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De la fin des quotas de la PAC à aujourd’hui, 20 ans de politiques agricoles en échec

Épandage de pesticides dans les Yvelines, en France. © Nicolas Duprey CD 78, CC BY-NC-SA
Épandage de pesticides dans les Yvelines, en France.
© Nicolas Duprey CD 78, CC BY-NC-SA

Xavier Hollandts, Kedge Business School

Les images ont tourné en boucle. Les agriculteurs ont quitté leur ferme pour bloquer des routes, des ronds-points, contrôler des camions frigorifiques ou converger vers Bruxelles ou Paris et le marché international de Rungis où des intrusions ont donné lieu, mercredi 31 janvier, à 79 placements en garde à vue. Les annonces jeudi du Premier ministre Gabriel Attal ont conduit la FNSEA et les Jeunes agriculteurs à appeler à suspendre le mouvement.

Une énième crise agricole ? Une version moderne des jacqueries d’antan ? Peut-être pas. La colère du monde agricole s’exprime certes par résurgences, au gré de l’évolution des prix ou des catastrophes naturelles ou climatiques. Mais les observateurs du secteur remarquent que cette crise diffère des précédentes pour au moins deux raisons.

D’une part, on a relevé une convergence assez inhabituelle de tous les syndicats agricoles sur le terrain, avec des revendications proches si ce n’est communes. Et pour la première fois dans l’histoire, la manifestation devient « coordonnée » au niveau européen puisque presque tous les pays ont connu au même moment des mouvements sociaux liés au monde agricole. Auparavant, ceux-ci étaient souvent locaux et ne concernaient parfois qu’une filière (le lait, la viande) : jusqu’à présent aucune crise agricole n’avait connu une telle cohésion.

Une lecture rapide pourrait nous faire croire que les crises agricoles se succèdent les unes aux autres avec une fréquence variable. Il n’en est rien. Le monde agricole est en crise permanente depuis 20 ans. Et le point de départ de cette crise constante de l’agriculture correspond au démantèlement progressif de la Politique agricole commune (PAC) originelle. Celle-ci date de 1962 et était prévue dans le traité de Rome de mars 1957 qui fondait la Communauté économique européenne (CEE). Elle avait la particularité d’être « réellement » commune et surtout d’offrir des outils de pilotage et des filets de sécurité aux producteurs.

Moins de garanties face aux aléas

Les objectifs initiaux de cette politique européenne étaient ambitieux : augmentation de la compétitivité, sécurité des approvisionnements, stabilisation des marchés et revenus décents pour les paysans. Elle était commune car elle disposait d’outils de régulation au niveau européen qui permettaient aux États membres de la CEE de penser leur politique agricole au niveau national mais également à une échelle supranationale.

La régulation du marché constituait le premier pilier de la PAC. Des quotas annuels étaient ainsi définis au niveau européen et ventilés ensuite par pays puis par exploitation agricole. Ces mécanismes offraient aux paysans une certaine visibilité et une relative stabilité des prix, chose plutôt rassurante pour une activité en proie aux aléas climatiques et aux maladies. Cette régulation européenne qui consistait à encadrer volumes de production et indirectement les prix a toutefois peu à peu été démantelée et les quotas ont officiellement disparu en 2015. Le second pilier relatif à l’orientation de la politique agricole permet d’aider au développement rural et parfois d’infléchir les productions. Ce second pilier (qui ne représente qu’un quart du budget de la PAC) s’appuie sur des aides et des subventions.

Les dernières filières à avoir été régies par les quotas furent le lait et le sucre alors que les filières fruits et légumes les abandonnèrent beaucoup plus tôt. La PAC s’est alors trouvée privée d’un levier puissant. L’Europe s’étant engagée dans une approche désormais plus libérale, a, en effet, privilégié une approche plus ouverte et dérégulatrice qui s’est soldée pour nombre d’observateurs par plus de volatilité sur les marchés de matières premières agricoles.

Les marchés agricoles européens ont ainsi été plutôt fragilisés, d’autant que l’absence de régulation au niveau européen (notamment des volumes) a conduit à une concurrence intraeuropéenne, parfois délétère. Les agriculteurs, mis en concurrence les uns avec les autres, quand ils savaient auparavant qui produirait quel volume et pour quelle rémunération, n’ont pas pu compenser l’érosion des prix et ont retrouvé plus d’aléas dans leurs revenus. Concrètement, le lait irlandais s’est trouvé en concurrence directe avec le lait danois, belge ou français. Cela a conduit les grandes coopératives et industriels à s’engager, comme nous l’observons dans nos travaux, dans une course à la taille afin de préempter des marchés et prendre des positions.

Conséquence directe, certaines filières ont connu des crises de surproduction, se traduisant par un effondrement des prix. Par ailleurs, comme l’Europe n’admet plus la constitution de stocks stratégiques (même si leur intérêt a été démontré pendant la crise Covid). Les marchés se trouvent sans mécanismes jouant le rôle de tampon ou d’amortisseur comme cela existait par le passé.

Obliger de négocier (en position défavorable)

La déstabilisation du marché se répercute sur l’ensemble des maillons de la chaine agricole : chaque acteur va stratégiquement avoir intérêt à se couvrir en déportant une partie de son problème et des risques inhérents au secteur sur un autre acteur. Ceci explique pour partie pourquoi les négociations commerciales à l’intérieur des filières agricoles sont souvent tendues, chacun essayant de préserver sa marge au détriment de quelqu’un d’autre.

Le centre de gravité de la régulation des marchés s’est ainsi déplacé de l’Europe et de ses outils communs vers les marchés nationaux et internationaux, en laissant libre cours à des rapports de force déséquilibrés. À titre d’exemple, un exploitant laitier réalisant un million de litres va générer pour son exploitation 400 à 500 000 euros de revenus. En face de lui, il va devoir « négocier » avec par exemple Lactalis qui pèse 25 milliards d’euros et qui lui-même négocie par exemple avec le groupement Leclerc, qui lui représente 45 milliards d’euros. Autant dire que le rapport de force est clairement en faveur de l’aval des filières (la transformation et la distribution) et que les paysans n’ont en réalité aucun pouvoir pour négocier ou peser dans les discussions.

Des réponses insuffisantes

Face à ce rapport de forces inégal, l’Europe comme la France ont tenté d’apporter des réponses. La première réponse fut assez mécanique et a consisté à massifier l’amont en permettant le regroupement de producteurs afin qu’ils pèsent davantage. Des organisations de producteurs se sont constitués mais doivent affronter l’hostilité d’une partie des industriels notamment.

La seconde réponse visait à sécuriser la couverture des coûts (plus que le revenu) des agriculteurs par les distributeurs au travers de la série de lois Egalim (depuis 2019). Ces lois comportent un concept (le seuil de revente à perte) qui est censé garantir un prix plancher aux agriculteurs afin qu’ils ne perdent pas d’argent. Mais force est de constater qu’une partie des acteurs cherchent avant tout à contourner ces lois afin de maintenir leur position dans les négociations et d’être en mesure de préserver leurs marges.

Ainsi, une partie de la réponse au malaise paysan semble se trouver à mi-chemin entre l’Europe qui doit retrouver une capacité de régulation, voire d’intervention, beaucoup plus forte et au sein des États qui doivent arriver à rééquilibrer même artificiellement les pouvoirs de négociation entre les acteurs des différentes filières agricoles.The Conversation

Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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