Jean-Éric Branaa, Université Paris 2 Panthéon-Assas
Une conférence de presse commune, plusieurs visites officielles – dont une adresse au Congrès, un dîner dans la demeure de Georges Washington – un privilège rare –, une rencontre avec les étudiants de l’université du même nom, une réception en grande pompe à la Maison Blanche : Donald Trump accueillera Emmanuel Macron avec faste et honneurs. Pour le milliardaire c’est en effet la toute première visite présidentielle d’État qu’il organise depuis le début de son mandat.
Pour Emmanuel Macron, cette visite de trois jours qui débutera ce lundi à Washington est cruciale afin d’asseoir sa légitimité sur la scène internationale et auprès des observateurs français.
Au-delà des échanges prévus sur des dossiers attendus – Corée du Nord, Iran, Syrie, accords bilatéraux – on peut cependant s’interroger sur la nature et la solidité des rapports entre les deux chefs d’État. Leur relation avait ainsi débuté sur des bases compliquées.
Tensions profondes
La campagne présidentielle américaine de 2016 avait soulevé une forte opposition en France et les sondages indiquent que, fin 2017, 86 % des Français avaient une mauvaise opinion de Donald Trump. Durant sa campagne, Emmanuel Macron avait quant à lui critiqué avec véhémence la politique du président américain. Tout semble en effet les opposer.
La politique économique de Trump est violemment protectionniste, comme l’illustre le programme de campagne « America First ». Macron affiche en revanche un authentique libéralisme, se montrant totalement acquis au multilatéralisme.
Leur mode de communication ensuite : l’un semble avoir transformé l’Élysée en agence de communication où tout est soupesé et distillé avec un soin parcimonieux, alors que l’autre réagit par des tweets détonants, semblant échapper à tout contrôle.
La poignée de main
Très vite cependant, le jeune président, novice politique sur la scène internationale, semblait avoir pris les devants vis-à-vis de son aîné, tout aussi novice que lui par ailleurs. Le 25 mai 2017, il avait ainsi marqué les esprits à Bruxelles en accueillant avec une poignée de main virile son homologue américain, poignée qu’il avait qualifié de « moment de vérité ».
Macron avait ainsi brûlé quelques étapes de diplomatie internationale et montré tout de suite une volonté – si ce n’est une capacité – à parler à pied d’égalité avec tous les leaders du monde et de replacer la France dans un rôle moteur.
Si tensions et désaccords avaient jusqu’à présent souligné les rapports entre les deux hommes, cette visite d’état pourrait bien marquer un virage dans la relation diplomatique franco-américaine.
Nouveaux départs
Cet été déjà les deux hommes avaient entretenu des rapports plus cordiaux. Donald Trump s’était ainsi déplacé en France – à l’invitation de Macron – pour le 14 juillet, et y avait célébré le centenaire de la fin de la guerre 14-18.
Ce fut une très belle occasion pour lui d’envoyer un message à ses électeurs en honorant les morts des plages du Débarquement, un geste très apprécié des anciens combattants américains.
Ce message a permis par la même occasion de rappeler aux Européens que les Américains ont payé au prix fort leur amitié avec le vieux continent. Et de souligner qu’ils attendent en retour reconnaissance et loyauté.
Cela a aussi donné à Emmmanuel Macron l’occasion d’un rapprochement avec Donald Trump, formalisé par un engagement pris publiquement lors de leur conférence de presse commune : « il a pris des engagements de campagne et je respecte cela ». Cette petite phrase valait tous les soutiens du monde pour l’Américain et il s’est montré désormais très chaleureux vis-à-vis du Français, en affichant de plus en plus clairement sa préférence pour cet interlocuteur parmi les leaders européens.
« Make our planet great again » avec les États-Unis
Pourtant, il reste des sujets qui fâchent : le réchauffement climatique est bien évidemment en tête de liste. Toutefois, en dehors d’un cadeau clin d’œil à Trump – un jeune plant de chêne – le climat ne sera pas parmi les invités de la visite présidentielle.
Emmanuel Macron avait pourtant assuré avoir l’oreille de Donald Trump en affirmant que ce dernier ne quitterait pas l’accord de Paris. Il fut démenti de façon cinglante le 1er juin 2017 lorsque Trump annonça retirer son pays de l’accord.
En réponse, le président français haussant le ton, avait détourné le slogan du président américain et appelé à « rendre à nouveau sa grandeur à la Terre » avec son « Make our planet great again ». Une façon de dire que le monde saurait faire le nécessaire sans l’appui les États-Unis.
C’est pourtant l’inverse que semble préconiser Emmanuel Macron depuis le 14 juillet, lorsqu’il a relégué cette question au rang de politique intérieure américaine. En décembre, le président français a non seulement reconnu l’échec du monde dans ce domaine mais a désormais appelé à faire revenir les États-Unis au sein de ce programme.
Points de discordes
D’autres sujets auraient pu enfoncer la relation franco-américaine : le choix de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, les options radicales des Américains concernant les droits de douane sur l’acier ou l’aluminium, ou celles ayant trait au programme nucléaire iranien, pourraient se suffire à eux-mêmes. Pourtant, il n’en est étonnamment rien.
La protestation française à propos de Jérusalem a été, il faut le reconnaître, très retenue ; s’agissant du commerce, rien n’est encore définitif, puisque la Maison Blanche a donné jusqu’au 1er mai pour parvenir à une solution. Le principal point d’achoppement actuel reste toutefois le question iranienne.
En effet, ce jour les États-Unis on annoncé vouloir se retirer de l’accord Plan d’action global conjoint (JCPOA) qu’ils ont conjointement signé en juillet 2015 avec l’Iran, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Union européenne. Ce plan instaure un encadrement des activités nucléaires iraniennes en échange d’une levée progressive des sanctions contre Téhéran. Téhéran annonce déjà un ultimatum brandissant la menace de reprendre l’enrichissement nucléaire si les États-Unis se retiraient de l’accord.
La décision de Washington, très attendue et redoutée par l’Élysée, sera annoncée le 12 mai.
Une entente parfaite sur le dossier syrien
L’entente a été en revanche parfaite dans la lutte contre le terrorisme ou le conflit en Irak et en Syrie. Les dernières frappes punitives à la suite de l’attaque chimique ont démontré que les deux pays peuvent agir de concert.
Si on a vu passer un démenti discret provenant de Washington, infirmant que ces frappes ont été conduites à l’initiative du président français, on relève surtout qu’il n’y a pas eu de tweet assassin de la part de Donald Trump de type « Macron loser, tu ne crois tout de même pas que je t’obéis ? ». C’est assez fort pour être souligné !
Les provocations frontales du jeune président ont également disparu, certainement pour ne plus froisser l’hôte de la Maison Blanche. Fini les vidéos prises dans les jardins de l’Élysée avec Arnold Schwarzenegger en juin 2017, qui ont fait d’Emmanuel Macron une icône adulée de l’opposition américaine à Donald Trump.
Le président français pratique maintenant une diplomatie prudente et très en nuance, s’abstenant du moindre commentaire sur son homologue, sur son mandat ou sur le dossier russe. Il est même allé jusqu’à affirmer ce non-engagement directement aux électeurs de Donald Trump sur Fox News depuis Paris la veille de son voyage.
Les buts poursuivis par l’un et par l’autre sont si différents semblent être devenus désormais complémentaires : Macron veut briller sur le plan international ? Fort bien, Trump n’est pas intéressé ! La France veut conduire des opérations militaires ? Les Américains cherchent à se retirer des terrains d’opération !
Et si les deux leaders étaient plus semblables qu’ils n’y paraissent ?
Deux pragmatiques
Volontaires, les deux hommes disent vouloir pratiquer le parler-vrai, faire ce qu’ils ont promis, agir avec une détermination forte, parfois même avec une certaine brutalité. Les deux hommes comprennent le monde de l’entreprise, l’un parce que son début de carrière lui a permis de les côtoyer, l’autre parce qu’il est un d’entre eux.
Tous deux ont été élus après une campagne étonnante, voire détonante, à la surprise générale, et sans avoir la moindre expérience de ce qui les préparait à une telle fonction.
Là encore, c’est par un autre trait commun, leur intuition et leur capacité de réaction, qu’ils se maintiennent au sommet. On a d’ailleurs noté la même méfiance vis-à-vis de la presse et, ce qui est nouveau chez Emmanuel Macron, la même capacité désormais à utiliser Twitter.
Emmanuel Macron et Donald Trump sont deux pragmatiques qui ne s’embarrassent pas du poids du passé ou de l’expérience des autres pour asseoir leur présidence. Ils pensent être au-delà de ces contingences et ce sera peut-être aussi une limite commune dans l’exercice de leurs présidences respectives.
Certains commencent même déjà à qualifier la nouvelle entente de « relation privilégiée » et à la comparer avec celle entretenue entre George Bush et Tony Blair ou entre Barack Obama et Angela Merkel. Cette rencontre au plus haut degré de la diplomatie et la première du genre durant le mandat de Donald Trump est bien le signe qu’il se passe quelque chose de très particulier entre les deux pays, voire entre les deux hommes.
Reste à savoir si la volonté de préserver les intérêts communs des deux pays pourra empêcher les grandes crises qui pourront éventuellement survenir. À en croire, Emmanuel Macron qui l’a juré le 14 juillet dernier en commentant la relation entre la France et les États-Unis : « Rien ne nous séparera jamais ».
L’auteur publiera le 17 mai 2018 : « 1968 : Quand L’Amérique gronde », aux éditions Privat.
Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines et chercheur associé à l’institut Iris., Université Paris 2 Panthéon-Assas
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.