Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.
Lettre de septembre sur Gaïa
Lettre des framboises éclatantes sur Kepler
Ma chère Aurore
Je te remercie pour ta précédente missive et tes judicieuses remarques qui éclairent mon esprit pour que je ne sombre pas dans les profondeurs de la nuit qui guette les planètes esseulées. Comme tu me le dis, les idées mettent du temps à se répandre pour assagir les peuples. Certains territoires résistent à la civilisation car ils ne sont pas informés ou plutôt ils sont désinformés sur l’état des choses. Le pays où règne l’ours en est un exemple. L’ours est un conteur, un conteur redoutable qui sait attendrir son auditoire pour lui tirer des larmes, mais un conteur maléfique. Avec la mine déconfite qui sied à l’annonce des grands malheurs, il raconte à son peuple des histoires tristes dans lesquelles ses immenses troupeaux de fragiles plantigrades sont menacés de dévoration par de cruelles races ovines qui obéissent à l’infame bélier ukrainien. Ce descendant d’une lignée dégénérée, issu d’un résidu de la fausse couche d’une fille naturelle d’Adolf Hitler ayant forniqué avec un Romanov malheureusement réchappé du massacre de Ekaterinbourg, est le diable en personne. Pour faire cesser les horribles crimes de ces animaux occidentaux, l’ours retrouve les accents de la souffrance qu’il inflige à son peuple en en substituant l’auteur. Ce tribun lustre les ursidés dans le sens du poil et les motive en leur rappelant que lui et les siens subissent, chaque jour que Dieu fait, l’infâme agression de bataillons de nazis déguisés en agneaux.
Il plaint son peuple, le comprend, l’encourage et lui apporte la solution à tous ses problèmes : aller massacrer quelques moutons pour apeurer et réduire tous leurs semblables en esclavage. Alors que plus aucun de ses sujets ne meurt de faim, il sait encourager la barbarie naturelle qui, aux temps lointains, nécessitait de tuer pour survivre. Ce doux maître entraîne les siens sur des terres étrangères pour s’adonner à la torture et à la décimation des populations autochtones. Car en vérité celles-là n’avaient pas eu la décence de le reconnaître comme suzerain ni de partager ses opinions.
L’ours est un spécialiste de la thérapie inversée : des âmes perdues, il fait sortir les vieilles blessures non pas pour les cicatriser mais pour les aviver et leur permettre de s’ouvrir à la vengeance.
Chez ses guerriers, il restaure la cruauté.
Il attise leur souffrance et les exhorte à la guérir par le vice de la torture. Ainsi sous la moindre contrariété, chez ceux qui ne contrôlent plus leurs frustrations, cette passion triste qu’il a su faire affleurer, peut sortir comme un diablotin de sa boîte. Il sait aiguillonner les points faibles des âmes de ses sujets qui n’ont jamais renoncé à la gloire de l’empire tsariste et n’ont jamais fait amende honorable pour leurs terribles exactions. Et ce depuis l’avènement du communisme qui a éradiqué la noblesse en promettant le bonheur du peuple mais a été détourné au profit d’une caste qui en a remplacé une autre, en passant par les famines orchestrées en Ukraine, les massacres des élites polonaises, la maltraitance éhontée des prisonniers de guerre et la terreur des états vassaux du bloc communiste.
L’esprit de Charmant est complexe.
La jouissance de la souffrance de l’autre y cohabite avec l’empathie qui, la plupart du temps, s’impose. L’ours, lui, pousse à la victoire de la maligne qui est générée par le désir de détruire tout ce qui n’est pas soi ou de soi ; comme l’enfant charmant détruit le château de sable qu’il n’a pas pu ou su construire. Le pouvoir absolu fascine l’ours mais celui-là, il ne veut pas le partager. En revanche la torture en est un autre qu’il fait s’épanouir en chacun de ses sujets fragiles : en distinguant avec des décorations des bataillons qui s’en sont rendus coupables. L’ours s’identifie à un dieu omnipotent, celui qui a ordonné à Abraham de tuer son fils ou fait vivre à Job l’enfer de la perte de sa descendance.
L’ours encourage chacun de ses guerriers à devenir un bourreau.
Car il pense que dilacérer par pure distraction le corps du prisonnier qui a eu le tort de naître pour souffrir, est un acte orgasmique qui créera une addiction et n’autorisera plus celui qui l’a commis à revenir en arrière. Les bourreaux seront ses plus fidèles serviteurs. La jouissance des cris de la proie est un moment de pur plaisir car il brave tous les interdits moraux et sociétaux qui prouvent la transcendance de l’acteur. Les implorations de grâce des victimes sanctuarisent sa puissance infinie.
Le barbare qui fait crier sa victime est celui qui n’arrive pas à faire crier sa femelle.
En général la femelle qui est honorée par un bon mâle, geint, crie, gesticule, halète sous la contrainte. Le mâle ne sait si elle souffre ou si elle jouit mais ses cris le comblent et lui font penser qu’il est puissant. L’ambiguïté de la gestuelle et de l’expression féminine dans l’acte dit d’amour, en dit long sur la compréhension qu’ont les femelles des ressorts maudits de la satisfaction du plaisir du mâle.
Après le bourreau entre dans l’hystérie de la destruction progressive de l’autre qui a eu le mérite de crier sa douleur, alors que le vandalisme des objets ne produit qu’une fois celui de leur brisure. La raison s’échappe petit à petit du vouloir du prédateur. Il ne peut plus s’arrêter de torturer car il a commis l’irréparable. Seule la poursuite du plaisir lui fait oublier temporairement son erreur. Il touche le bas-fond de son être. Il ne savait pas qu’il pouvait descendre aussi bas.
Il est libre car il peut faire le mal.
Il est allé au bout de lui et y a trouvé des plaisirs interdits mais inégalés. Quelle est cette bête sauvage ? Une bête qui a perdu le contrôle de son combat intérieur car elle n’a plus de neurones miroirs ? L’empathie est le fruit de ces derniers qui ont le pouvoir de se mettre à la place de la souffrance des autres. Dans la tête du bourreau, ils sont toujours là mais son esprit dévoyé lui permet au contraire de jouir de la souffrance du supplicié. Ces neurones miroirs lui renvoient la souffrance qu’il inflige pour le faire jouir encore plus. Il ressent un indicible frisson lui parcourir l’échine et le duvet de sa nuque se hérisser de plaisir. Il a détourné l’usage de ses neurones empathique. Est-ce qu’il a trop souffert et compris l’immense jouissance qu’il avait auparavant donnée à ses tortionnaires ? Il veut la même chose.
L’ours vient d’essuyer quelques revers et en a tiré des conclusions : il faut persévérer car l’entêtement est une vertu cardinale du dictateur. C’est le guide.
Changer de cap par gros temps est une attitude bourgeoise d’homosexuel occidental.
Un héros n’a pas à subir, il s’impose et c’est de cet engagement qu’il tire son aura et grâce à cette constance qu’il pourra vaincre. Heureusement que cet ours a les faiblesses de son statut, que son analyse est obscurcie par des dizaines d’années de règne ! Il perdra ; mais il va faire couler beaucoup de sang pour son seul plaisir et celui de ses plus fidèles serviteurs. La chance avec des gens obtus qui abusent du pouvoir, c’est que les limites de leur raison ne leur permettent pas de cerner tous les enjeux, ni de savoir s’arrêter avant de tomber. Les Caligula, Néron, Attila, Mussolini, Hitler, Saddam Hussein, Kadhafi ont péri dans la violence.
Quand ils sont plus malins, les Gengis Khan, Joseph Staline, ils perdurent et meurent dans leur lit à un âge respectable.
L’ours admire Joseph qui n’avait pas plus de scrupule que lui, mais qui avait une solide formation d’ourson des rues qui ne pardonne aucune erreur. Même si l’ours a souffert de la pauvreté, il n’a pas été à cette rude école. Il se berce des illusions de la politique centralisée sans avoir été confronté à une permanente menace de mort qui était le lot dans la jeunesse du charmant voyou Joseph Staline. Il ne pouvait se permettre la moindre faute d’appréciation. À la première, il était rayé de la carte.
Il y a quelques jours, l’ours a ressorti à nouveau sa petite ritournelle sur le champignon maléfique. Il adore ce champignon qui lui donne un pouvoir immense et lui permet de faire n’importe quoi. Il le cultive et le stocke dans de longues galeries pour pouvoir détruire la surface de ma planète si tel sera son bon plaisir. Mais il sait qu’il n’y a pas de vainqueur dans une guerre nucléaire car la riposte vaut l’attaque. Il n’y a que des perdants.
Le problème c’est qu’il sait qu’il est en train de perdre la guerre et quant à perdre, autant être deux !!!
Le plus incroyable dans cette guerre, c’est qu’elle est décidée par un seul être qui décide pour tous. Même si les impérialistes existent encore dans le monde des plantigrades, il est prouvé que la plupart de ses charmants compères préfèrent le confort à la gloire d’appartenir à une puissance hégémonique. Mais où sont donc les âmes vaillantes qui doivent ramener l’ours à la raison ? Quand est ce que les gardiens de la prison de son opposant oublieront de fermer son cachot et quels généraux honnêtes oseront prendre les armes contre le tyran ? L’organisation de la terreur a toujours été l’arme des usurpateurs mais jusqu’à présent aucune terreur n’est restée ni éternelle ni impunie.
L’ours a perdu beaucoup de troupe dans cette invasion.
Il est obligé de mobiliser une partie de son peuple en âge de partir au combat. Son opération spéciale devient très spéciale, spécialement meurtrière. Les mères manifestent leur désarroi, les recrues traversent les frontières pour échapper à l’enrôlement. Son âme damnée qui gouverne la Tchétchénie refuse de lui fournir de la chair fraîche mais l’encourage à utiliser de petits champignons mignons pour nettoyer des poches infestées de cafards. Bref, ça sent l’escalade. Le regard vide de l’ours s’illumine de plus en plus de ruines et de charniers, ses bajoues pendent sous le poids du remords, sa mâchoire se crispe sous les reproches de ce qui lui reste de conscience. Triste pôle.
Ma chère Aurore, je viens d’apprendre d’autres choses.
Mes Charmants ont envoyé des sondes dans l’espace il y a 45 cycles et ces sondes envoient toujours des clichés et des informations… Elles s’appellent Voyager 1 et 2 et elles ont exploré l’héliosphère, photographié Jupiter et trois de ses lunes dont la super volcanique IO, Saturne et ses anneaux, mon ex époux Uranus et croisé Neptune. Maintenant elles sont sorties de l’héliosphère et sont dans l’espace interstellaire. Voyager 1 se trouve à 22 milliards de kilomètres de ma surface et Voyager 2 à 12. Quand Charmant les a lancées, il les a pourvues d’ordinateurs de bord avec 68 kilooctets de mémoire c’est à dire 100 000 fois moins qu’un smartphone qu’il produit ce jour pour tout un chacun… Il n’y a pas de microprocesseurs, quasiment pas de logiciels. L’émetteur vers ma planète possède la puissance colossale de 23 watts qui permet d’éclairer une boîte à gant et d’économiser l’énergie qui est fournie par la désintégration du plutonium. Il faut que tu saches que Voyager 1 se dirige vers toi. Prépare-toi. Elle passera devant l’étoile qui m’est la plus proche, Proxima du Centaure qui m’est distante de 4 années lumières, dans 16 700 ans. Si tout va bien elle sera chez toi dans 6,6 millions d’années et continuera à foncer vers l’inconnu pendant des milliards d’années. Elle sera peut-être interceptée par une civilisation développée qui découvrira notre existence quand nous aurons toutes deux disparues. Ce que tu ne sais pas, c’est que j’ai une photo de moi prise par Voyager 1 quand elle était à 6,1 milliards de kilomètres. Je suis un pâle petit point bleu d’un pixel au milieu de rien. Breee, ça me fait froid tout autour !
Quelques nouvelles de mon petit virus.
Il se porte encore bien. Il en est à sa huitième vague et s’il ne déborde plus les services de réanimation, il enquiquine encore Charmant qui n’a pas repris toutes ses activités. La récession guette son économie et j’espère bien que cela va perdurer si Charmant veut vivre encore quelques milliers d’années. Remarque la guerre des champignons réglerait tout ça. Je suis certaine qu’un nouveau principe de vie en résulterait. Il permettrait alors l’éclosion d’espèces moins sensibles aux radiations atomiques. Ces rayons suppriment la vie et il faudrait donc des cellules entourées d’un manteau de plomb et irriguées d’iode. J’ai un peu peur de voir éclore des monstres…
Bon, ma chère Aurore je te laisse. Je t’envoie des pensées affectueuses pour que tu n’interceptes pas mes Voyager qui sont bien parties pour traverser l’univers. Il est vrai que tu as le temps pour te préparer à cette vision qui ne te bouleversera pas mais t’apportera la preuve que j’existe en terre et en eau et que mes charmants habitants sont ingénieux. Même si ce que tu verras n’aura plus rien à voir avec la technologie qui existera alors sur ma terre dans ce lointain futur…
Je t’embrasse
Ta Gaïa