Jean-Robert Pitte, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités
Il est devenu aujourd’hui presque impossible de tenir des propos raisonnablement optimistes sur l’évolution actuelle du climat. En dehors des questions touchant à l’ampleur et aux causes des phénomènes constatés, ainsi qu’aux éventuels moyens à mettre en œuvre pour les contrer, évoquons simplement leurs effets.
Sont-ils nécessairement négatifs, voire dramatiques, comme les médias et, désormais, les décideurs politiques le martèlent en permanence, reprenant en chœur les propos d’un certain nombre de savants relevant en général des sciences de la matière ?
Les géographes, les archéologues, les historiens, les agronomes et les biologistes sont, quant à eux, beaucoup plus nuancés dans leurs analyses et leurs pronostics d’avenir car ils savent prendre en compte les immenses capacités de résilience et d’imagination des sociétés humaines et, au-delà, de la vie en général à travers le temps long et la diversité des environnements de la planète.
Des progrès viticoles continus
La viticulture est une activité agricole, non pas liée à une nécessité vitale, mais à une dilection et à l’expression d’une identité culturelle. Elle a su s’adapter aux divers changements climatiques qui sont intervenus depuis 8 000 ans, là où Vitis vinifera a été domestiquée puis propagée. Ce faisant, elle n’a jamais cessé d’accomplir des progrès dans ses méthodes et donc dans la qualité des vins. Le petit âge glaciaire (XVe-XIXe siècles) en est une bonne illustration.
L’Europe du Nord avait appris à cultiver la vigne en se convertissant au christianisme sous des cieux cléments. Le refroidissement du climat la contraint à cesser cette activité de plus en plus aléatoire et à s’approvisionner au sud du continent pour satisfaire aux nécessités du culte et au goût du bon vin devenu une part essentielle de l’art de vivre des milieux raffinés. C’est l’origine des beaux vignobles littoraux atlantiques (Saintonge où le vin est distillé en cognac, Bordelais, Alto Douro en amont de Porto, Jerez, Madère, Constantia, etc.) ou méditerranéens (Malaga, Marsala, Chypre, etc.).
La fragilité des vins soumis à de longs transports maritimes stimule les imaginations. C’est ainsi que les Hollandais inventent la mèche de soufre dont la consommation stérilise les barriques, les Anglais le mutage à l’eau-de-vie qui stabilise les vins comportant un abondant sucre résiduel après fermentation, les Flamands et les Anglais les bouteilles de verre noir épais fondus dans des fours chauffés au charbon. Elles permettent de fractionner le contenu des tonneaux et le vieillissement prolongé, pourvu qu’elles soient obturées de ces bouchons de liège, un matériau naturel que les Anglais découvrent au Portugal.
Dans les vignobles les plus septentrionaux qui parviennent à se maintenir, le froid rend difficile la maturation du raisin chaque année. Les vins qui en sont issus sont souvent d’une rebutante acidité ; de plus, leur fin de fermentation se bloque avec l’arrivée des premiers frimas, repartant au printemps suivant. Ces deux défauts sont à l’origine de la prise de mousse du champagne, imaginée par les Anglais, qui ajoutent au vin très vert qui leur parvient du sucre de canne arrivé des Caraïbes et l’enferment dans des bouteilles bien bouchées dans lesquelles la deuxième fermentation crée un fort dégagement de gaz carbonique.
Raisins grillés
Depuis quelque temps, nous vivons le contraire. Le réchauffement – entrecoupé de caprices climatiques comme les gels tardifs du printemps 2016 sur toute l’Europe qui ont dévasté bien des vignobles – a des effets déroutants.
Les raisins issus de certains cépages à la peau fine grillent au soleil car, jusqu’à maintenant, le feuillage était éclairci pour qu’ils soient mieux exposés. Tous les raisins mûrissent en général plus tôt et il ne faut pas trop retarder les vendanges afin de ne pas manquer d’acidité et ne pas obtenir des vins lourds, alcooleux, sans relief et de courte garde.
On constate cette dérive non seulement dans les régions méridionales, mais aussi très au nord, comme en Alsace, par exemple. Certains étés très chaud, le stress hydrique est trop brutal et de nombreuses grappes sèchent sur pied avant de mûrir.
De nouvelles méthodes émergent
Il convient donc d’imaginer de nouvelles méthodes, un processus qui est largement en cours. Tout d’abord, certains terroirs trop ensoleillés – les plaines du sud, les versants exposés au midi – devront être abandonnés au profit de plantations d’altitude (hautes vallées de la Napa, de la Sonoma, du rebord des Cévennes ou du Priorat, Golan ou Judée en Israël, par exemple) ou exposées au nord (Ventoux, Luberon, Alpilles, Corbières, etc.). Et peut-être faudra-t-il s’y résoudre un jour dans des régions situées plus au nord (Valais, Condrieu, Côtes-du-Rhône septentrionaux, Beaujolais, voire Bourgogne).
Les jeunes plantations devront être irriguées afin de survivre, mais avec précaution et quelques années seulement pour que leur enracinement s’approfondisse.
Le choix des sols et leur travail devra naturellement être adaptés avec soin. L’enherbement total ou partiel des parcelles pourra se révéler un bon moyen de lutter contre un excès d’évaporation sur certains types de sols. La conduite des vignes, en particulier la taille et le rognage, devra être modifiée afin que la maturation s’effectue avec régularité. L’encépagement ne peut être considéré comme une donnée intouchable.
Cap au nord
Une remontée vers le nord pourra être bénéfique. Des essais de marsanne et de syrah en Beaujolais donnent aujourd’hui des résultats encourageants et, une fois ceux-ci consolidés, sans doute faudra-t-il faire évoluer la législation des appellations d’origines protégées. La vinification en rouge du pinot noir en Champagne pourra sans doute donner de très bons vins, comme c’est le cas aujourd’hui dans l’Oregon, l’Allemagne du Sud, l’Autriche ou la République tchèque.
Dans l’île japonaise de Hokkaido à l’hiver sibérien, on ne plantait jusqu’alors que de médiocres hybrides, mais aujourd’hui les cépages blancs rhénans cultivés par des vignerons éclairés commencent à donner des vins d’une grande finesse. L’Angleterre se couvre de nouveau de vignobles et les premiers bons vins sont apparus. Un signe ne trompe pas : la reine Élisabeth a fait planter 16 000 ceps de pinot noir, pinot meunier et chardonnay sur son domaine de Windsor afin d’y produire son propre vin effervescent. La Champagne qui fournissait jusqu’alors à la cour le vin des toasts n’a qu’à bien se tenir !
Bref, rien n’est perdu, aucun drame ne surviendra pour les bons viticulteurs et pour les amateurs de vin si le réchauffement du climat se poursuit. Avant que le Groenland ne soit en situation d’être planté, beaucoup d’eau coulera sous les ponts et, surtout, on ne manquera pas de vin ! D’ailleurs, jamais au cours de la longue histoire de la viticulture, on n’a produit autant de bons vins de terroir sous toutes les latitudes.
Jean-Robert Pitte, Professeur émérite en géographie, ancien président de l’Université Paris-Sorbonne, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.