Pierre Ozer, Université de Liège; Aline Thiry, Université de Liège et Harry César Kayembe Ntumba, University of Kinshasa
Une analyse de la chronologie des événements liés à la crise du coronavirus 2019-nCoV nous permet de voir qu’il s’agît d’une expérimentation de gestion de crise et d’un message politique fort : l’État chinois veut se montrer capable de maîtriser tout risque. Rappelons à cet égard que « la formation et la pérennité de l’État reposent surtout sur ses capacités à maîtriser les risques qui menacent la collectivité ou les individus qui en font partie ».
Chronologie des faits
Début décembre 2019, plusieurs personnes se présentent à l’hôpital de Wuhan avec des symptômes particuliers. Le 31 décembre, la représentation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Chine est informée de cas de pneumonie inconnue détectés dans la ville de Wuhan (province du Hubei). Le 3 janvier 2020, 44 patients atteints de pneumonie d’étiologie inconnue sont signalés à l’OMS par les autorités nationales chinoises. Au cours de cette période, l’agent causal n’a pas été identifié. Le 7 janvier 2020, les autorités chinoises identifient un nouveau type de coronavirus. Le 12 janvier 2020, la Chine partage la séquence génétique du nouveau coronavirus avec la communauté internationale pour développer des kits de diagnostic spécifiques. Le 20 janvier 2020, 282 cas de coronavirus 2019-nCoV sont confirmés, essentiellement en Chine, mais quatre sont signalés dans des pays limitrophes.
Réunie en urgence le 22 janvier 2020, l’OMS joue les prolongations pour décider si l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV constitue une urgence de santé publique de portée internationale ou non. Formulé autrement, l’OMS doit décider si – oui ou non – l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV est un événement extraordinaire qui constitue un risque pour la santé publique dans d’autres pays en raison d’une propagation internationale et qui requiert une action internationale coordonnée. L’enjeu est de taille : cette décision aurait des conséquences considérables en termes de restrictions de commerce et de circulation…
Au même moment, l’annonce inédite, par les autorités chinoises, de la décision de construire plusieurs hôpitaux en une dizaine de jours et de placer en quarantaine des dizaines de millions de personnes dans la région de Wuhan, épicentre de l’épidémie, de manière à mieux contrôler l’épidémie en Chine et de diminuer les risques de propagation mondiale, est saluée par l’OMS. Il se joue ici une double opération de communication : la fonction première de ces mesures n’est-elle pas avant tout un message politique ?
En interne, d’abord, il s’agit de rassurer la population en lui donnant l’illusion que l’autorité a la capacité de maîtriser la crise en martelant que tout est sous le contrôle du pouvoir de Xi Jinping – celui-là même qui surveille sa population dans ses faits et gestes grâce aux 600 millions de caméras à reconnaissance faciale installées dans l’espace public chinois.
À l’international, ensuite, car la Chine – en pleine expansion économique sur tous les continents via le développement tsunamiesque des nouvelles routes de la soie et au coude à coude avec les États-Unis pour assurer sa suprématie planétaire – veut démontrer qu’elle n’a besoin de personne et qu’elle peut contenir ce type de crise sans aucune assistance ; le contraire serait un signe de vulnérabilité ou de faiblesse du Parti communiste chinois.
Les tergiversations de l’OMS
Pour ces raisons, donc, la Chine tire profit de cette situation de crise pour lancer des actions vues auparavant uniquement dans des blockbusters américains. Cela a certainement influencé la prise de décision du comité d’experts de l’OMS qui, le 23 janvier 2020 à Genève, décide de ne pas considérer l’épidémie comme étant une urgence de santé publique de portée internationale mais plutôt comme un risque « très élevé en Chine, élevé au niveau régional et modéré au niveau international ». À ce moment-là, le nombre de cas de coronavirus 2019-nCoV confirmés est de 571 en Chine et de 10 ailleurs dans le monde.
Quatre jours plus tard, le 27 janvier 2020, le nombre de personnes détectées positives a été multiplié par huit : 4 537 en Chine et 56 dans 14 autres pays. L’OMS revoit sa position : le risque est relevé de « modéré » à « élevé » au niveau international ; mais l’organisation ajoute que « cela ne veut absolument pas dire que nous avons changé notre évaluation du risque, mais qu’une erreur s’est glissée dans les précédents rapports officiels de l’OMS ». Un comble.
L’urgence de santé publique de portée internationale ne sera déclarée par l’OMS que le 30 janvier dans la soirée, en ajoutant « il ne s’agit pas d’un vote de défiance à l’égard de la Chine ». On le sent bien : l’OMS marche sur des œufs et – clairement – n’adopte pas la même posture face à la Chine que – dans un passé récent – à l’encontre de certains pays africains. Autant dire que ces tergiversations seront au cœur des discussions si – d’aventure – l’épidémie de coronavirus 2019-nCoV devait tourner en pandémie dans les jours ou les semaines qui viennent…
Les errements chinois
Il y a transparence et transparence. Certes, il semble que la Chine ait appris des erreurs du passé avec la gestion déplorable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui avait été longtemps dissimulé par les autorités chinoises en 2002-2003. Elle a communiqué avec célérité et transparence avec l’OMS et les pays tiers.
En revanche, il apparaît déjà que la gestion interne s’est faite avec une légèreté peu admissible dans ce type de crise où chaque instant compte. De toute évidence, le système politique pyramidal et fort n’a pas autorisé la divulgation rapide et claire d’informations auprès des populations, ce qui – d’après les rares témoignages qui filtrent de la ville de Wuhan – a alimenté de nombreuses rumeurs qui – au final – représentent une crise dans la crise.
C’est clairement la raison pour laquelle 5 millions de personnes, ou du moins une bonne partie d’entre elles, ont précipitamment quitté la région de Wuhan avant la mise en quarantaine ; autant de porteurs potentiels du 2019-nCoV maintenant éparpillés sur le vaste territoire chinois et susceptibles d’accélérer la propagation du risque.
Le confinement, une mesure complexe et risquée
Le confinement – ou la mise en quarantaine – est une mesure de protection de la population qui consiste à inviter celle-ci à rester à l’intérieur des bâtiments durant une période déterminée. Alors qu’a priori, le confinement semble simple à réaliser et peu coûteux, sa mise en œuvre concrète à petite échelle se révèle en réalité extrêmement complexe. Dans le cas qui nous occupe, la mesure de mise en quarantaine est particulière puisqu’elle concerne près de 50 millions d’habitants pour une période indéterminée.
L’opérationnalisation de la mesure est beaucoup plus complexe que l’on pourrait l’imaginer à première vue – et cela, non seulement pour les autorités en charge d’établir et de contrôler le périmètre (comment prévoir l’approvisionnement alimentaire, les soins médicaux, etc.), mais aussi pour les citoyens (restriction des mouvements, sentiment de panique, mélange des patients contagieux et des personnes saines, etc.). En décidant d’une mesure de confinement, le gouvernement fait le choix de ne pas évacuer la population face à un risque…
Cependant, quand le risque est diffus comme c’est le cas du coronavirus 2019-nCoV, le confinement n’est pas un choix mais une contrainte. Où peut-on fuir, si ce n’est en dehors du territoire ? Et encore, la fuite dans ce cas n’est qu’un accélérateur de la propagation du risque auquel on tente de se soustraire.
La seule fois où une large population a été ainsi mise « sous cloche » remonte à septembre 2014 au Sierra Leone où quelque 6 millions de personnes avaient été confinées durant trois jours pour tenter de contrer l’épidémie d’Ebola – sans que l’on sache réellement, a posteriori, si cette mesure a été décisive dans la lutte contre ce virus. Par ailleurs, le port du masque rendu obligatoire dans plusieurs villes et provinces chinoises est également controversé lorsqu’il s’agit de prévenir la contamination. Ce qui pose la question de l’efficacité même des mesures de protection de la population, qui semblent être des mesures davantage politiques que sanitaires.
Les risques liés au Nouvel An chinois
Finalement, comme dans chaque crise virant à la catastrophe, l’addition de petites défaillances est importante mais – souvent – il faut un momentum pour que la crise sorte de tout contrôle. Ce momentum, nous l’avons bien expérimenté en Europe durant la canicule de l’été 2003 qui a atteint son paroxysme en plein long week-end du 15 août, période pendant laquelle le personnel médical et les gestionnaires de crise étaient en vacances.
Au plus fort de la crise, la mortalité en région parisienne a été huit fois supérieure à la mortalité moyenne – situation unique en période estivale en France… Dans la situation actuelle, c’est la période du Nouvel An chinois (célébré le 25 janvier dernier), durant laquelle les mouvements de population sont extrêmement nombreux, qui pourrait participer à l’expansion du coronavirus 2019-nCoV.
Quoi qu’il arrive suite à cette expérimentation de gestion de crise par la Chine, il y aura très certainement un avant et un après–coronavirus 2019-nCoV. Et pas uniquement dans le domaine de la santé publique…
Pierre Ozer, Chargé de recherche, Climatologue, The Hugo Observatory, Coordinateur du Master de spécialisation en Gestion des risques et des catastrophes, Université de Liège; Aline Thiry, Chargée de recherche, Département de Science Politique, Université de Liège et Harry César Kayembe Ntumba, Unité de Recherche et de Formation en Ecologie et Contrôle des Maladies Infectieuses, University of Kinshasa
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.