Camille Risi, Sorbonne Université et Sandrine Bony, Sorbonne Université
Les nuages jouent un rôle crucial sur le climat. D’une part, ils refroidissent la Terre, en faisant de l’ombre au rayonnement solaire. D’autre part, les nuages hauts la réchauffent, en contribuant à l’effet de serre. Mais les nuages, de nature très variables et soumis à la circulation atmosphérique, s’avèrent particulièrement difficiles à modéliser.
Voyons ici comment les chercheurs intègrent leurs effets dans l’étude de la machinerie climatique de notre planète.
La nécessité de prévoir le réchauffement
Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’accordent pour estimer que le réchauffement global d’ici 2100 sera d’au moins 2 °C. On sait que les impacts du changement climatique seront d’autant plus forts que le réchauffement global sera marqué, d’où l’importance d’essayer de prévoir celui-ci.
Comment y parvenir ? En réalité, le réchauffement est difficile à prévoir, puisqu’il dépend de la quantité de gaz à effet de serre que les humains vont émettre dans les décennies à venir. En revanche, on peut réaliser des « projections » climatiques pour estimer le réchauffement associé à une augmentation donnée de la concentration en gaz à effet de serre.
Pour cela, on utilise des modèles de climat. Il s’agit de puissants programmes informatiques qui simulent les différentes composantes du système climatique, comme l’atmosphère (dont les nuages), l’océan, les surfaces continentales et les glaces.
Il existe dans le monde une quarantaine de modèles de climat, dont deux français. Ce sont ces modèles qui sont utilisés pour alimenter les rapports du GIEC. Soumis à une hausse de la concentration en CO2, tous ces modèles simulent un réchauffement global du climat. Ce réchauffement constitue donc un résultat très robuste.
En revanche, quantitativement, l’amplitude de ce réchauffement varie du simple au double selon les modèles, typiquement entre 2,5 °C et 4,5 °C pour un doublement de la concentration en CO2.
Le réchauffement simulé par un modèle peut être décomposé en différentes composantes. Il y a d’abord l’effet direct du CO2 : plus sa concentration atmosphérique augmente, plus le rayonnement infrarouge émis par la Terre a du mal à s’échapper vers l’espace, et plus la Terre se réchauffe : c’est l’effet de serre.
Des cercles vicieux qui amplifient l’effet de serre
Mais cet effet direct du CO2 est modulé par des rétroactions climatiques : ce sont des « cercles vicieux » qui amplifient, ou atténuent, le réchauffement lié au CO2. La principale rétroaction est liée à la vapeur d’eau, autre gaz à effet de serre : plus la Terre chauffe, plus son atmosphère se charge en vapeur d’eau. Ainsi, l’effet de serre augmente et la Terre se réchauffe d’autant plus.
Cette rétroaction double quasiment le réchauffement par rapport à l’effet direct du CO2. Sur ce phénomène, les différents modèles se rejoignent.
La deuxième rétroaction la plus importante concerne les nuages. En moyenne sur tous les modèles, celle-ci accroît le réchauffement de 50 % par rapport à l’effet direct du CO2. Mais cette rétroaction affecte le réchauffement entre -1 à +1,5 °C selon les modèles pour un doublement de CO2.
Aussi, la principale source de désaccord entre les modèles de climat sur le réchauffement global relève de cette rétroaction nuageuse.
Les nuages, véritables défis pour les chercheurs
Cette source de désaccord provient de l’échelle avec laquelle les modèles prennent en compte les nuages. En effet, les modèles de climat représentent la circulation de l’atmosphère sur des mailles qui mesurent environ 100 kilomètres. Or beaucoup de nuages ont une taille typiquement inférieure à cette échelle. Par exemple, un petit nuage de beau temps (cumulus) mesure quelques centaines de mètres de longueur, un nuage d’orage (cumulo-nimbus) quelques kilomètres.
Les nuages ne peuvent donc pas être représentés individuellement dans les modèles de climat : on ne peut représenter que l’effet moyen sur chaque maille d’un ensemble de nuages. On prend par exemple en compte un ensemble de panaches ascendants et descendants, la condensation en gouttelettes nuageuses et cristaux de glace, la précipitation, l’évaporation partielle de la pluie quand elle tombe… en moyenne sur chaque maille.
Même si la complexité des processus considérés est impressionnante, des hypothèses simplificatrices restent nécessaires, et comme tous les groupes de modélisation ne choisissent pas les mêmes, tous les modèles ne se comportent pas de la même façon et conduisent à des résultats différents.
L’impact complexe des nuages bas tropicaux
Si l’on décompose la rétroaction nuageuse selon les différents types de nuages, on constate que le désaccord entre les modèles provient majoritairement de la réponse des nuages bas au réchauffement global dans les régions océaniques tropicales : stratocumulus et cumulus d’alizés en particulier.
Leur couverture va-t-elle augmenter ou diminuer avec le réchauffement climatique ? Selon le cas, le réchauffement climatique se trouvera atténué ou amplifié. Mais les modèles de climat ne s’accordent ni sur le signe, ni sur l’amplitude des changements de la couverture des nuages bas…
Concernant les strato-cumulus, ces nuages bas très couvrants qui habitent les régions les plus sèches des océans tropicaux, on pense connaître qualitativement assez bien les mécanismes en jeu. Ainsi, on sait que plus la mer est chaude, plus le brassage vertical de l’air assèche efficacement les basses couches, diminuant la couverture nuageuse et donc amplifiant le réchauffement.
Mais à l’opposé, on s’attend à un affaiblissement de la circulation atmosphérique avec le changement climatique, ce qui conduirait à des couches nuageuses plus épaisses, et donc atténuerait le réchauffement. Comme ces mécanismes se compensent et ne sont pas parfaitement quantifiés, l’incertitude sur le sens et l’amplitude des changements persiste.
Des questions demeurent ouvertes
Concernant les cumulus d’alizés, les mécanismes sont moins bien connus. Ces nuages petits et peu couvrants habitent la majeure partie des océans tropicaux, constituant ainsi la « majorité silencieuse » des nuages. Dans les modèles de climat, le brassage vertical de l’air module fortement la couverture nuageuse à la base des nuages.
Mais les modèles haute résolution, les observations et les considérations théoriques sont en désaccord avec ce résultat.
Cela jette-t-il le doute sur les rétroactions nuageuses simulées par les modèles de climat ? Par ailleurs, quel est l’impact de la légère pluie qui accompagne souvent les cumulus d’alizés ? Enfin, ces types de cumulus peuvent s’organiser pour former différents motifs. Leur comportement et leur réponse au réchauffement climatique, dépend-il du type d’organisation ? Ce sont des questions complètement ouvertes.
Comment progresser sur ces questions ? Pour mieux comprendre les processus en jeu, des campagnes de terrain sont organisées pour observer les propriétés nuageuses et les conditions atmosphériques associées, de manière de plus en plus détaillée. Par exemple, la campagne EUREC4A qui se déroulera en 2020 près de la Barbade réunira deux avions, plusieurs bateaux de recherche et des instruments de télédétection innovants pour mesurer les propriétés des cumulus d’alizés, l’organisation de ces nuages et les conditions atmosphériques associées.
Les observations satellitaires documentent maintenant la structure tri-dimensionnelle des nuages et, depuis peu, les vents. Des simulations à très haute résolution (quelques dizaines de mètres voir de centimètres) sur des domaines limités permettent d’étudier en détail les processus en jeu.
Il s’agit enfin de tirer profit de ces avancées pour mieux représenter les processus nuageux dans les modèles de climat, avec l’espoir de réduire un jour l’incertitude sur l’amplitude du changement climatique à venir.
Camille Risi, Chercheuse CNRS en météorologie dynamique – LMD Sorbonne Université, Sorbonne Université et Sandrine Bony, Directrice de recherche CNRS au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.