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Mercure, Einstein, et la relativité générale (2)

Hervé Dole, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

Capture.JPG enseteinComme nous vous l’avons raconté vendredi, la planète Mercure passera, vu de la Terre, juste devant le Soleil ce lundi 9 mai. Tout l’après-midi durant, lentement, la petite planète apparaîtra comme un point noir traversant la surface du Soleil. Vous savez, grâce à notre premier article, ce qu’il faut faire pour admirer Mercure. Et si vous en profitiez pour arpenter, avec nous, les distances du système solaire ?

Ce spectacle, lent et rapide à la fois, est l’occasion de regarder se mouvoir un astre du système solaire rarement visible sous nos latitudes, la planète Mercure, et surtout de percevoir ce que l’on appelle son mouvement de révolution.

Révolution rapide

De quoi s’agit-il ? Chaque planète tourne autour du Soleil, dans un mouvement elliptique appelé la révolution. Dans le cas de la Terre, c’est la période de ce mouvement, c’est-à-dire la durée d’un tour complet, qui définit une année. Dans le cas de Mercure cela va plus vite. La Terre se déplace sur son orbite autour du Soleil à une vitesse d’environ 30 kilomètres par seconde, et Mercure, plus proche du Soleil donc plus rapide, à environ 47 km/s.

Ces vitesses paraissent énormes selon notre appréciation humaine, mais sont à rapporter aux colossales distances astronomiques en jeu. Nous verrons ainsi ce 9 mai ce mouvement de Mercure d’environ 50 km/s tournant à environ 67 millions de kilomètres du Soleil. L’astre ayant un diamètre d’environ 1,4 million de kilomètres, le mouvement durera un peu plus de 7 heures. Mercure se trouvera alors à 84 millions de kilomètres de la Terre. (Ces données ont été obtenues avec l’excellent calculateur d’éphémérides de l’IMCCE.)

Ces mouvements sont compris depuis des siècles. La science les prédit correctement, globalement depuis le XVIIe siècle, à une exception près : Mercure ! En effet, une particularité dans le mouvement fin de l’orbite de cette planète a défié les scientifiques durant environ 3 siècles. Mercure a la particularité de voir son orbite « tourner » – on parle de l’avance du périhélie de Mercure. Or, ce mouvement de précession mesuré était plus grand que les prédictions théoriques de Newton sur les lois de la gravité, pourtant couronnées de succès.

Il a fallu attendre Albert Einstein en 1915 pour comprendre que ce mouvement perturbé n’était qu’une conséquence directe d’effets gravitationnels parfaitement décrits par la relativité générale. En regardant Mercure, nous avons une preuve directe de la pertinence de la théorie de la relativité générale, élaborée il y a 101 ans. Cette observation de Mercure le 9 mai 2016 résonnera particulièrement puisque la compréhension de son mouvement marque l’un des premiers succès de la théorie de la relativité générale, cette dernière ayant aussi prédit l’existence d’ondes gravitationnelles, récemment détectées de manière directe avec LIGO/VIRGO.

Une question de culture scientifique

Observer Mercure passer devant le soleil est donc possible, en toute sécurité. Celles et ceux qui s’y livreront, ou qui suivront l’évènement sur leur site Internet préféré, assisteront à un beau spectacle, qui leur apportera de surcroît matière à réflexion sur l’astronomie et l’histoire des sciences. Alors, n’en privons personne ! Et évitons de rejouer la mauvaise pièce de l’éclipse partielle de Soleil du 20 mars 2015 : alors même que la majorité du pays était sous les nuages, on a confiné de trop nombreux élèves dans leurs classes. Une triste démonstration d’un certain illettrisme scientifique de bon nombre d’acteurs institutionnels, suscitant dans le public la peur des phénomènes naturels et une défiance inappropriées dignes des époques pré-scientifiques (alors que de très nombreux enseignants et parents dénonçaient ce confinement, ils auraient aimé observer et faire observer).

L’éclipse partielle de Soleil de mars 2015.
Thomas Bresson/Wikimédia

Combien de discussions avions-nous dû avoir, alors, afin de préciser que « non, les éclipses ne sont pas dangereuses » alors même que le Soleil nous irradie chaque jour sans que nous nous en émouvions… puisque, en êtres rationnels, nous ne le regardons jamais directement ! C’était une occasion rare de questionnement, d’observation et d’émerveillement, d’autant qu’elle avait été préparée avec des acteurs reconnus de la vulgarisation scientifique (par exemple l’association « La main à la pâte » et le site Eduscol).

Gageons que ce passage de Mercure devant le Soleil suscite la curiosité, participe à la diffusion de la culture scientifique, et puisse combattre un certain illettrisme scientifique prégnant dans notre société qui n’a pourtant jamais été autant baignée et imprégnée de science et de technologie.

Trajectoire de la mission Bepicolombo vers Mercure, en passant par Vénus, entre 2017 et 2024.
Centre National d’Études Spatiales (CNES)/Wikimédia

Car après le spectacle, la science continue. Mercure est l’objet d’intenses recherches scientifiques avec la préparation de la mission spatiale BepiColombo des agences spatiales européenne et japonaise, qui sera lancée en 2017. Cette mission, pour laquelle les scientifiques français jouent un rôle majeur, bénéficie du soutien du CNES, l’agence spatiale française, du CNRS et des universités, malgré des tensions sur la surcharge de travail des personnels techniques.

Donc, aujourd’hui dans après-midi et en soirée, profitez ! Sortez regarder la minuscule Mercure passer devant le Soleil pour apprécier le frisson des immenses mouvements planétaires, imaginer ce que les premiers scientifiques ont ressenti en assistant ce spectacle, ou encore imaginer la satisfaction d’Einstein, il y a 101 ans, résolvant le problème d’orbite posé par Mercure. Ou juste pour le plaisir et l’émerveillement.

Transit de Mercure (petit point noir en bas au centre).
Brocken Inaglory/Wikipédia, CC BY-SA

The Conversation

Hervé Dole, Professeur d’astrophysique et physique, Université Paris Sud – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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