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La Vᵉ République a 65 ans : retour sur quelques réformes constitutionnelles phares

Charles de Gaulle premier président de la Vème République (portrait officiel)
Charles de Gaulle premier président de la Vème République (portrait officiel)

Bryan Muller, Université de Lorraine

L’adresse du Président Emmanuel Macron aux Sages pour célébrer le 65e anniversaire de la Constitution de la Ve République pourrait être, selon plusieurs observateurs, l’occasion de proposer une nouvelle réforme constitutionnelle. Cette proposition n’aurait rien de surprenant, le chef de l’État ayant déjà annoncé son intention de la réformer l’an dernier.

L’histoire de la Ve République rend également l’exercice tout à fait envisageable. En effet, depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution actuelle a déjà été réformée 24 fois, le plus souvent sous la présidence Chirac (14). Certaines réformes ont néanmoins marqué durablement la société française.

L’élection du président de la République au suffrage universel direct

Élu le 21 décembre 1958 par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle avait pour objectif d’inscrire l’élection présidentielle au suffrage universel direct dans la constitution française bien avant de revenir au pouvoir. Il avait annoncé ce projet lors de son discours de Bayeux (16 juin 1946), considérant que cela permettrait à la fois d’établir un lien plus direct entre le chef de l’État et les citoyens et d’accorder une plus grande légitimité au président élu.

Les circonstances tumultueuses de son retour au pouvoir en mai 1958 ainsi que la mémoire vivace du coup d’État de 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte contraignent le général de Gaulle et son entourage à faire des concessions. Après avoir proposé initialement l’inscription de l’élection du président au suffrage universel direct dans la nouvelle constitution par l’entremise de Michel Debré, le comité consultatif constitutionnel décide de former un collège de grands électeurs. L’objectif est d’élargir la base électorale sans prêter le flanc aux accusations de tentation dictatoriale gaulliste que l’élection au suffrage universel direct permettrait.

Souhaitant revenir sur ce point, le général de Gaulle profite de l’émotion suscitée par l’attentat du Petit-Clamart pour annoncer une réforme constitutionnelle permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct via un référendum. Malgré une vive campagne des opposants de tous bords politiques qui appellent à voter contre cette réforme qui permettrait à un « dictateur » d’agir librement (le bien nommé « cartel des non »), le « oui » l’emporte aisément (62 %) le 28 octobre 1962. Si l’idée initiale était de faire du chef de l’État un « arbitre » entre le gouvernement et le Parlement, l’élection au suffrage universel direct, couplée à la posture gaullienne, acte le déplacement de l’essentiel du pouvoir exécutif de Matignon à l’Élysée.

Le passage au quinquennat

Si le septennat était voulu par Charles de Gaulle pour permettre au chef de l’État d’élaborer une politique sur le long terme, Georges Pompidou n’était pas toujours de cet avis. Devenu président, il souhaite réduire la durée du mandat présidentiel à cinq années. Il propose de réaliser cette réforme en 1973. L’Assemblée nationale et le Sénat adoptent un texte mais le projet avorte subitement faute d’une majorité suffisante – une réforme constitutionnelle par le biais du Congrès ne peut être adoptée qu’avec l’approbation des 3/5e des parlementaires.

L’opposition restait vivace, aussi bien à gauche – où l’on refuse par principe de soutenir une réforme pompidolienne alors même que le quinquennat présidentiel est inscrit dans le programme commun de la gauche – que par une partie des (néo) gaullistes au nom du respect de la constitution voulue par le général de Gaulle. Par la suite, les présidents Valéry Giscard d’Estaing (VGE) et François Mitterrand se sont montrés favorables au passage du septennat au quinquennat… à condition que leurs mandats ne soient pas concernés.

Du septennat au quinquennat, débats sous la Ve, INA.

Il faut attendre 2000 pour que le sujet revienne sérieusement dans les discussions. Le 10 mai, dans une tribune au Monde, VGE appelle à une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Certains chiraquiens (tel François Baroin) y voient une tentative de l’ancien président de saper le mandat de son rival, alors qu’il avait précisé dans sa tribune que ladite réforme ne s’appliquerait pas au mandat en cours mais à partir du suivant, en 2002.

Il faut se souvenir du contexte du moment. Depuis 1997, la France connaît sa troisième cohabitation. Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition de partis de gauche avec un président de droite, Jacques Chirac. L’idée derrière la proposition de VGE est de renforcer le caractère présidentiel du régime et de réduire les risques de cohabitations en synchronisant les élections présidentielles et législatives. Lionel Jospin s’y rallie immédiatement au motif qu’il s’agirait d’une réforme plus démocratique – les électeurs s’exprimeraient plus souvent sur le choix du chef de l’État.

Ce plan déplaît à l’origine au président Chirac, qui finit toutefois par s’y rallier en imposant ses conditions : pas de limite du nombre de mandats réalisable, pas d’autres changements sur le statut présidentiel. Jacques Chirac exige également que le changement s’opère par référendum et non auprès du Parlement. Une décision qui se solde le 24 septembre 2000 par une adoption du quinquennat présidentiel avec 73 % de « oui », mais moins d’un tiers des électeurs s’est exprimé dans les urnes !

L’instauration définitive de l’« hyper-présidence » en 2008

Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy se lance dans la campagne présidentielle de 2007. Il promet en cas de victoire de transformer les institutions pour les moderniser, afin de mieux répondre aux aspirations populaires. Une fois élu, il confie la direction d’un comité de réflexion à Édouard Balladur où des politiques et des juristes réfléchissent sur les changements à apporter à la constitution. Ce comité remet son rapport en octobre 2007, rapport qui irrigue la réflexion de la majorité parlementaire (l’Union pour un mouvement populaire, UMP).

Quelques propositions importantes sont rejetées par peur d’affaiblir la majorité parlementaire ou de perdre le soutien de certains élus – non-cumul des mandats, proportionnelle pour l’élection des députés, réforme du Sénat. Néanmoins, la plupart des recommandations restent suivies. Le projet est débattu au Parlement à l’été 2008. Ses partisans défendent le fait que la réforme augmenterait le pouvoir du Parlement ; à l’inverse, les opposants estiment que les concessions faites au pouvoir législatif sont maigres comparativement aux acquisitions du pouvoir exécutif.

Le 23 juillet 2008, la réforme constitutionnelle est promulguée. Les changements sont conséquents :

  • le président de la République ne peut plus assurer que de deux mandats consécutifs ;
  • le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil supérieur de la magistrature sont réformés (le CESE s’ouvre à des associations environnementales et de jeunesse et peut être saisi par des pétitions citoyennes ; le CSM n’est plus dirigé par le chef de l’État et le ministre de la Justice, sa composition change pour donner plus de place à la société civile) ;
  • la fonction de défenseur des droits est créée (pouvoir consultatif non contraignant, émet simplement des recommandations qui peuvent ne pas être suivies) ;
  • l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désormais fixer librement leurs agendas ;
  • le chef de l’État peut convoquer le Congrès pour s’adresser solennellement à tous les parlementaires ;
  • le référendum d’initiative partagée (RIP) est créé, permettant aux parlementaires de le saisir dans des conditions strictes, etc.

Malgré quelques ajouts qui semblent accorder plus de latitude d’action aux pouvoirs législatif et juridique, le pouvoir présidentiel reste immense. Les contre-pouvoirs ressortent plus affaiblis que renforcés, incitant des hommes favorables à la réforme comme Jean-Pierre Raffarin à les renforcer pour que la présidence de la République ne se réduise pas à « l’exercice solitaire du pouvoir ».

Rapidement, le constat émis par la presse et les oppositions se veut même alarmant. Nicolas Sarkozy, déjà qualifié d’« hyper-président » par sa forte présence médiatique en 2007, aurait renforcé les capacités d’action du pouvoir exécutif à travers celui de l’Élysée qu’il aurait gravé dans le marbre par son style (la fameuse « hyper-présidence », qualifiée depuis plusieurs années de « pouvoir jupitérien » pour souligner la différence de personnalité avec le président actuel).

De plus en plus de citoyens manifestent également la volonté d’inverser la tendance actuelle à la verticalité en y intégrant un pouvoir plus horizontal, comme la réforme des retraites l’a encore si bien rappelé ces derniers mois. Cela n’a rien d’impossible, la constitution de la Ve République a su démontrer à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa grande souplesse. Tout est question de volonté politique.The Conversation

Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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