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Loi PACTE : une démocratie seulement semi-ouverte

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La loi PACTE, ou quand la France expérimente la démocratie ouverte.
Petr Kovalenkov / shutterstock

Arnaud Lacan, Kedge Business School et Thiphaine Le Gauyer, Aix-Marseille Université

L’une des originalités de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), c’est sa méthode d’élaboration. Le gouvernement français, convaincu que « l’administration ne doit pas avoir le monopole de la fabrique des politiques publiques », entend « faire appel à l’intelligence collective » et à l’expérience terrai) pour mettre en place une démarche consultative. La loi PACTE est donc une première tentative qui doit déboucher sur une co-construction par l’ensemble des parties prenantes désireuses de s’inscrire dans cette démarche d’une réforme innovante des entreprises.

Cette façon de faire est assez inédite en France. C’est de l’autre côté de l’Atlantique que l’appel aux citoyen·ne·s dans la construction législative trouve son origine. En 2009, l’administration Obama avait lancé l’Open Government Initiative, ou démocratie ouverte. Elle avait posé trois principes simples :

  • La transparence : libre accès des données publiques et utilisation par l’administration de logiciels libres ;
  • La participation : par la consultation citoyenne ;
  • La collaboration : avec les composantes de la société civile, donc les parties prenantes.

12 000 propositions

Inspiré par ce modèle de participation démocratique, le gouvernement a lancé son projet de loi PACTE au rythme d’un calendrier pensé et adapté à l’ampleur du projet. Lancé officiellement le 23 octobre 2017, le projet de loi qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 20 juin 2018 s’est ensuite construit en deux temps. D’abord, du 23 octobre au 10 décembre 2017, a eu lieu une première phase de consultation menée par des député·e·s et chef·fe·s d’entreprise avec la remise d’un rapport synthétique au ministère de l’Économie et des Finances. Puis, du 15 janvier au 10 février 2018, a été organisée une consultation publique via une plateforme numérique dédiée et gérée par Cap Collectif, une association qui travaillait déjà sur des projets similaires de concertations internes d’agent∙e∙s de services publics (Pôle emploi, par exemple…). Pour le gouvernement, le bilan de cette seconde phase de consultation populaire est plutôt bon puisqu’il revendique plus de 7 700 participants pour plus de 63 000 votes et 12 000 propositions sur l’avenir de l’entrepreneuriat en France.

C’est le premier temps de consultation qui est plus sujet à discussion… En effet, la sincérité de la démarche consultative n’est pas si évidente à bien y regarder. Quelque 628 institutions et individus ont été rencontré∙e∙s lors de ce premier temps entre le 23 octobre et le 10 décembre 2017 par six binômes ou trinômes (parlementaires et chef·fe·s d’entreprise) missionnés sur six thématiques différentes. Objectif : formuler des propositions au plus près des besoins. Ces groupes de travail ont réuni des acteurs de la société civile, en particulier du monde de l’entreprise, pour varier les points de vue, dans une intention tout à fait louable.

Une seconde phase très cadrée

Ils ont ensuite formulé des propositions au plus près des besoins exprimés par six binômes de parlementaires (5 LREM et 1 MoDem) et chef·fe·s d’entreprise. Ce qui surprend l’observateur attentif de la démarche, c’est qu’un certain nombre de préconisations figuraient déjà dans le rapport synthétique de la première phase rendu public fin 2017. Une partie d’entre elles se retrouvaient aussi dans les propositions que le gouvernement a soumis aux acteurs lors du second temps de la consultation, via une plate-forme dédiée au plus grand nombre et ouverte du 15 janvier au 10 février 2018. On peut regretter ce « cadrage » qui prive certainement le projet d’apports très diversifiés, en raison de l’orientation donnée à la seconde consultation.

On peut aussi et surtout s’inquiéter des failles sérieuses que laisse entrevoir une lecture encore plus approfondie de cette consultation participative. En effet, si les 31 propositions du gouvernement concentraient 35 % des votes, les 90 propositions les plus votées (10 par thématiques gardées) n’en concentraient que 16 %, soit moitié moins d’intérêt pour 3 fois plus de propositions. Les pouvoirs publics ont su intelligemment profiter d’une plus grande visibilité, puisque leurs soumissions restaient épinglées en haut de chaque page thématique, orientant de fait les participations populaires vers des problématiques sponsorisées. Si cette organisation artificielle peut expliquer le nombre compris entre 400 et 1 500 votants par proposition gouvernementale – contre une fourchette d’entre 23 et 250 votants pour les propositions citoyennes –, cela ne peut suffire à expliquer que plus d’une proposition citoyenne sur deux ait été suivi favorablement à plus de 95 % des voix… Mieux encore, 13 propositions citoyennes semblent faire l’unanimité !

Comment expliquer ces records de participations et d’adhésion qui ressemblent, en ce qui concerne les propositions citoyennes, à un plébiscite ? Une investigation poussée des données affichées sur le site dédié aux retours sur la consultation permet de comprendre un peu mieux les raisons de cette participation exceptionnelle.

L’explication est en fait très simple : chaque institution dont les propositions se trouvent parmi les 10 les plus favorables, c’est-à-dire ayant recueilli le plus de votes, a probablement su générer le soutien de ses troupes. En effet, les propositions en question ont été soutenues par un contingent de contributeur∙trice∙s dont le seul tribut a été de voter ces contributions précises, et aucune autre. Si l’on regarde d’un peu plus près leur profil et leur activité sur le site du projet de loi, ces dernier∙e∙es n’ont d’ailleurs pris part à aucune autre consultation sur le site, n’ont fait aucune commentaire, et ont à peine rempli leur profil, se contentant de noter qu’elles étaient citoyennes…

Captation de la participation

Ainsi, on peut supposer qu’un certain nombre de personnes aient été incitées à s’inscrire sur la plate-forme dans le but de voter pour les propositions d’une institution particulière (certainement celles dans lesquelles ils travaillent ou au sein desquelles ils sont adhérents). Ils sont ainsi plus de 170 de France Angels (qui a déposé trois propositions), environ 80 de la Fédération des autoentrepreneurs (FEDAE, qui a six propositions sur sept classées favorablement), jusqu’à 300 personnes de la CFDT (qui a déposé trois propositions) et près de 60 adhérents-votants pour les 26 propositions de l’Institut Français des Experts-comptables (IFEC), dont seulement une ne figure pas parmi les 90 propositions les plus favorablement reçues par le public.

Pour finir, ce n’est pas seulement cette bizarrerie qui ternit la méthode gouvernementale de démocratie ouverte. Il se trouve, après vérification, que les institutions qui ont su organiser le soutien à leurs propositions sont pour la plupart d’entre elles celles qui avaient déjà été entendues lors de la première phase de consultation. Si le ministre de l’Économie et des Finances avait l’ambition sincère de donner la parole et de la place aux citoyen∙ne∙e∙s, il n’avait pas anticipé la captation de la participation par des institutions bien organisées pour créer un nœud de propositions déjà formulées, et donc déjà connues.

Au final, il s’agit d’une tentative démocratique louable, mais décevante. Presque inutile même, puisque le projet de loi semble donner toujours plus de pouvoir et de place à la financiarisation et à l’actionnariat. Il va donc à l’encontre des préconisations du rapport d’expertise de Jean‑Dominique Senard et de Nicole Notat, qui aurait pu, s’il n’avait pas été remis en mars 2018, constituer la première étape de cette grande consultation. Si, en plus, la carte de l’ordonnance devait être une nouvelle fois abattue lors de la séance parlementaire prochaine, alors il y aurait quand même quelque chose d’étrange au cœur du projet de loi Pacte…The Conversation

Arnaud Lacan, Professeur de management – Chercheur au GREQAM AMSE, Kedge Business School et Thiphaine Le Gauyer, Doctorante en Sociologie, Aix-Marseille Université

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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