« C’est un film anti-cynique », confie Catherine Frot, qui joue une créatrice de roses dans le film de Pierre Pinaud, où il est question « de partage, d’échange, d’entraide ».
« Pas de mari, pas d’enfant, toute seule, peinarde » : Eve Vernet fait sa crâneuse, mais tout n’est pas si rose dans la vie de cette femme jouée par Catherine Frot dans « La fine fleur » (sortie le 30 juin), film de Pierre Pinaud (qui avait tourné « Parlez-moi de vous » avec Karine Viard en animatrice radio). Grande créatrice de roses, Eve a repris l’exploitation de son père disparu, ses vêtements, sa pipe, ses disques de Dean Martin… Et les emmerdes qui vont avec : la roseraie est en redressement judiciaire, au bord de la faillite, et elle ne se résoud pas à vendre le nom de son père à un vil industriel, le « méchant » de l’histoire interprété par Vincent Dedienne.
L’ultime humiliation a lieu au Concours annuel du Parc de Bagatelle, où Eve se rend bien compte que « c’est fini tout ça » : sa petite entreprise connait la crise. Sa dévouée secrétaire (Olivia Côte en vieille fille) trouve une solution : embaucher trois employés en insertion, trois recalés de la société. Nadège la jeune fille timide (Marie Petiot), Samir un vieux chômeur (Fatsah Bouyahmed), et Fred, jeune voyou incarné par le rappeur Melan Omerta, qui interprète aussi une chanson du film.
Le combat d’une femme solitaire, « valeureuse entêtée » en quête d’excellence, va ainsi devenir celui d’un groupe. « C’est un film avec plein de valeurs, de partage, d’échange, d’entraide, ça peut paraître désuet mais il faut qu’on voie des films comme ça ; être gentil, c’est pas un défaut, alors que ça peut apparaître comme une faiblesse », estime Fatsah Bouyahmed (vu notamment dans « La Vache »). « Il y a une famille du cœur qui remplace la famille de sang qui n’a pas opéré », ajoute le réalisateur Pierre Pinaud, qui a co-écrit ce scénario avec Fadette Drouard.
Sur le terreau de la concurrence et de la marchandisation, ils ont fait pousser un beau bouquet, fait de solidarité, de bienveillance, de transmission, avec Catherine Frot bien dans son registre et sa roseraie, et une douce musique composée par Mathieu Lamboley. Un univers certes vintage, mais « La fine fleur » exhale l’agréable parfum de ces films qui font du bien.
« Pour moi, la notion de travail est très importante », dit Pierre Pinaud, qui a tourné une partie de son film à la Maison Dorieux, près de Roanne, où il a saisi la beauté et la poésie des roses. « Je me suis immergé dans cette exploitation de taille familiale, artisanale, ils étaient très touchés qu’on parle de ce métier qui demande beaucoup d’humilité, d’abnégation. Il faut des années pour sortir une nouvelle variété qui peut-être va passer inaperçue dans un concours, c’est un gros boulot », précise le réalisateur, « Ils étaient heureux qu’on parle de leur passion. Comme beaucoup de métiers, il est battu en brèche par des gens qui produisent des roses de manière industrielle, à moindre coût, en Chine, en Bulgarie, qui créent des rosiers moins résistants, une sorte d’obsolescence programmée pour le végétal, des rosiers qui vont durer moins longtemps. On peut tous souffrir de ça, ça m’intéressait de mettre en avant quelqu’un qui voulait continuer un travail indépendant, avec des standards de qualité élevés ».
Pierre Pinaud : « Le film parle aussi de la beauté des relations humaines »
D’où vous vient cette passion des fleurs en général et des roses en particulier ?
Pierre Pinaud : C’est une passion que j’ai depuis l’enfance, qui m’a été transmise par ma mère et ma grand-mère, et que j’ai suivie en parallèle du cinéma jusqu’à l’âge adulte. Je cherchais depuis longtemps un moyen de parler de ce milieu, j’étais assez surpris que ce monde des fleurs, qui est tellement cinéphilique, ne soit jamais montré à l’écran. Encore fallait-il que je trouve une histoire, quelque chose à raconter, et ne pas l’utiliser uniquement comme un décor. J’ai découvert que la création de roses était une spécialité française et qu’il y avait cette étape très particulière de la sélection, en terme de coloris, de parfums, de forme, de résistance aux maladies, dans le but de faire une descendance digne d’un concours ; ça fait écho avec notre société assez concurrentielle, élitiste, où souvent il faut être né dans les meilleurs quartiers pour intégrer les meilleurs lycées, avoir les meilleurs diplômes, et intégrer les meilleures classes dans la société, je me suis dit qu’il y avait matière à un script.
C’est vraiment très français la création de roses ?
Il y a une quarantaine de créateurs de roses au monde, ça a toujours été très français et encore aujourd’hui une vingtaine sont Français, historiquement autour de la région de Lyon. A la fin du XIXème siècle, il y a eu un engouement pour les roses, porté par la haute-bourgeoisie, l’aristocratie, il y avait une tradition, Joséphine de Beauharnais avait une magnifique roseraie à La Malmasion, Marie-Antoinette aimait beaucoup les roses, ça a créé un engouement dans toute la noblesse, il y a eu ce goût lié à des femmes régnantes, ça a donné beaucoup d‘aura à ces fleurs, il y a un vrai héritage culturel, littéraire, musical, de la rose. Le film parle de la beauté des fleurs mais aussi de la beauté des relations humaines. Les créateurs de roses consacrent leur vie à essayer de trouver quelque chose de beau, c’est un métier merveilleux, il faut plusieurs années de travail, de recherches pour arriver à une variété de rose qui peut très bien ne jamais marcher en concours, c’est très humble et en même temps très poétique. Cette quête de beauté comme de poésie, elle est à la fois très touchante, fragile, et essentielle. Il y a aussi une part de hasard dans ce travail, c’est ça aussi qui fait sa beauté, on n’est pas du tout sûr du résultat.
Vous dites de Catherine Frot qu’elle est très française, en quoi est-elle si française ?
Je pense qu’il y a une élégance, l’aura de sa carrière à l’étranger, sans doute certains rôles emblématiques comme « Les Saveurs du Palais », en défendant la haute-gastronomie qui est une spécialité française, c’est un film qui a énormément marché à l’international, ça a concouru à la faire percevoir comme une comédienne très française. En même temps, il y a cet élément très complémentaire chez Catherine, qui est à la fois de la fantaisie, un grain de folie, cette élégance, et quelque chose de très terrien, très populaire, très ancré, qui fait que lorsqu’elle exerce un métier on y croit. C’était parfait pour la création de roses, parce que c’est un métier qui a un lien fort avec l’agriculture, il faut les faire pousser, les semer, les planter, les greffer, il y a une part de création et cette fantaisie, ce grain de folie, c’était parfait.
« J’avais envie de parler de l’insertion »
Son personnage est au départ une femme seule, qui se démène comme elle peut…
J’ai été élevé par une femme seule, élever deux enfants seule c’est un vrai combat dans les années 70, je l’ai vue se battre toujours avec peu de moyens, pour nous donner une bonne éducation, nous ouvrir l’esprit à mon frère et moi. Mes personnages principaux sont des femmes et ça vient d’elle, ça m’intéressait que cette femme, Eve, qui avait consacré sa vie à la beauté, en avait oublié sa vie de femme et sa vie de mère, ça m’intéressait aussi de montrer un personnage de femme qui n’avait pas besoin d’un homme pour exister, effectivement au prix d’une certaine solitude. C’est un personnage qui n’est pas souvent montré, une femme totalement seule, qui n’est pas en quête d’un homme.
Il y a de la bienveillance, de la douceur, dans votre film…
Oui, il y aussi de la simplicité, comment on regarde quelqu’un, comment on lui donne confiance, comment on réussit à le pousser vers son avenir, comment dire au revoir aux gens qu’on aime, les choses qu’on reçoit, qui nous aident, et celles qui nous paralysent, qui nous tirent vers le bas. Il n’y a pas besoin de faire des choses spectaculaires au cinéma pour que ça touche les gens, il y a des choses très simples qui sont notre quotidien, qui font écho, l’émotion passe.
Vous avez choisi aussi de mettre une dimension sociale à cette histoire ?
J’avais envie de parler de l’insertion, c’est un parcours long, compliqué, qui ne fonctionne pas toujours, mais parfois on réussit à donner une place, à donner confiance, et à faire entrer des gens dans le monde du travail. Je voulais aussi donner une place à des gens issus de la diversité, et ces gens qui sont restés sur le bas-côté de l’ascension social, qui n’ont pas le bagage, ou n’ont pas réussi à être poussés de manière pérenne dans le monde professionnel. Au départ, il y a une mise en place un peu déjà vue, deux mondes qui se rencontrent, entre Eve et trois Pieds-Nickelés, et au fur et à mesure que le film avance, on s’aperçoit que ce ne sont pas uniquement des figures ou des panoplies, derrière il y a des êtres humains, avec leur complexité, leurs failles, leur fragilité personnelle, et on est tiré vers un film assez différent, qui gagne en épaisseur, on est amené à parler de faire le deuil de sa famille biologique, d’un père absent, de l’importance de la beauté, de ce qu’on fait de son talent, de choses pas si banales, et pas toujours abordées.
Comment s’est déroulé votre travail avec votre co-scénariste Fadette Drouard ?
J’avais vu « Patients », qu’elle avait co-écrit, et que j’avais trouvé merveilleux, j’avais cette idée et j’avais déjà écrit un traitement d’une quarantaine de pages et on s’est rencontrés. Elle a beaucoup d’enthousiasme, beaucoup de finesse, et aussi beaucoup d’humour, une vraie vivacité, c’est un plaisir de travailler avec elle, elle est toujours très positive, elle met dans une dynamique de travail très forte, et elle a aussi une vraie modernité dans son travail, on s’est très bien entendus.
Catherine Frot : « Mon métier c’est l’illusion »
Vous connaissiez ce monde de la création de roses ?
Catherine Frot : Non, j’ai appris beaucoup sur le tournage, moi-même je n’ai pas la main verte, j’ai un jardinier. J’ai travaillé, j’ai appris avec Mme Dorieux, on travaillait dans sa roseraie, elle était toujours là pour me guider quand il y avait besoin. Que ce soit cuisinière, cantatrice qui chante faux ou sage-femme, faire les bons gestes c’est une histoire d’accessoires, vous apprenez à faire illusion, à faire comme si, l’acteur c’est ça. C’est comme apprendre son texte, on se concentre et après on l’oublie complètement, mon métier c’est l’illusion.
Vous êtes sensible à la gentillesse et la bienveillance évoquées dans « La fine fleur » ?
Ce n’est pas que ça dans le film, ça serait trop pastel, le travail de Pierre Pinaud a été d’explorer l’intimité des personnages, et chacun a sa valeur intime, on connait chacun, on n’est pas juste dans des figures. C’est un film anti-cynique, on parle beaucoup du cynisme aujourd’hui et on le subit, par la télé, le regard sur les choses, on se moque tout le temps les uns des autres, de ceci et de cela. Mon personnage, Eve, elle a des épines, elle commence avec des épines, clairement. Mais tous les personnages s’apportent des choses ; petit à petit, il y a une ouverture, il y a une métaphore entre l’arrivée d’une très bonne rose et une relation qui s’épanouit.
Comment avez-vous perçu le fait que la culture n’ait pas été considérée comme essentielle, pendant la pandémie ?
C’est la question du film : sans la beauté, qu’est-ce qu’on fait ? Le cinéma, la musique, les arts, c’est de l’imagination, c’est un don, qui sort de l’imaginaire, de l’inspiration, qui est évidemment vital. Je n’ai rien fait pendant un an, je devais être au théâtre puis partir en tournée, tout s’est arrêté, j’ai attendu que ça se passe, j’ai fait du dessin.
Etes-vous une de ces actrices qui ont une rose à leur nom ?
Oui, j’ai une rose à mon nom désormais. Elle ressemble à un pompon, très dense, comme chiffonnée, blanche, avec un cœur mandarine, et elle sent très bon.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« La fine fleur », un film de Pierre Pinaud, avec Catherine Frot (sortie le 30 juin).