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Langues étrangères : les résultats décevants des élèves français

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Le Le nombre d’années et d’heures d’enseignement hebdomadaire d’une langue sont essentielles à un apprentissage de qualité.
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Agnès Leroux, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

On se lamente souvent sur le niveau des jeunes Français en langues étrangères. Qu’en est-il réellement ? C’est la question que s’est posé le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) lors de sa conférence de consensus sur l’apprentissage des langues, organisée en mars 2019, et dont la synthèse et les recommandations viennent d’être publiées ce jeudi 11 avril.

Lors de cette conférence, Pascale Manoïlov a présenté un bilan des performances des élèves français du CM2 à la terminale, en s’appuyant sur les résultats du bac et les évaluations nationales menées tous les six ans en anglais, allemand et espagnol (CEDRE). De quoi remettre en perspective l’évolution de ces enseignements depuis 2005, date à laquelle les programmes se sont adossés au Cadre européen commun de référence sur les langues (CECRL).

Progrès en CM2

En primaire, les résultats attestent d’une progression globale en anglais et en allemand dans les quatre compétences de base. La progression est faible, mais positive, en compréhension et expression à l’écrit. A l’oral, elle est plus importante en compréhension. Évalué pour la première fois en 2016, le niveau d’expression orale est satisfaisant.

Il s’avère que les élèves de CM2 ne rechignent pas à prendre la parole, ce qui est positif. Néanmoins, même s’ils sont compréhensibles, les énoncés qu’ils produisent ne respectent pas toujours la norme linguistique de la langue étrangère, et les pourcentages de réussite grammaticale sont en-deçà de ceux de la réussite globale des activités proposées. Seul un élève sur deux maîtrise la syntaxe des questions et phrases simples, d’après l’évaluation de 2016.

Toutes compétences confondues, les filles ont des résultats supérieurs de dix points à ceux des garçons en anglais, et de cinq points en allemand.

Le nombre d’élèves qui a commencé l’apprentissage d’une langue étrangère au primaire augmente régulièrement, et la progression des compétences en CM2 se répercute sur le niveau au collège, comme le montrent les évaluations effectuées en troisième. On constate une réelle amélioration des performances en compréhension de l’écrit dans les trois langues de 2004 à 2010 puis 2016, et en compréhension de l’oral en anglais.

Malgré cette progression, les résultats en réception des élèves français restent globalement décevants. Ils posent la question de la possibilité d’améliorer les connaissances linguistiques, permettant la reconnaissance puis l’accès au sens, dans une approche qui subordonne l’acquisition syntaxique, lexicale et phonologique à la scénarisation et au projet collectif (approche à visée actionnelle), à raison de trois heures hebdomadaires.

Manque d’expression orale

Au collège, en rédaction et en expression orale, les résultats sont légèrement meilleurs en 2016 qu’en 2010 en espagnol et en allemand, et moins bons en anglais à l’écrit. A l’oral, les graphiques comme les études quantitatives et qualitatives des productions, montrent une forte corrélation entre compétence linguistique (grammaticale, lexicale et phonologique) et compétence pragmatique et langagière. Voilà qui pose la question de l’approche actionnelle (où l’usage de la langue n’est pas dissocié des actions accomplies par celui qui est à la fois locuteur et acteur social), prônée par le CECRL, en regard du nombre d’heures d’enseignement.

En Finlande, où les études effectuées montrent de meilleurs résultats tant à l’écrit qu’à l’oral, un accent particulier est mis sur l’apprentissage du lexique, élément de savoir linguistique, et sur l’évaluation en interaction.

Malgré tout, les productions témoignent d’un manque de pratique de l’oral, ce qui est une régression par rapport au constat effectué en fin de primaire. Pascale Manoïlov suggère que le format de l’évaluation CEDRE – soit une prise de parole en continu, assez éloignée de ce qui est pratiqué en classe, où l’interaction doit être privilégiée – pourrait expliquer le faible niveau des performances en regard des années d’apprentissage.

A l’oral, 75 % des élèves ne sont pas capables de s’exprimer dans une langue globalement correcte en anglais, contre 73 % en espagnol et 62 % en allemand.

Grilles de compétences

La continuité de l’analyse de la progression des élèves français en langue étrangère devient difficile en terminale. En effet, la correspondance avec les niveaux du CECRL, malgré l’adossement des Instructions Officielles à celui-ci depuis 2005, semble aléatoire et relative aux conditions d’évaluation, notamment pour l’oral qui se passe en établissements.

Les critères, proposés dans les grilles d’évaluation pour le baccalauréat, laissent penser qu’un niveau B2 correspondrait à une note d’au moins 18 sur 20, un niveau B1 à une note de 16, et un niveau A2 à une note de 10. Au regard des notes, il semble que le niveau B2 n’est pas atteint dans la première langue vivante étudiée par les élèves (le plus souvent anglais), ni le niveau B1 dans la deuxième langue vivante (le plus souvent allemand ou espagnol).

Certaines analyses plus fines ont cependant été possibles sur l’ensemble des sections générales et les sections technologiques STMG et hôtellerie.

Il apparaît que les résultats en anglais sont moins bons que dans les autres langues, peut-être parce que certaines des langues rares ou régionales sont choisies par des élèves qui les parlent dans le contexte familial, mais aussi parce que l’allemand est le choix d’élèves issus de milieux favorisés et que l’espagnol est une langue romane, proche du français.

On peut néanmoins difficilement comparer les langues entre elles, les pratiques et les publics étant souvent différents. Globalement, les résultats au baccalauréat sont meilleurs à l’oral qu’à l’écrit, et ce quelle que soit la langue observée, et les élèves sont plus performants en expression qu’en compréhension.

Un cadre trop académique

Malgré tout, comme pour l’évaluation effectuée en fin de troisième, l’évaluation orale qui se fait sous forme de prise de parole en continu à partir d’une des quatre notions culturelles au programme, est très éloignée d’une situation réelle de prise de parole. Elle donne certainement lieu à une préparation importante en amont, si ce n’est à l’apprentissage par cœur d’un texte préparé avec l’aide de l’entourage. Ce type d’évaluation favoriserait encore une fois les élèves issus de milieux à catégorie socio-professionnelle supérieure.

Cette critique trouve un écho dans l’évaluation de l’interaction verbale qui prend la forme d’une interrogation orale entre enseignant et apprenant, reproduisant une situation classique où excellent les élèves bien intégrés socialement. Il semblerait que l’adossement des Instructions Officielles françaises au CECRL ait trouvé sa limite dans l’académisme de l’évaluation nationale du baccalauréat.

Finalement, il ressort de cette synthèse une impression d’immobilisme du système scolaire français, qui tente de se renouveler et de donner un nouveau dynamisme à l’enseignement des langues étrangères, tout en n’arrivant pas à se débarrasser d’un cadre très académique et d’une longue tradition d’évaluation normative dans laquelle l’enseignant tient le premier rôle.

Ce cadre figé et lourd pèse sur l’apprentissage des langues étrangères en France et contrevient à la mission première de l’Éducation Nationale, en ce qu’il empêche de dépasser les différences sociales originelles entre les élèves. D’autre part, à une époque où l’égalité des genres est un enjeu majeur de société, il est impossible de se réjouir que les garçons obtiennent des résultats constamment inférieurs à ceux des filles d’au moins trois points.

Faut-il s’étonner de ces résultats issus d’un système où l’élève reçoit un enseignement de trois heures par semaine à partir de la classe de cinquième puis de deux heures, s’il ne choisit pas une option « langue étrangère », à partir de la classe de première ? En effet, des évaluations internationales ont déjà montré dans les années 1970 que le nombre d’années et d’heures d’enseignement hebdomadaire d’une langue étaient des conditions essentielles à un apprentissage de qualité.The Conversation

Agnès Leroux, Maître de conférences habilitée à diriger des recherches en linguistique contrastive anglais-français et didactique des langues étrangères, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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