Altaïr Despres, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Qui a dit que les amours de vacances devaient rimer avec histoires sans lendemain ? Dans l’archipel tanzanien de Zanzibar, de nombreuses romances nées sur les rivages de l’océan Indien survivent à la parenthèse touristique.
Loin des clichés médiatiques sur le « tourisme sexuel », qui mettent en scène de « vieilles » Occidentales libidineuses aux bras de jeunes hommes sans scrupule et sans avenir, les plages de Zanzibar constituent des lieux de rencontres amoureuses et conjugales ordinaires.
Un tourisme jeune et féminin
Unguja, principale île de l’archipel de Zanzibar, est une destination prisée des touristes européens. Mais contrairement à d’autres pays du continent africain comme la Gambie, le Sénégal ou le Kenya, Zanzibar attire surtout les jeunes femmes, principalement originaires d’Italie, de Grande-Bretagne, de France ou de Scandinavie, qui représentaient en 2014 jusqu’à 62 % des visiteurs de 20-24 ans. Au-delà des chiffres, toute personne arpentant les plages d’Unguja peut faire le constat de la présence massive de ces jeunes femmes.
Bien que Zanzibar soit souvent présenté comme une destination phare pour les « lunes de miel », il est en réalité moins fréquent de croiser des touristes venus en couple que des vacancières voyageant seules ou entre amies.
Dans leur environnement touristique direct, ces vacancières sont susceptibles de rencontrer de nombreux hommes, au premier rang desquels les employés des hôtels où elles résident, et ceux que l’on appelle les « beach boys », qui sillonnent les longues plages de sable à la rencontre des touristes à qui ils proposent un ensemble de biens et de services à des prix très en deçà de ceux pratiqués par les tour-opérateurs.
Les discussions entamées à l’occasion de ces interactions commerciales peuvent se prolonger lors d’excursions en mer ou de simples promenades le long du rivage.
Un décor de rêve : sea, sex and sun
Les beach parties, soirées dansantes organisées sur la plage, sont également des lieux stratégiques où les relations d’amitié et de séduction initiées pendant la journée peuvent se transformer en aventures sexuelles et amoureuses.
Dans la société zanzibarie, où les marques d’affection entre les sexes dans l’espace public contreviennent à la pudeur et la décence commandées par la religion musulmane, ces lieux festifs constituent, pour les beach boys comme pour les vacancières, des enclaves autorisant un certain relâchement des comportements sexuels.
Les premiers n’y sont pas soumis aux regards réprobateurs de leurs proches et peuvent donc s’adonner à des pratiques qu’ils ne se permettraient pas en public, dans la journée.
Quant aux secondes, l’éloignement que représente l’expérience touristique par rapport à leur réseau de sociabilité ordinaire dans leur pays d’origine, garantit des rencontres sexuelles à l’abri des regards inquisiteurs. La consommation peu onéreuse de drogue ou d’alcool dans ces soirées agit par ailleurs comme un facteur désinhibant, auquel s’ajoute un rapprochement physique rapide à travers la danse.
La configuration spatiale de ces beach parties est aussi propice au développement de relations intimes. Outre le cadre naturel édénique de Zanzibar (eau transparente, sable blanc, cocotiers, climat agréable, ciel dégagé offrant une vue imprenable sur la Voie lactée), les bars et hôtels de plage entretiennent l’ambiance romantique à travers l’installation de feux de camp, de grands hamacs pouvant accueillir facilement deux personnes, de banquettes confortables où il est possible de s’allonger pour contempler le ciel et la mer.
Lorsqu’on s’éloigne des abords immédiats de la piste de danse, on est alors plongé dans une pénombre qui protège les amants des regards indiscrets. Parmi les vacancières auprès desquels j’ai recueilli des récits de rencontres intimes en soirée, les plus téméraires disent avoir eu des relations sexuelles sur la plage ou dans l’océan, les autres auront préféré rejoindre leur hôtel, ou louer une chambre dans un établissement proche de la fête.
Pour un soir… ou pour la vie
Nombreuses sont ainsi les vacancières à avoir succombé au charme d’un beach boy lors de leur séjour dans l’archipel. Plus surprenant sans doute, nombre d’entre elles ont fait le choix de s’expatrier à Zanzibar pour y retrouver leur petit ami. C’est le cas de Clare, une Américaine venue passer une semaine de vacances à Zanzibar en 2012 :
« Le troisième jour de mon arrivée ici, j’ai rencontré l’homme qui est aujourd’hui mon mari. Je ne suis probablement pas la première à te dire que l’amour fait partie du voyage. Beaucoup d’entre nous sont venues pour les plages et sont restées pour les garçons… »
Les nombreux travaux qui se sont intéressés aux relations intimes en contexte touristique ont surtout mis l’accent sur les gains économiques ou matériels auxquels elles peuvent donner lieu pour les beach boys. Mais lorsqu’on s’intéresse aux couples qui ont survécu à la parenthèse des vacances, on prend toute la mesure de l’intensité et de la complexité des échanges intimes.
Un projet de vie
Typiquement, lorsque les femmes décident de s’installer à Zanzibar, elles investissent dans une entreprise en joint venture avec leur partenaire : un hôtel, un restaurant, une agence de voyage, etc.
Pour des jeunes hommes d’extraction sociale souvent modeste, et qui ne possèdent pas en propre les ressources nécessaires à ce type d’investissement, la conjugalité avec une Occidentale représente une opportunité inespérée de construire un parcours de réussite économique et professionnelle au pays. Nombre de success-stories d’anciens beach boys aujourd’hui propriétaires d’hôtels ou de commerces florissants, sont ainsi à mettre au crédit de leur histoire conjugale.
C’est ce que confirme Imane, une Française d’une trentaine d’années, venue en vacances à Zanzibar, où elle a rencontré son mari et évoque la trajectoire de ce dernier, aujourd’hui propriétaire d’un des hôtels les plus branchés de Zanzibar :
« Ils commencent tous comme beach boys. Rabah, mon mari, il a commencé comme beach boy. Regarde où il est maintenant ! »
De la « Mzungu » à la « capuccino »
Symétriquement, ces histoires d’amour peuvent aussi ouvrir pour les femmes des possibilités d’ascension sociale. En rejoignant leur conjoint, elles peuvent trouver à Zanzibar à se reclasser sur le marché de l’emploi touristique. Certaines accèdent à des postes mieux rémunérés ou plus ajustés à leur niveau de diplôme que ce ceux qu’elles occupaient dans leur pays d’origine, d’autres apprécient tout simplement leur nouveau cadre de vie.
Pour Gretchen, qui a quitté la Suisse pour Zanzibar en 2007 ;
« La vie est fantastique ici. Je me sens très bien, il y la mer, il fait chaud… »
Contrairement à la figure typique des « expats » dans les pays du Sud (missionnés par leur entreprise, vivant dans des quartiers occidentaux ségrégés, et dont la sociabilité se résume au cercle fermé des autres expatriés), ces femmes ont fait le choix d’inscrire leur vie sentimentale et professionnelle dans la société zanzibarie.
Certaines d’entre elles se sont mariées, ont eu des enfants avec leur conjoint zanzibari, ont appris le swahili pour mieux communiquer avec leur nouvel entourage.
À travers leur conjoint et les familles qu’elles fondent avec eux, elles se familiarisent avec les coutumes, les valeurs et l’histoire de Zanzibar. Par ces liens d’intimité conjugale, elles accèdent ainsi à une connaissance de la culture locale que l’on ne trouve pas dans les guides touristiques ou auprès des ambassades.
En arrivant à Zanzibar, elles étaient, comme tous les autres touristes, des « Mzungu », terme swahili qui désigne les Occidentaux. Aujourd’hui, on dit qu’elles sont devenues « capuccino ».
Altaïr Despres, Postdoctoral fellow, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.