Jacques-Olivier Pesme, Kedge Business School
En valeur, la France est le premier producteur de vin depuis des années, et ses entreprises – domaines, châteaux ou négociants – savent opportunément marier qualité et diversité. On pense évidemment aux champagnes, nec plus ultra des effervescents, mais aussi aux grands vins de Bordeaux et de Bourgogne, puis, plus récemment, aux rosés de Provence. D’ailleurs, ce sont les vins de l’Hexagone qui sont exportés vers le plus grand nombre de pays et, de façon générale, tout nouvel importateur commence par « lister » ces vins français avant de s’intéresser à d’autres productions étrangères.
À l’heure de choisir sa formation, un étudiant international qui souhaite faire carrière dans le secteur accordera-t-il la même priorité aux écoles françaises ? Au-delà d’un vaste panel de cursus, celles-ci bénéficient en tout cas d’un ancrage culturel et patrimonial incomparable, dont voici un aperçu.
Un panel de formations complet
Se déclinant dans différentes régions comme dans différentes disciplines, de l’œnologie aux sciences sociales, la filière française de formation au secteur du vin est d’une richesse unique. Elle s’est en effet considérablement étoffée ces dernières années. À partir des premières écoles d’œnologie créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce sont d’abord les formations autour de la production qui ont pris de l’ampleur dans les années 1980 et 1990. Ces formations restent alors des viatiques destinés aux passionnés d’une filière avant tout agricole. Les années 2000 vont marquer un premier tournant décisif dans cette évolution. L’offre se structure, les diplômes de l’enseignement supérieur spécialisés se multiplient et les principales régions viticoles, Alsace, Bordeaux, Bourgogne, Languedoc, Loire, Rhône disposent d’un nouvel éventail de formations en viticulture comme en droit, commercialisation ou marketing du vin.
Et dans les autres pays producteurs ? Dans les deux pays de l’Ancien Monde avec lesquels la France partage le podium, l’Italie et l’Espagne, l’enseignement supérieur décline aussi tout un ensemble de formations, de la qualification technique au doctorat. Mais elles se concentrent en majorité autour de l’œnologie ou de la viticulture, sauf dans quelques cas, comme les masters « Food & Beverage » des universités italiennes de Bocconi et de Bologne, adoptant une approche business.
Chez les compétiteurs du « Nouveau Monde », qui ont bousculé l’offre en adoptant une approche très orientée « marché » au cours des années 1990, si on trouve des diplômes autour de la filière viti-vinicole dans des Business School solides, à Adélaïde (Australie), Le Cap (Stellenbosch, Afrique du Sud) ou encore en Californie (Davies, États-Unis). Dynamiques, elles favorisent une approche disciplinaire autour du développement des marques sur lequel ces pays ont bâti leur succès. Y étudier permet de profiter de l’expérience offerte par ces grands campus anglo-saxons et de leur notoriété, notamment sur leur bassin économique. Pour autant, en dépit d’un réel savoir-faire académique, aucune d’entre elles ne bénéficie de la diversité de territoires et d’acteurs qui constituent notre écosystème national et multiplient les contextes d’apprentissage.
Un environnement culturel de choix
L’univers du vin est un univers d’expérience. Repris par les wineries des États-Unis et d’Australie, les fondements de l’oenotourisme sont français. À dose comptée certes, l’art de la table et celui de recevoir font partie de la réussite des grands noms de châteaux devenus aujourd’hui des marques iconiques. Ces grandes marques, demandées sur les cinq continents, sont de loin les plus nombreuses en France. Pour comprendre ces domaines volontairement protégés afin de préserver la symbolique du nectar, il est essentiel de venir sur place et de respecter leurs usages. Découvrir les formidables galeries souterraines champenoises ou les conditions naturelles parfaites des caveaux pierreux bordelais permet de mieux appréhender le vin.
L’influence de la culture française sur la filière viti-vinicole demeure essentielle. Si, le marché se mondialisant, le champ lexical de la dégustation se décline de plus en plus souvent en anglais, il emprunte beaucoup de mots français : « finesse », « balance », « bouquet »… Partout dans le monde, on trouve des bouteilles de vins s’inspirant de la bordelaise, de la bourguignonne, ou encore de la flûte d’Alsace… Enfin, plus important encore, les cépages les plus plantés, sous des latitudes septentrionales comme méridionales, sont des cépages français – merlot, chardonnay, cabernet, pinot… Même le malbec qui fait le bonheur des bodegas argentines est en réalité un cépage français.
Un investissement à consentir
Fort de ces observations, il est objectif de considérer que la France possède bien un avantage concurrentiel dans l’univers de la formation viticole et vinicole, d’autant qu’il se double d’un avantage comparatif, grâce à la richesse de ses terroirs. Naturellement les écoles de commerce peuvent en tirer bénéfice pour leur rayonnement. Elles qui se cherchent des déterminants distinctifs pour revendiquer un leadership international et, dans l’idéal, difficilement reproductible, peuvent trouver là un véritable levier. Attention cependant car, comme le bon vin, se positionner sur ce marché ne s’improvise pas et repose sur des préalables.
Il faut une ambition réelle et distincte car l’approche sectorielle implique pour les établissements une approche pédagogique singulière qu’il n’est pas évident d’harmoniser avec d’autres programmes. Le monde du vin, plus que des spiritueux, possède des codes, des usages, des méthodes qui ne s’inventent pas et qu’il faut transmettre. Depuis une vingtaine d’années, la communauté scientifique enrichit efficacement les savoirs en sciences sociales de ce secteur d’activité. Or, un bon professeur doit aussi savoir expliquer les rouages de cette filière et rester proche des hommes et des femmes – toujours plus nombreuses – qui la composent.
Les coûts d’entrée et d’opération sont élevés car il s’agit d’une pédagogie de lien social et de terrain. Sorties sur site, approche géographique, lien avec la filière, participation à des évènements font partie de la scolarité et induisent des frais. Mais le prix de l’apprentissage est celui-ci, car n’oublions pas que le contexte hexagonal est unique et que bien de nos concurrents internationaux nous envient ces pratiques culturelles ancestrales.
Jacques-Olivier Pesme, Director of the Wine & Spirits Academy, Kedge Business School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.