance de revenir à l’écran, sous quelque forme que ce soit.
Le retour à la vie d’un personnage de série peut dépendre de sa réception par le public, le fait d’être présent, d’être visible à l’écran, pouvant bien souvent constituer l’essentiel du plaisir qu’il procure au public. Mais les résurrections tendent à ne pas être gratuites, apportant à l’univers intra-diégétique des enjeux nouveaux impliquant le passage par l’outre-tombe, thème qui entraîne nécessairement une cohorte d’interrogations et de craintes. Tuer un personnage est une décision difficile à prendre pour l’équipe créative et un événement parfois douloureux pour le public. Mais le ou la faire revenir n’est pas à prendre à la légère, tant il existe mille et une façons de mettre en scène cette seconde chance, avec tout ce qu’elle implique.
Guillaume Labrude, Doctorant en études culturelles, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.