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Les secrets d’église de Mgr Eugène Tisserant

Une plaque a été dévoilée, ce 16 juillet 2023, sur la maison natale de ce grand prélat, rue Gilbert à Nancy. Éminence grise de plusieurs papes, déclaré ‘’Juste parmi les Nations’’, qui était vraiment Mgr Tisserant ?

Mgr Eugène Tisserant (Walter Sanders, Public domain, via Wikimedia Commons)
Mgr Eugène Tisserant (Walter Sanders, Public domain, via Wikimedia Commons)

La petite cérémonie qui s’est déroulée le 16 juillet 2023, rue Gilbert à Nancy, avait pour but d’honorer les Justes* qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs durant le second conflit mondial. Parmi eux, le cardinal Eugène Tisserant dont le souvenir a été rappelé aux nancéiens.

« Ah ! si les Français connaissaient la vérité, quelle désillusion ! »

Mais, qui était vraiment le cardinal Eugène Tisserant ? Lorsque, au début des années 2.000, j’entrepris un long travail d’enquête sur notre héroïne nationale pour les besoins du livre « L’Affaire Jeanne d’Arc » (Ed. Florent Massot), je fus amené à effectuer des recherches sur ce célèbre cardinal nancéien.
Car j’avais été intrigué par cette lettre que m’adressa un lecteur de l’Est Républicain, Georges Beix, de Belfort, me faisant part du témoignage de son père, Paul Alix Beix, qui fut un intime du fameux cardinal. En voici un extrait : « Le cardinal Tisserant fêta son jubilé de sacerdoce. C’est à ce moment-là qu’il eut une conversation privée avec mon père. Il lui avait toujours dit qu’il possédait quelques secrets d’église qui, s’ils étaient révélés, feraient trembler la foi. Étant jeune prêtre au Vatican et secrétaire d’un cardinal haut placé, ils furent tous deux envoyés par le pape Benoît XV, au moment de la canonisation de Jeanne à Rome, à l’église de Pulligny (NDLR- Pulligny-sur-Madon, près de Nancy). Ils ont apposé des scellés sur toutes les portes de l’église. Ils restèrent sur place durant une semaine environ. Le cardinal a dit ces paroles « Ah ! si les Français connaissaient la vérité, quelle désillusion ! ». »

Affecté aux Renseignements du 2ᵉ Bureau

Le cardinal Eugène Tisserant est originaire de Nancy où il est né le 24 mars 1884. Il fut ordonné prêtre le 4 août 1907. Un an plus tard, le Vatican fait appel à ce jeune homme brillant, passionné par les langues orientales, pour enseigner l’assyrien à la future université pontificale de Latran. Il est aussi nommé scriptor à la bibliothèque vaticane, chargé de classer les manuscrits orientaux.
Dans leur ouvrage particulièrement documenté Eminences Grises (Fayard, 1992) Roger Faligot et Rémi Kauffer précisent que durant le premier conflit mondial, le curé Lorrain est affecté aux Renseignements du 2ᵉ Bureau. Nonce apostolique en 1919, il aura alors carte blanche pour réformer les archives et la documentation vaticanes lorsque son ami Mgr Ratti sera élu pape le 6 février 1922 sous le nom de Pie XI.
Le cardinal Ehrlé, préfet allemand de la bibliothèque Vaticane étant presque aveugle, le prélat lorrain eut accès au plus précieux des sanctuaires, affirment les auteurs d’Éminences Grises. On y pénètre par la porte Sainte-Anne, l’entrée de service du Vatican. Franchissant le cordon des gardes suisses puis traversant la petite église Sainte-Anne, on rejoint la bibliothèque apostolique et ses fameuses archives secrètes (Archivio Segréto), celles dont tout le monde parle, mais que presque personne n’a vues. Un trésor. S’y entrepose la mémoire intime du Vatican, en particulier les rapports confidentiels des nonces à l’étranger depuis le 16ème siècle : les plus petits secrets des grands de ce bas monde y sont méticuleusement répertoriés….
Le 15 juin 1936, Eugène Tisserant reçoit la pourpre cardinalice des mains de son ami Pie XI. Celui-ci meurt brusquement le 10 février 1939. Le prélat lorrain est convaincu que son ami qui s’apprêtait à faire une déclaration antifasciste a été victime d’un assassinat.

Les archives personnelles ont disparu…

Durant la guerre, le cardinal gaulliste Eugène Tisserant surnommé l’Américain, jouera un rôle actif contre l’Allemagne nazie. À la Libération, ce n’est plus la peste brune qui fait peur, mais la révolution rouge. La crainte d’une invasion soviétique conduit le bibliothécaire du Vatican à microfilmer les archives les plus sensibles qui seront mises en lieu sûr.
À la mort de Pie XII, le cardinal Eugène Tisserant est Doyen du Sacré Collège. Il hérite du titre prestigieux de cardinal- bibliothécaire-archiviste de la Sainte Église Romaine. Il devient le maître incontesté de la Vaticane et de ses archives secrètes.

Le 27 mars 1971, Eugène Tisserant remet au pape ses fonctions d’archiviste et de bibliothécaire.
Il se retire dans son appartement situé 4, via Giovanni Prati où vit aussi sa nièce. Il mourra moins d’un an plus tard, le 21 février 1972 et est enterré à Saint-Pierre de Rome après avoir servi six papes. Lorsque les officiers du Saint-Siège voulurent apposer les scellés sur la porte de la demeure du défunt Prince de l’Église, comme le veut la tradition, ils s’aperçurent qu’ils avaient été doublés. Les archives personnelles du cardinal constituées des notes qu’il avait l’habitude de prendre par écrit avant de les mettre au propre à la machine à écrire avaient disparu.

12 malles de documents

Deux mois plus tard, un hebdomadaire français, Paris Match, s’empare du scandale et croit savoir que parmi ces révélations explosives, il y aurait des documents concernant la mort du pape Pie XI, décédé en 1939 à la veille de la seconde guerre mondiale. Il aurait été empoisonné. Peut-être par Mussolini. Mais les journalistes ne connaissent pas le contenu des documents sulfureux.
Le scandale prend rapidement la dimension d’une affaire d’État. L’appartement de Mgr Tisserant est perquisitionné par la police italienne. Des documents sont saisis et restitués au Vatican. Mais il y en a d’autres…
D’après L’Est Républicain : Un prélat français, Mgr Roche (le secrétaire de Tisserant), aurait expédié secrètement 12 malles de documents quelque part en France… Le Vatican aurait demandé l’aide des autorités françaises pour rentrer en possession des papiers comme documents secrets d’État.
Que contenaient ces 12 malles ? À qui étaient-elles destinées ? À l’époque où je mène cette enquête sur Jeanne d’Arc, je ne peux m’empêcher de penser que parmi ces documents tant convoités, certains pourraient concerner Jeanne, la bonne Lorraine.

Le mystère reste entier

Le Cardinal Tisserant avait eu une réaction violente à l’égard de l’écrivain Edouard Schneider lorsque celui-ci effectuait des recherches sur la Pucelle dans les archives de la bibliothèque vaticane. On sait aussi qu’il est venu dans la petite église de Pulligny au début du 20ᵉ siècle. Si l’on en croit le témoignage de Paul Alix Beix, il connaissait le secret de Jeanne.
A-t-il simplement recopié les principaux documents qu’il était chargé de classer ? A-t-il recopié le fameux Livre de Poitiers qui contient les déclarations de Jeanne la Pucelle à la commission d’enquête, lorsqu’elle révèle l’origine de ses voix et le secret qui la lie au roi, c’est-à-dire finalement, son origine royale ? A-t-il découvert autre chose sur notre héroïne ?
Le mystère reste entier pour l’instant puisque le cardinal a su mettre en lieu sûr les secrets d’Église découverts au cours de sa longue mission au Vatican de 1908 à 1964.

*Le titre de « Juste parmi les Nations » est une distinction honorifique décernée depuis 1963 au nom de l’Etat d’Israël par le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, réservée aux non-Juifs qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale principalement en Europe. A ce jour, environ 28 000 personnes originaires de 50 pays ont reçu ce titre honorifique

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