Depuis le 1er juillet 2014 vous n’êtes plus sidérurgiste à Florange mais député européen. Comment vivez-vous cette nouvelle vie ?
C’est une vie complètement différente. Un autre monde. Je suis dans un système politique qui possède ses propres codes, avec des élus assez formatés qui n’ont fait dans leur vie, pour une large majorité, que de la politique. Rares sont ceux issus de la société civile et c’est encore plus vrai pour les élus français. Néanmoins, ici au parlement européen, vos pairs européens vous reconnaissent par votre travail, par votre assiduité et n’ont que faire de vos « titres » antérieurs. Donc, je fais le job dans la continuité de mon action syndicale à savoir défendre les industries et le monde du travail.
A Bruxelles ou à Strasbourg vous êtes aux premières loges pour constater les dégâts de la mondialisation. Prenons un dossier que vous connaissez bien : l’acier. L’UE est le plus gros producteur au monde (180 millions de tonnes/an soit 11% de la production mondiale) derrière la Chine (340 millions de tonnes). Environ 40.000 emplois ont été perdus en quelques années dans ce secteur. Et pourtant, l’Europe achète de l’acier (de mauvaise qualité) à la Chine. Est-ce bien normal ?
La production d’acier chinois n’est pas de 340 Mt mais plus de 900Mt. Les 340 Mt représentent les surcapacités actuelles. Dans un contexte de baisse d’activité économique chinoise l’Etat central subventionne, à coup de milliards, les exportations ce qui engendre une baisse drastique des prix mondiaux et déstabilise ce secteur. Les chinois pratiquent le dumping à grande échelle et les Etats européens laissent faire pour des raisons politiques, personne n’ose s’opposer à la Chine car beaucoup de pays européens y ont des intérêts commerciaux importants. Ce n’est pas l’Europe qui est responsable de ce marasme industriel et social, c’est au contraire le manque d’Europe. En effet, pour moderniser les instruments de défense commerciale européens nous avons besoin d’une majorité qualifiée des 3 /5 des pays. Or une majorité du Conseil Européen (les représentants des Etats) s’y oppose. Donc, ce sont bien les pays qui sont responsables et non pas l’Europe. Mais c’est tellement facile et confortable pour un chef d’Etat ou un ministre de dire à ses concitoyens : « Ce n’est pas moi, c’est Bruxelles ». C’est exactement la position hypocrite de la Grande-Bretagne qui bloque toute tentative européenne depuis 2013 et qui, aujourd’hui, subit ses propres contradictions avec l’annonce de Tata Steel qui se désengage de la sidérurgie britannique. Les travailleurs de ce pays sont victimes de leur propre gouvernement, pas de l’Europe.
Sur la qualité des aciers chinois il y aurait beaucoup à dire. Tous ne sont pas de mauvaise qualité et les clients européens qui les achètent n’ont pas forcément besoin d’acier de très haute qualité. Tout dépend de l’utilisation que l’on veut en faire. Ce qui est sûr c’est, en moyenne, que la production d’acier chinois est plus polluante que la production européenne. Au lendemain de la COP 21 nous pouvons nous interroger sur la volonté réelle de certains de vouloir préserver l’environnement et la planète.
Quant aux acheteurs européens, ils privilégient le prix et rien d’autre. Ils n’ont que faire du dumping, du social, de l’environnement, leur seul but est de faire un maximum de bénéfices. C’est une politique très « courtermiste » car au final tout le monde y perdra. Y compris ces mêmes entreprises qui se feront, à terme, liquider par les chinois. Si le seul but des entreprises européennes est d’avoir des coûts les plus bas possibles elles ne seront jamais, jamais assez compétitives face au modèle chinois. Et ce n’est pas le modèle que je veux pour l’Europe.
Autre chose : le projet de loi sur la réforme du code du Travail porté par la ministre Myriam El Khomri suscite de gros remous dans les rangs des syndicats comme dans ceux du parti socialiste. N’est-ce pas une réforme trop libérale ?
Le projet de loi El Khomri tend justement à essayer de répondre à ce besoin dicté par les libéraux de tout poil, à savoir faire baisser le coût du travail pour être plus compétitifs que nos voisins. Et à ce petit jeu les Allemands ont ouvert la brèche, puis les Espagnols, les Italiens etc. Tous essaient d’attirer les investisseurs en vantant leur attractivité « sociale ». Hélas, la France n’échappe pas à ce piège et sous l’impulsion de Manuel Valls ce projet de loi vient sur la table. C’est une grave erreur de mon point de vue car on rentre dans une spirale infernale où personne ne sortira gagnant. Je rappelle ici le modèle chinois. Au lieu de défendre un modèle au niveau européen nous nous combattons les uns les autres ce qui fait le jeu des multinationales et, évidemment, des chinois. Le prix à payer sera très, très cher. En Chine tout est beaucoup moins cher y compris les ministres. Est-ce le modèle que les Etats veulent nous imposer ?
On parle beaucoup de l’Europe, souvent pour en souligner les mauvais côtés. Exemple, le manque de cohésion à propos des migrants. Qui décide ? N’y a-t-il pas un gros déficit de démocratie ?
La politique migratoire n’est pas une compétence européenne, c’est une compétence nationale. Ce sont donc les Etats qui décident si oui ou non ils acceptent d’accueillir des réfugiés sur leur sol et combien. Dans la crise actuelle des réfugiés, je rappelle que ces personnes fuient la guerre, les bombes, les massacres et la barbarie. Les Etats se sont comportés de manières honteuse et scandaleuse. L’Europe a des valeurs qui ne peuvent être foulées aux pieds pour des raisons politiciennes et populistes de certains pays membres. Une valeur essentielle est de venir en aide aux peuples en souffrance qui, souvent, sont victimes de nos propres fautes. L’Europe, qui a connu les dévastations sanguinaires des différentes guerres, doit rester la référence des droits de l’Homme, elle ne peut rester insensible à ce qui se passe chez nos voisins. Aujourd’hui personne ne peut plus dire « on ne savait pas », ne pas agir c’est se rendre complice de la barbarie qui frappe femmes, enfants, vieillards et autres innocents. Si manque de démocratie il y a c’est de la responsabilité des Etats et de leurs représentants. C’est trop facile de toujours se défausser sur les autres. Pour moi il n’y a pas un manque de démocratie mais plutôt un manque de courage.
Autre exemple : le traité transatlantique TAFTA entre l’Europe et les Etats-Unis se négocie dans le plus grand secret. N’est-ce pas la porte ouverte au libéralisme le plus sauvage qui profitera d’abord aux multinationales américaines ?
Si le TAFTA aboutit un jour (c’est loin d’être acquis, heureusement) il profitera effectivement aux multinationales, à toutes les multinationales pas seulement américaines. Ce traité n’est pas un simple traité d’échanges commerciaux entre les USA et l’Europe, c’est un traité qui va imposer un modèle. La question est, évidemment, de savoir qui des USA ou de l’Europe va réussir à s’imposer ? Dans toutes les négociations du passé jamais les USA se sont fait imposer quoi que ce soit, donc, attention danger.
Néanmoins, il y a de plus en plus de voix de la société civile américaine qui commencent à dénoncer ces négociations et c’est tant mieux. Il faut savoir qu’aux USA tous les secteurs économiques et sociaux ne sont pas à jeter aux orties. Par exemple, le secteur de la marine marchande est très bien protégé et les salarié ont des droits sociaux importants ce qui n’est pas le cas de l’Europe où trop souvent les bateaux battent pavillon de complaisance et où les marins n’ont quasiment aucun droits. Puis, quand bien même cet accord irait à son terme, le mot de la fin reviendra au parlement européen et ses représentants. Si j’avais un conseil à donner ce serait d’interpeller tous les députés européens et leur demander leur point de vue sur le sujet. Pour moi, c’est non au TAFTA.
Après deux années, pratiquement, passées au parlement européen, avez-vous le sentiment de servir la France et la Lorraine, de faire avancer les choses dans le sens souhaités par les citoyens ?
J’ai le sentiment non seulement de servir la France et la Lorraine mais aussi l’ensemble des salariés qui travaillent dans l’industrie. Et à travers la défense des industries européennes j’aide à la création de richesses car une entreprise n’est pas uniquement un lieu où l’on produit un bien de consommation, elle participe aussi à créer de l’emploi, elle paie des taxes et des impôts qui permettent de construire des écoles, des hôpitaux, des crèches, des routes, etc. Bref, la présence industrielle dans nos bassins participe au vivre ensemble. C’est la raison pour laquelle je me suis battu, dès mon arrivée au parlement européen, pour faire voter un rapport qui défend ce secteur indispensable pour notre économie. Ce travail ne fut pas facile, j’ai été confronté à beaucoup d’oppositions mais avec de la pugnacité j’ai réussi à le mener à bien.
Actuellement, je travaille sur d’autres sujets tels que la réduction des émissions de CO2, la place des représentants des travailleurs dans les choix stratégiques des entreprises, les droits de l’Enfant et le statut d’économie de la Chine que la Commission Européenne s’apprête à lui reconnaître ce qui engendrerait de graves difficultés pour l’emploi en Europe. Mais ce n’est pas fini et la Commission n’a pas encore gagné ce bras de fer. Je compte bien défendre l’intérêt des citoyens européens. D’ailleurs, j’ai créé un groupe d’action au parlement pour contrer cette initiative de la Commission et chacun peut m’y aider en répondant à notre consultation publique sur le site suivant : www.meschinawhynot. La voix des citoyens doit se faire entendre.
Propos recueillis
par Marcel GAY