Avec une trentenaire citadine pour héroïne, le film de la cinéaste Akiko Ohku évoque l’ultra moderne solitude et les convenances de la société japonaise.
Trentenaire à Tokyo, Mitsuko vit en solo ; elle cuisine en célibataire, prend ses repas en célibataire, en fait elle fait tout en célibataire. Au début de « Tempura », film de la cinéaste japonaise Akiko Ohku (sortie le 20 juillet), elle participe à un atelier de fabrication de faux tempuras, des beignets factices qui ont l’apparence de vrais. De retour dans son petit appartement, elle met ces objets bien en évidence, comme une reproduction de la vie factice qu’elle mène.
Certes, Mitsuko a un semblant de vie sociale, elle a un emploi et une collègue de travail pour copine et confidente. Sa seule amie vit désormais en Italie, d’où elle lui expédie du limoncello qu’elle sirote en solitaire. Discrète au bureau, la petite employée modèle est pourtant enjouée en privé, ce que personne ne sait vraiment. Elle se lance parfois des défis, aller seule fréquenter des lieux où vont d’habitude des couples, des familles, des amis. Mais elle a peur de tout, surtout de prendre l’avion, et ce sera l’épreuve ultime, une véritable expédition, lorsqu’elle accepte d’aller passer Noël en Italie.
Le statut de la jeune célibataire
Mitsuko voudrait simplement être aimée, mais elle est bloquée par sa timidité, ses névroses, ses inhibitions, le statut de la jeune célibataire, les convenances de la société japonaise et de la vie de bureau. Il lui faut du temps avant de s’avouer qu’elle est amoureuse d’un jeune homme, Tada, croisé dans l’entreprise, et certes un peu plus jeune qu’elle. Au hasard d’une rencontre dans la rue, elle propose de lui préparer des petits plats, un panier repas que Tada vient chercher en restant sur le palier et qu’il emporte pour déguster, seul, dans son aussi petit appartement. Il faudra encore du temps avant qu’elle ne l’invite enfin à dîner un soir chez elle, et plus encore avant que Tada ne l’invite dans un grand restaurant, et qu’il ne fasse sa déclaration dans les escaliers de la Tokyo Tower.
Parce qu’il faut « se connecter à soi avant de se connecter à l’autre », estime la réalisatrice, la relation de Mitsuko avec Tada fait l’objet de longues conversations avec… elle-même ; la jeune femme se parle toute seule, s’interroge elle-même, elle papote avec une voix, sa voix intérieure, un ami imaginaire, un double avec lequel elle échange sur sa vie, son quotidien, et ne prend aucune décision sans avoir échangé. « Toi et moi, on ne fait qu’un », lui assure cette voix, alors que Mitsuko cherche sa voie. Il y a ainsi quelque chose d’à la fois pathétique et poétique dans ces discussions intimes.
La cuisine fait office de lien, de partage, dans ce film de Akiko Ohku, mais « Tempura » évoque surtout les affres de l’ultra moderne solitude, celle qui peut rendre fou, la difficulté à partager des relations humaines simples et sincères, et la douleur de se sentir seule, mais de faire quand même semblant.
Patrick TARDIT
« Tempura », un film de Akiko Ohku (sortie le 20 juillet).
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