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Débat public à Bure, la marge de manœuvre s’annonce réduite pour les citoyens

Schéma du site d'enfouissement-des-déchets-nucléaires-à-Bure
Schéma du site d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure

Vincent Carlino, Université de Lorraine

Mi-septembre, le gouvernement a confirmé l’organisation en décembre de la concertation pour Cigéo, ce projet de centre industriel de stockage géologique de déchets nucléaires, situé à Bure dans le département de la Meuse.

Cette concertation prendra la forme d’un « débat public » organisé par la Commission nationale du débat public. Ce nouvel échange viendra s’ajouter à deux autres organisés précédemment. Tout ou presque semble avoir été dit sur Bure et pourtant il reste matière à débattre. Car loin d’avoir réglé les discussions, les débats précédents les ont ouvertes. Celui de 2013 aura même été le théâtre d’une forte critique sociale.

La concertation proposée aujourd’hui se fonde sur un discours valorisant la transparence et l’information du public. Il s’inscrit dans plus d’une décennie de rhétorique gouvernementale autour du très controversé projet d’enfouissement des déchets radioactifs.

Un débat public dès 2006

Le débat public de décembre à Bure sera donc le troisième à porter sur la gestion des déchets nucléaires. Ceci tient au fait que Cigéo n’est pas un projet comme les autres : l’énergie nucléaire soulève des questions techniques et environnementales qui dépassent celles des plans d’aménagement. Et la longue durée de vie de ces déchets implique de prendre des décisions qui auront des conséquences sur plusieurs générations.

C’est pourquoi Cigéo a mis à l’épreuve la procédure de débat public dès 2006, en devenant le premier à porter sur une question de politique générale. Cette procédure s’est poursuivie par l’adoption d’une loi faisant le choix du stockage réversible profond pour la gestion des déchets nucléaires.

En 2013, les citoyens sont à nouveau invités à débattre. Les discussions portent alors sur les modalités de réalisation du projet Cigéo, porté par son « maître d’ouvrage », l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Cette deuxième édition est restée dans les mémoires : la contestation sociale qu’elle a provoquée fut sans précédent, contraignant les réunions publiques à migrer sur le web.

Un contexte particulièrement tendu

Les discussions de décembre vont s’inscrire dans cette histoire déjà riche et mouvementée. Elles interviennent dans une période de fortes tensions qui s’est soldée par l’évacuation en février dernier des opposants rassemblés dans le bois Lejuc.

Ce contexte particulier n’est pas étranger au changement de méthode impulsé par le gouvernement et qui s’appuie sur l’Autorité du comité de haut niveau (CHN) dont les membres comptent des représentants de l’État, des élus locaux, l’Andra et les producteurs de déchets nucléaires (EDF, Orano et le CEA).

Le CHN orchestre ainsi la nouvelle phase de contestation autour de deux dispositifs : un débat public portant sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) ; un centre de ressources en ligne hébergé par le ministère de la Transition écologique et solidaire.

Un changement d’énonciation

L’objectif de toute concertation est d’informer les populations sur le projet discuté. La mission première de la CNDP est de « veiller au respect de bonnes conditions d’information du public ». Le gouvernement assume désormais cet impératif en lançant le portail d’informations cigeo.gouv.fr.

Informer la population semble être un préalable indispensable à tout débat, pour disposer d’un minimum de connaissances avant d’entrer de plain-pied dans la discussion. Sachant, comme le soulignent les sciences de l’information et de la communication, que toute information est le produit de choix délibérés. Ce qui ne la rend pas fausse pour autant : elle véhicule une série de représentations.

Les éléments disponibles sur le centre de ressources en ligne tiennent compte de cette situation. Un premier espace invite ainsi le visiteur à « tout comprendre », à l’aide de chiffres et de schémas, postule qu’il existe un déficit de connaissance chez le public. Le second propose « d’explorer la base documentaire », renforçant l’idée que le projet est déjà lancé puisqu’il comporte presque une centaine d’archives législatives, scientifiques et techniques.

Site d’informations du gouvernement sur Cigéo.
CC BY-NC-ND

Ce portail d’informations opère une rupture sur le plan de l’énonciation. Encore récemment, c’est l’Andra qui diffusait les informations sur le projet Cigéo : son calendrier, son budget, ses risques, etc. Désormais, c’est le plus haut niveau de la représentation politique qui s’exprime. L’Andra n’est plus seule à endosser la responsabilité du stockage des déchets nucléaires. Le gouvernement explique pourquoi la France s’est engagée dans le projet, quelle sera la durée de vie du site, ou encore son impact sur la santé des habitants et l’agriculture locale.

Cette rupture peut s’expliquer par la volonté de rendre visible le projet Cigéo dans le débat plutôt que le laboratoire de l’Andra construit en 2000. Dans le discours gouvernemental, Cigéo devient une quasi-certitude. Il s’agit de « lever les interrogations légitimes » ou encore de « rassembler » des documents pour que le projet puisse se réaliser.

Un débat verrouillé

C’est en livrant une information complète au citoyen que celui-ci pourra débattre. Tel est le postulat des concepteurs de la concertation qui ont recours à la rhétorique de la transparence.

Mais le débat semble verrouillé avant même d’avoir eu lieu. Les pouvoirs publics envisagent la concertation comme un rendez-vous démocratique dans le calendrier de Cigéo. Les associations écologistes, quant à elles, dénoncent l’impossible remise en cause du projet.

Cette focalisation du débat public sur les conditions de réalisation du stockage est susceptible de créer à nouveau de vives tensions.

La première option qui s’offre aux citoyens consiste à prendre part au débat public, dont on sait désormais qu’il constitue une arène dotée de règles auxquelles doivent souscrire les participants.

L’option alternative conduit les citoyens à mener l’enquête sur les points qui leur posent problème au sein d’associations. De cette manière, ils constituent un contre-public dont l’action est susceptible d’influencer la concertation « de l’extérieur ». Ce mode d’action est susceptible de provoquer de vives tensions, comme en 2013 lorsque des associations avaient boycotté le débat de la CNDP pour le faire vivre dans d’autres lieux.

Décider avec ou contre l’État

La concertation vise également à éclairer la prise de décision politique.

Le cap fixé par le gouvernement est clair : Cigéo a besoin d’un « pilotage national » qui puisse « garantir l’acceptabilité » du projet.

Le citoyen sera appelé à s’exprimer sur le Plan national des matières et déchets radioactifs, pas supplémentaire vers la réalisation de Cigéo. S’il habite Bure et ses environs, son élu local sera entendu par le CHN. Enfin, s’il souhaite en savoir plus, le portail en ligne du ministère lui apportera des éléments de réponse.

Ce dispositif de concertation semble bien huilé, allant du plus haut niveau de la représentation nationale jusqu’à ceux qui ne connaissent pas le projet, en passant par les citoyens qui souhaitent y prendre une part active.

Une incertitude demeure toutefois : quid de ceux qui ne veulent pas s’y soumettre ? Ceux-là doivent bâtir leurs propres moyens d’expression et de communication. S’ils s’opposent farouchement à ce cap, ils alimentent un conflit auquel la représentation nationale semble préparée. Ceux qui se situent en marge de la concertation la radicalisent au sens propre du terme (« ce qui tient à la racine »). Leur combat ne sera alors plus seulement dirigé contre Cigéo mais contre le capitalisme. Celui de l’État ne se limitera pas à bâtir une concertation, mais à garantir une certaine vision de l’ordre républicain, y compris par la force publique.The Conversation

Vincent Carlino, Doctorant en sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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